Au Bénin, en dépit de la modernisation, certaines pratiques culturelles comme le culte des jumeaux résistent au temps. Dans de nombreuses familles, une importance capitale est accordée à la vénération des statuettes de jumeaux. Enquête.
Des bois, sculptés et jaunis à la forme d’un être humain. D’aucuns diraient des poupées à l’africaine. Mais pour Micheline A., ces statuettes sont plus que du bois. Pour cette dame, la quarantaine, elles représentent les gardiens de l’âme de ses deux fils jumeaux décédés. ‘’Juste après des cérémonies funéraires instaurées par la tradition, ma belle-famille m’a obligée à entretenir ces statuettes dans ma chambre et à les porter sur moi en signe de respect, protection et de fraternité pour mes enfants défunts », confie-t-elle.
Hésitante au départ, Micheline A., est d’autant plus convaincue aujourd’hui qu’elle accorde l’attention requise à ces statuettes qu’elle habille, nourrit et soigne autant qu’elle devrait entretenir ses enfants. Tout comme elle, nombreux sont les Béninois qui accordent une dévotion inédite à la représentation de leurs enfants ou frères jumeaux. ’Les jumeaux ne meurent pas, ils sont allés chercher du bois de chauffe à la forêt’’. C’est ce que laissent entendre la plupart. Ces êtres génétiquement et morphologiquement identiques sont vénérés dans la tradition africaine qui les considère comme une divinité venue habiter parmi les humains. Ces statuettes qui cohabitent avec les hommes, loin d’être du fétichisme ou un comportement irrationnel révèlent la réalité socioculturelle de plusieurs communautés et autres tribus béninoises. Ne pas respecter les prescriptions expose l’auteur de l’acte à des situations insolites voire dramatiques. ‘’Un jour ma fiancée a injurié les statuettes qui sont censées être ses enfants jumeaux avortés à 4 mois de grossesse. Du coup, dans la même semaine, elle a perdu son travail. Bien évidemment, personne n’a compris ce qui lui arrivait car elle avait des maux bizarres. Seule la consultation du Fa a permis de la sauver après des sacrifices propitiatoires et des offrandes aux jumeaux outragés‘’ », témoigne Hègbè A., Zémidjan au quartier Zogbadjè à Calavi.
« Ça ne se négocie pas, quelle que soit votre obédience religieuse »
Ainsi, ces statuettes restent les âmes des jumeaux à qui même les parents vouent un respect particulier. Des cérémonies, des rituels spécifiques et périodiques leur sont offerts au risque de déclencher la colère des jumeaux ainsi donc des morts. Hounnongan Dahto, prêtre de Thron Kpéto Déka Alafia, membre de l’association fraternelle des jumeaux explique : ‘’Lorsque tu as eu à avorter de ces enfants et que tu ne reviens pas les chercher de la forêt, ils te bloquent toutes les voies. Il n’y a pas à négocier par rapport à ton obédience religieuse. Tu peux les réincarner et après les confier aux Hounnon’’. Tout comme les enfants ordinaires, les jumeaux, une fois décédés doivent être réincarnés pour pouvoir achever leur mission sur terre. Cette réincarnation, dans ce cas-ci, se fait avec la représentation et l’appel de l’âme à travers les sculptures. Ces enfants, renaissent habituellement à partir de l’un des 4 éléments divinatoires à savoir l’air, la terre, l’eau et le feu. C’est au cours de la consultation de l’oracle que l’enfant décide de renaitre dans tel bois ou dans l’autre. « L’arbre utilisé est choisi entre le caïlcédrat ou l’iroko, puisque quand l’enfant doit revenir, c’est du corps dans lequel il se sentira mieux, qu’il se revêtira », explique Avossè Kpoviessi Medjigbodo, Prêtre du vodoun Zèkpon. Le culte des jumeaux revêt une grande importance, mais l’occidentalisation et la misère ambiante des peuples ont sapé les mœurs et porté un coup à ces us et pratiques longtemps considérés comme sacrés.
Marina HOUNNOU(Coll.)