La lutte contre la mendicité des enfants passe par l’application effective des lois protégeant la couche. Les victimes sont exposées à toutes formes de vulnérabilité, notamment à Cotonou, Parakou, Kandi et Malanville. La riposte est indispensable pour les sortir de cette pratique qui ternit l’image du pays.
Ils sont souvent repérables aux carrefours aux abords des bars ou restaurants, au niveau des feux tricolores et dans les espaces publics (marchés, mosquées, églises, gares routières, banques, formations sanitaires, centres de loisirs), à la recherche des restes des plats des clients ou demandant la charité pour leurs repas quotidiens. Les enfants mendiants sont de tous âges (même des tout-petits) traînant seuls ou en petits groupes, se faufilent dans la circulation et sollicitent au niveau des sites d’affluence, la bienveillante attention des passants. Souvent sales, mal vêtus, parfois pieds nus, ils tendent aux passants une boîte de conserve ou en plastique ou simplement une main vide dans l’espoir de recevoir l’aumône.
Quoique ce travail paraisse banal aux yeux de certains et même ‘normal’’ pour d’autres (du point de vue religieux), les enfants mendiants s’exposent à des risques énormes dans leur quête de subsistance et de survie. L’état des lieux sur la situation des enfants impliqués dans la mendicité dans les villes de Cotonou, Kandi, Malanville et Parakou, met la lumière sur les dangers que courent les enfants soumis à la mendicité.
Risques
Selon l’Observatoire de la famille, de la femme et de l’enfant (Offe), dans un contexte de dénuement et de souffrance extrême telle que l’est la situation de rue, il n’est pas facile d’établir une hiérarchie parmi les risques et les expériences vécus par les enfants impliqués dans la mendicité. Les dangers qu’ils courent sont quasiment les mêmes que ceux que court tout enfant démuni. Il s’agit des risques d’accident, mauvaise santé physique ou psychique, isolement, piètres conditions d’hygiène, habillement en haillons, parfois torse nu. Au nombre de ces risques, le rapport de l’Unicef 2017 sur la mendicité des enfants évoque également l’exploitation, la maltraitance, la consommation des produits toxiques débouchant sur des situations de déficit de vigilance. Ils sont la proie facile pour tout genre de trafic et dangers qui forment leur quotidien.
« Ce contexte anormal s’aggrave avec le manque d’interlocuteurs compréhensibles ou crédibles à qui ils peuvent confier leur amertume. Ils sont plutôt renvoyés à la solitude de leur condition, à la pesanteur énigmatique de leur corps, parfois à un rapport craintif et dépressif à leur parole, lorsque celle-ci ne rencontre pas un accueil bienveillant chez l’autre », relève l’étude de l’Unicef.
« Certains tentent de compenser des défaillances à leur niveau en se livrant à des conduites auto agressives matérialisées par des exercices de marquage ou de mutilation ou de tatouage de leur corps. D’autres tentent de sublimer ces défaillances en associant de ‘’petits métiers’’ à la mendicité pour survivre. Un troisième groupe représente un vivier pour la ‘’mafia’’ ou ‘’la guérilla’’ urbaine », rapporte la même source.
La mendicité chez les enfants figure parmi les pratiques de vulnérabilité dont les facteurs de risques sont énormes. Bien que physiquement faibles, mais percevant parfois un sentiment de responsabilité face à l’indigence de leurs parents, d’autres enfants peuvent faire la manche pour survivre pour aider leur famille, et ce, en dépit de toutes les dispositions réglementaires. Les enfants évoluent dans la rue pour des raisons de maltraitance, d’exploitation, d’abandon et de négligence de leur famille. Les maux les plus courants dont ils souffrent sont la fièvre (46 %), la fatigue (44%), les douleurs à l’abdomen (18 %) ou au dos (15 %), les maladies diarrhéiques (14 %) et les blessures (14 %). Ils sont pour la plupart privés d’école bien qu’étant en âge d’être scolarisés.
Ampleur
Pour l’Unicef, le phénomène relève des pratiques d’exploitation d’enfants qui vivent dans des conditions de maltraitance et d’esclavage chez leurs tuteurs. Ce sont des enfants qui proviennent de familles déstructurées, incomplètes ou reconstruites ayant des conditions de vie modestes. C’est pourquoi « la main-d’œuvre de certains d’entre eux est parfois intégrée dans les stratégies de survie de leurs employeurs et commanditaires lorsque cette pratique ne relève purement pas d’une exploitation commerciale », explique le document.
Une étude réalisée par la Banque mondiale sur les talibés au nord du Bénin par le Programme d’insertion des enfants déshérités estimait à environ cinq mille, le nombre total de talibés (enfant placé chez un maître coranique étudiant le coran et travaillant pour ce dernier), des villes de Parakou, Malanville et Djougou. Environ deux tiers (63,5%) de ces derniers mendient. La quasi-totalité (94,5 %) recevait également des coups de fouet comme punition et sur le plan sanitaire, ils souffraient de dermatose, de parasitose et de malnutrition.
La mendicité des enfants revêt des proportions préoccupantes dans les grandes villes du Bénin, notamment Cotonou, Malanville et Parakou. Le phénomène touche plus la ville de Malanville (41% de la population d’enfants estimé pour les trois villes. Viennent ensuite la ville de Cotonou (35 %) et celle de Parakou avec le quart (24 %) de l’effectif estimé des trois villes.
En considérant tous les enfants impliqués dans la mendicité, quels que soient la fréquence et le moment où ils font la manche, on obtient environ quatre mille enfants dans les trois villes, renseigne l’Unicef.
Le phénomène touche plus les garçons que les filles. Neuf enfants dans la mendicité sur dix sont des garçons. Selon le rapport d’état des lieux, toutes les filles recensées sont des ‘’mendiantes’’ non talibés. Dans ce groupe, au moins sept enfants sur dix dont des garçons (82 % à Cotonou, 70 % à Parakou et 73 % à Malanville). Les enfants mendiants appartiennent surtout aux groupes ethniques Dendi et apparentés (38 %), Peuls et apparentés (25 %). Les Dendi sont plus représentés chez les enfants en situation de mendicité de Malanville (66 %), alors que les Peulh sont majoritaires à Parakou (57%) et les fons (39%) à Cotonou.
De lourdes sanctions
La mendicité est une pratique qui heurte la morale et viole certains textes de lois au Bénin. Si par le passé la solidarité familiale couvrait des situations d’indigence ou servait de rempart au phénomène, le droit pénal l’a réglementé. Il constitue un délit sous certaines conditions. Les articles 274,275 et 276 l’interdisent. Le mendiant valide ou non est puni. L’article 274 l’incrimine et fixe la peine correspondante : « toute personne qui aura été trouvée mendiant dans un lieu pour lequel, il existera un établissement organisé afin d’obvier à la mendicité sera punie de trois à six ans d’emprisonnement… ». L’article 275 dispose : « Dans les lieux où il n’existe point encore de tels établissements, les enfants en « situation de mendicité », d’habitude valides seront punis d’un à trois mois d’emprisonnement. S’ils ont été arrêtés hors du canton de leur résidence, ils seront punis d’un emprisonnement de six mois à deux ans… ». L’article 276 punit les cas de mendicité accompagnés de menaces ainsi que ceux suivis d’infiltration dans une habitation sans autorisation. Par ailleurs, les individus qui se mettent en groupe pour mendier en dehors de leur groupe familial (père et ses enfants, mères et ses enfants, père, mère et enfants) sont passibles des mêmes peines. Il en ressort que les enfants ne doivent mendier qu’en compagnie de leurs parents directs (père, mère) et dans les conditions prévues par la loi. Or, souvent, des centaines d’enfants sont aperçus sans leurs parents dans les villes béninoises en situation de mendicité.
Si dans la pratique rien n’est fait pour appréhender et punir ces infracteurs en situation de mendicité, cela relève plutôt de la politique pénale qui interpelle les autorités publiques (procureur, officier de police judiciaire, préfet, maire…).
Plaidoyer
La situation des enfants mendiants doit particulièrement intéresser les pouvoirs publics et les acteurs non étatiques dans la mesure où ils sont exposés à des risques de vulnérabilité. La plupart des enfants en situation de mendicité ont besoin de mesures sociales et politiques que de soins. Un dispositif clinique et éducatif peut aider ceux parmi eux qui sont en situation d’exclusion.
Outre la famille, l’Etat est en principe garant de la protection des droits des enfants. Mais tout se passe comme s’il était absent, car la mendicité se fait le plus souvent au mépris de la réglementation sur la protection des enfants, du Code pénal et des droits de l’Homme. Or, selon les termes de la Convention des Nations Unies relatifs aux droits de l’enfant, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ainsi que la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, l’Etat est tenu de veiller à ce que les enfants aient accès à un enseignement primaire obligatoire, qui leur permette d’acquérir les compétences élémentaires dont ils ont besoin pour participer pleinement au développement de la société. Il serait utile que le gouvernement instaure une loi contre le phénomène. La vulgarisation, la mise en œuvre diligente des peines privatives de liberté et les amendes qui seraient issues d’une telle loi pourraient décourager les commanditaires et employeurs des enfants
Maryse ASSOGBADJO