Instaurer une meilleure gouvernance dans tous les secteurs et lutter contre l’impunité constituent un cheval de bataille pour le président Patrice Talon. La chasse aux prévaricateurs des deniers publics suit son cours avec des interpellations tous azimuts, des arrestations et des procès, quoique certains estiment que ce combat est sélectif.
Depuis l’avènement du gouvernement du Nouveau départ, un accent est mis sur l’assainissement des finances. Les résultats des missions d’audit organisationnel, comptable et financier des structures publiques, sont divulgués et des personnes mises en cause citées nommément avec les griefs à leur encontre. Les affaires se succèdent. Irrégularités constatées dans la gestion du Fonds national de microfinance, prévarications notées à la Société nationale pour la promotion agricole (Sonapra) et à l’Office national de sécurité alimentaire (Onasa), manquements relatifs aux comptes du Programme d’appui au sous-secteur de transport rural, Phase 2 (Pastr II), dysfonctionnements dans la gestion de l’Association Projet d’appui au développement des micro-entreprises (Padme) au titre de l’année 2016, fautes « lourdes » à la mairie de Cotonou...
C’est ainsi que le Conseil des ministres du 2 août 2017, a décidé de la révocation de la convention d’exploitation de réseaux de téléphonie mobile de norme Gsm signée, le 8 octobre 2007, entre le gouvernement béninois et la Société Bell-Bénin Communications S.A. En effet, des défaillances notées font état du non-paiement de la contrepartie financière de la licence attribuée à la société pour un montant de 6 milliards de F Cfa ; du non-paiement des redevances dues au titre de sa licence pour un montant de 12 089 012 237 F Cfa ; des dettes envers les sociétés et offices d’Etat s’élevant à plus de 9 milliards F Cfa ; des dettes envers les opérateurs privés du secteur s’élevant à 2 861 644 076 F Cfa ; des dettes envers les abonnés, dont le préjudice financier n’a pu être évalué compte tenu du caractère imprévisible de l’extinction de son réseau ; des dettes fiscales s’élevant à 491 845 562 F Cfa.
Dans la même veine, éclate l’affaire de placement hasardeux des fonds de la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss) à la Banque internationale du Bénin (Bibe). Des mis en cause dont le syndicaliste Laurent Mètongnon, ancien président du conseil d’administration de la Cnss, et l’administrateur des finances Youssao Saliou Aboudou, alors directeur général du Budget par intérim, ont été déposés à la prison civile de Cotonou, le jeudi 23 novembre 2017 et attendent d’être jugés. L’un des avocats de la défense, Me Ibrahim Salami, soutient que « Sur le plan du droit, le dossier est vide », justifiant que « la preuve n’a pas été rapportée que les montants ont été remis » aux intéressés. Pour rappel, le Conseil des ministres, en sa séance du 2 novembre 2017, avait instruit le ministre de Justice à l’effet d’engager des poursuites judiciaires à l’encontre des anciens dirigeants de la Cnss « qui ont commis des actes de gestion frauduleuse et bénéficié de commissions occultes et/ou autorisé des placements hasardeux à la Bibe, une banque déclarée en faillite par la Commission bancaire de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa) ». Au total, sur la période d’avril 2014 à octobre 2015, a souligné le Conseil des ministres, plus de 17,5 milliards de francs Cfa ont été placés auprès de la Bibe, contre le versement de commissions d’un montant de plus de 71 millions F Cfa.
Fausses quittances à la Soneb et faux médicaments à la pharmacie
Par la suite, des irrégularités ont été constatées lors des séances d’apurement des dettes fiscales de la Société nationale des eaux du Bénin (Soneb) dont le directeur général, David Babalola, sera inculpé et emprisonné. Des quittances de caractère frauduleux pour un montant total de 261 964 852 francs Cfa, renseigne le compte rendu du Conseil des ministres du 8 novembre 2017. « Tout ceci n’aura été possible que grâce à un dispositif de fraude mis en place en complicité avec le conseil fiscal de la direction générale pour dilapider les fonds de la société », lit-on dans le compte rendu dudit Conseil.
Puis, ce sont les grossistes répartiteurs en produits pharmaceutiques qui ont récemment fait les frais de la lutte sans merci contre l’impunité. Mis sous mandat de dépôt pour vente de médicaments falsifiés ; exposition, détention en vue de vente, mise en vente ou vente de substances médicamenteuses, falsifiées ou toxiques, ils ont comparu et ont été condamnés. Quarante-huit mois de prison et 10 millions de francs Cfa pour chacun des patrons des sociétés, le tout assorti d’une amende de 100 millions F Cfa de dommages à verser solidairement à l’État, c’est la sentence rendue, le 13 mars dernier, par le tribunal de première instance de première classe de Cotonou qui a connu du dossier. « Que l'on puisse s'occuper de lutter efficacement contre le trafic de faux médicaments ou de médicaments en général, ça ne peut être que bien pour le Bénin », commentera Jean-Baptiste Élias, président du Front des organisations nationales contre la corruption (Fonac).
Tout est parti de l'arrestation d'un livreur de médicaments, qui a conduit à la découverte d’entrepôts appartenant au député Mohamed Atao Hinnouho et à sa compagne. La police y a saisi 151 tonnes de médicaments, de réactifs et autres équipements médicaux. Des pharmaciens s’approvisionneraient à travers le réseau entretenu par le député en cavale et recherché, qui n’est ni grossiste ni pharmacien.
Déjà, en février 2017, le gouvernement du Nouveau départ avait lancé l’opération Pangea IX de lutte contre les faux médicaments, dans le but d’assainir le secteur pharmaceutique au Bénin. Plus de 100 tonnes de produits pharmaceutiques d’origine douteuse ont été arraisonnés par les forces de sécurité sur plusieurs sites de vente, notamment dans le célèbre marché Adjégounlè (Dantokpa). Une bonne quantité de ces produits de peu qualité ou mal conservés, présumés nocifs pour la santé, a été incinérée. Des trafiquants ont été mis aux arrêts puis condamnés.
Un combat sélectif ?
Si la volonté politique du gouvernement d’en découdre avec la mauvaise gouvernance et l’impunité est manifeste, il n’en demeure pas moins que des citoyens restent sceptiques quant à l’issue des cas de malversations dévoilés. D’autres estiment que la lutte contre la corruption est sélective et ne touche pas les proches du président de la République. « Une vraie lutte contre la corruption doit être planifiée afin d’éviter qu’elle soit sélective », avait laissé entendre Laurent Mètongnon, syndicaliste, membre du Front pour le sursaut patriotique (Fsp), quelques semaines avant son incarcération dans l’affaire de placement de fonds de la Cnss. Le Parti communiste du Bénin (Pcb), le Fsp et autres parleront, en ce qui concerne le syndicaliste critique et en verve, d’une arrestation et d’un règlement de comptes « purement politiques ».
« Nous sommes égaux devant la loi, pourquoi protéger certains de manière extraordinaire et faire d’autres la proie de la justice ? » se demande Martin Assogba, président de l’Association de la lutte contre la corruption, le racisme, l’ethnocentrisme et le régionalisme (Ong Alcrer), faisant allusion aux anciens membres du gouvernement et aux députés qui jouissent de l’immunité et paraissent, aux yeux de la population, des ‘’intouchables’’ de la République.
Le ministre de la Justice et de la Législation, Joseph Djogbénou, bat en brèche les arguments de ceux qui estiment que la lutte est ‘’sectaire’’, rassurant de l’engagement du gouvernement à continuer le combat contre la mauvaise gouvernance et l’impunité, et de sa détermination de l’Exécutif à ne pas faire du deux poids deux mesures dans les poursuites judiciaires. « C’est un faux procès fait au gouvernement », estime-t-il. Pourquoi n’a-t-on pas parlé de sélectivité lorsque le président de la République relève de leurs fonctions certaines autorités qui sont supposées proches de lui, s’interroge le ministre de la Justice? allusion faite à l’ancien directeur général du Conseil national des chargeurs du Bénin (Cncb), Antoine Dayori ; l’ancien directeur général de l'Agence nationale de l'aviation civile (Anac), Béhanzin Prudencio ; l’ancien ministre des Infrastructures et des Transports, Hervé Hêhomey, limogés en 2017.
Le président Patrice Talon lui-même a réaffirmé, à maintes reprises sa détermination à « mener ce combat sans état d’âme ». « Il est d’autant plus nécessaire que la corruption a atteint, depuis de longues années maintenant, un seuil insupportable et constitue un frein à l’essor économique de notre pays », a-t-il justifié. « Aussi, l’impunité qui en assure la perpétuation, ne doit-elle plus avoir droit de cité au Bénin », a martelé le président de la République.
Il a annoncé des actions hardies en vue non seulement de contribuer à décourager le détournement des deniers publics, les trafics illicites, la corruption, l’impunité, mais aussi d’accentuer la mobilisation des ressources internes. A ce propos, le chantier de la dépolitisation de l’Administration publique, de la dématérialisation des procédures de paiement se poursuivra en vue d’améliorer les recettes fiscales et de minimiser le volume des transactions financières entre personnes physiques, généralement sources de corruption.
La Justice, principale garante du respect des lois républicaines, ne restera pas en marge de cette lutte. Après l’opérationnalisation des chambres administratives dans les tribunaux de première instance et les cours d’appel, la carte judiciaire sera renforcée cette année avec la construction et l’installation progressives de nouveaux tribunaux. Outre l’augmentation régulière de l’effectif des magistrats, un nouveau projet de statut de la magistrature est initié en vue de relever les conditions de travail et d’existence de celles et ceux appelés à rendre la justice au nom du peuple.
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