La cour d’assises de la cour d’appel de Cotonou a examiné, ce jeudi 5 avril le quatrième dossier inscrit à son rôle. Poursuivi pour coups mortels, Justin Kpéïdja a clamé devant la cour son innocence. Après les débats, l’instance de jugement l’a acquitté au bénéfice du doute plaidé par la défense sur la base des articles 360 à 363 du code pénal.
Justin Kpéïdja qui vivait en concubinage avec Blandine Batossi a l’habitude de lui porter des coups. Les derniers coups qu’il lui aurait donnés ont entraîné sa mort. Mais, après délibération, la cour, sur la base des articles 360 à 363 du Code pénal l’a acquitté au bénéfice du doute.
A la barre, l’accusé Justin Kpéidja a nié les faits. Il déclare ne s’être jamais battu avec sa femme mais qu’ils se sont souvent querellés. Le président lui rappelle certaines de ses déclarations à l’enquête préliminaire. Il se ravise, reconnaît quelques propos puis soutient avoir défendu à Nadine Batossi de rendre visite à son ancien mari. Il justifie que les querelles sont souvent nées du non-respect de cette injonction de sa part. Les policiers, selon lui, auraient transcrit des déclarations et lui auraient demandé de signer. La femme serait morte des suites de ses couches, explique-t-il. Le président lui rafraîchit la mémoire en montrant les planches du corps de la victime avec du sang coulant des oreilles et du nez. Le président relève alors des réponses données par l’accusé qu’il leur impute le mensonge. A l’occasion de l’accouchement, le sang peut-il sortir du nez ou des oreilles ? lui demande le président.
Le président relève également le doute qui subsiste sur celui qui a transporté dame Nadine Batossi à la morgue. Car tantôt l’accusé reconnaît avoir déposé le corps à la morgue, tantôt c’est quelqu’un d’autre qui l’aurait fait.
Sur les six témoins cités, seule Ida Degbey, aide-soignante, a comparu. Elle a déclaré qu’elle était de garde un soir vers 19h lorsque des individus sont venus à moto déposer une dépouille mortelle. Ayant fait le constat, elle a sollicité l’intervention du délégué qui, lors de son passage, a reconnu la dame. Elle aurait rendu visite quelques jours auparavant à l’autorité locale, en quête de moyens de subsistance, suite à l’absence de son mari. L’aide-soignante a déclaré avoir découvert le corps inanimé d’une dame en état de grossesse.
Ayaba Kpéïdja, un autre témoin, est la sœur de l’accusé. Elle n’a pas pu éclairer la cour alors qu’elle reconnaissait lors des enquêtes que son jeune frère était un bagarreur.
Claude Batossi, frère de la victime, déclare que la victime était enceinte lors du drame. Sa sœur n’a pas déclaré avoir épousé un autre mari et le mari non plus n’est venu demander sa main. Après l’annonce de son décès, ils se seraient portés à la morgue pour voir le corps. Ce dernier suintait du sang par les oreilles et le nez. Il ne s’est pas constitué partie civile mais souhaite vivement que l’Etat situe les responsabilités.
La lecture des pièces classiques et celle des déclarations à l’enquête préliminaire et de l’interrogatoire au fond ont ouvert la voie aux réquisitions du ministère public.
Selon le représentant du ministère public, les faits et les débats de la cause ne sauraient voiler l’innocence d’un accusé et l’attente de justice d’une famille qui a perdu l’un de ses membres. L’absence d’une vérification scientifique ne saurait entraîner l’innocence ou la non culpabilité de l’accusé; mais la répression est nécessaire, indique le ministère public.
Dénégation systématique ?
Les coups mortels sont prévus, relève le ministère public, par l’article 309 alinéa 4 du Code pénal. Après avoir reconnu les faits à toutes les étapes de la procédure, rappelle le ministère public, l’accusé s’est muré dans une dénégation systématique.Tout cela contraste avec les faits tels qu’ils se sont déroulés, fait remarquer le ministère public.
Selon lui, les coups mortels supposent l’existence des éléments légal, matériel et moral. Les faits reprochés s’analysent en coups portés ou blessures faites volontairement à autrui sans intention de donner la mort. Et le ministère public poursuit qu’il est nécessaire que lesdits coups soient portés sur une personne humaine et qu’ils aient entraîné sa mort.
Les coups, selon Emile Garçon et une jurisprudence constante, affirme le ministère public peut être porté par un bâton, de la pierre ou une machette, selon le cas ; un seul coup suffit pour retenir l’intention, explique-t-il. Les blessures s’entendent des lésions à l’intégrité du corps humain ; ensuite il faut la nécessité d’une personne vivante distincte de l’auteur. Il faut retenir également le lien entre les coups portés et le décès survenu.
L’élément moral ou psychologique existe, enchaîne le ministère public. Tous les éléments constitutifs du crime de coups mortels sont-ils réunis ? interroge le ministère public. Le décès survenu est-il la suite des coups ou des bagarres souvent intervenues entre ce couple ? Pour le ministère public, celui qui a hébergé le couple cinq mois durant a pu se rendre compte de ses scènes de ménage. Le caractère violent de l’accusé, selon lui, est reconnu par sa grande sœur, Ayaba Kpéïdja. Les violences physiques répétées sont-elles la cause de la mort de la victime ? Une autopsie ou une expertise aurait pu permettre d’élucider la cause de la mort. Mais l’insistance des parents de recueillir le corps en vue de procéder à son inhumation et les circonstances n’ont pas permis d’aller plus loin, admet le ministère public. Les coups et violences perpétrés établissent le lien de causalité entre les violences et la mort survenue, atteste-t-il. Les témoignages recueillis et la vulnérabilité de la dame à terme prouvent que ce sont les coups portés qui ont occasionné sa mort, indique-t-il.
A la morgue, le sang et la vomissure sur la face et le liquide précédant l’accouchement sur les parties génitales attestent qu’il existe indéniablement des liens entre les coups répétés reçus par la victime et sa mort.
« Les vaines dénégations et ses variations à la barre prouvent sa culpabilité », retient le ministère public.
« Tous les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis en l’espèce et l’accusé est accessible à la sanction pénale. Cette culpabilité ne fait l’objet d’aucun doute ; tenez compte dans le secret de votre délibéré de la qualité de délinquant primaire ; je requiers de déclarer coupable l’accusé pour avoir porté des coups avec les circonstances que les coups porté ont occasionné la mort, et le condamner à 10 ans de travaux forcés », avance le ministère public.
La nécessité d’une autopsie
Des réquisitions que n’approuve nullement Me Angelo Hounkpatin. « Nous sommes au XXIe siècle et on ne saurait justifier nos errements. Dès lors qu’il y a mort, il faut en rechercher les causes de manière scientifique », relève la défense. Aux jurés, Me Angelo Hounkpatin explique qu’il est nécessaire de faire un examen minutieux du dossier et le confronter à la réalité, même s’ils sont jugés d’un jour, en découvrant le dossier à l’audience. « Vous devez faire votre conviction à la lumière d’un débat scientifique et relever le doute dans la présente cause », déclare-t-il.
Aux assesseurs, il rappelle ce qui a été enseigné à la faculté, à savoir la nécessité d’une autopsie et la production d’un certificat médical en de pareilles circonstances. « Vous devez rechercher celui qui a commis le crime pour le sanctionner ; le doute profite toujours à l’accusé en matière pénale », insiste la défense. Notre incurie ou la carence dans ce domaine de notre Etat ne sauraient faire condamner des innocents, plaide-t-il. « Il n’y a pas eu d’autopsie ; il y a lieu de protéger les citoyens sinon nous pourrons condamner un innocent, retient-il. Dans ce dossier, il y a beaucoup de lacunes, selon lui. Il déclare avoir cherché en vain le certificat médical. Le laxisme s’est poursuivi à plusieurs étapes et il faut acquitter lorsqu’il y a doutes, insiste la défense.
« Nous sommes des humains jugeant des humains et nous devons le faire avec professionnalisme ; il y a trop de doute et quand on part de l’incrimination et de la démonstration du ministère public, j’ai vu son embarras », relève encore la défense.
L’imputabilité pose problème, selon le conseil, parce qu’il n’y a eu ni autopsie ni certificat médical. Sur cette base, face aux lacunes du dossier, on ne peut entrer en condamnation contre Justin Kpéïdja, fait observer la défense. « Il n’y a pas de charges suffisantes que les coups qui auraient été portés ont pu effectivement causer la mort ; il n’y a rien dans le dossier pour imputer valablement la mort à Justin ; il faut l’acquitter et vous aurez rendu justice au peuple béninois et non faire vengeance », insiste Me Angelo Hounkpatin.
La réplique du ministère public ne s’est pas fait attendre. Si la matérialité d’un fait peut reposer sur la science, la défense sait que le témoignage peut permettre de relever la vérité, rétorque le ministère public pour insister sur la culpabilité de l’accusé qu’il a montrée.
En contre-répliquant, la défense argumente que quand on met les éprouvettes en jeu, la vérité jaillit et on ne peut pas fonder la condamnation sur de simples témoignages. La cour se retire et après délibérations conclut à l’existence d’un doute dans le dossier, sur la base des articles 360 à 363 du Code pénal. Mis sous mandat de dépôt le 8 mars 2012, Justin Kpéïdja recouvre la liberté aujourd’hui même. Les frais sont mis à la charge du Trésor public.
Résumé des faits
Courant novembre 2011, au cours d’une dispute, le nommé Justin Kpéïdja a arraché le coupe-coupe que brandissait sa femme Nadine Batossi et aurait assené des coups de machette à cette dernière, enceinte de sept (07) mois. Les mêmes scènes de violence se seraient répétées.
Quelques semaines plus tard soit le 9 janvier 2012, la victime a rendu l’âme et son corps ensanglanté a été déposé à la morgue traditionnelle de Ouègbo par le mari qui se serait par la enfui dans son village Aïfa, dans la commune de Zè. Des recherches ont permis de l’appréhender.
Inculpé pour crime de coups mortels, le nommé Justin Kpéïdja a nié les faits mis à sa charge.
Le bulletin n°1 du casier judiciaire de l’accusé ne porte trace d’aucune condamnation antérieure. L’enquête de moralité ne lui est pas très favorable, l’accusé étant reconnu comme un véritable bagarreur.
Composition de la cour
Président : Christophe Atinmakan
Assesseurs : Zacharie da Sèkpo
Malick Kossou
Ministère public : Christian Atayi
Greffier : Désiré Sèmèvo.
Liste des jurés :
Mariette Ahouansou,
Assiba Denise Aïzannon
Coffi Prosper Gbèdandé
Gaston Olaoluwa Adékambi.