Le karité, en raison de son potentiel, fait de plus en plus l’objet d’une forte demande sur le marché mondial. Mais en proie à une destruction sauvage au Bénin, il est considéré comme le parent pauvre des filières agricoles. Au regard de l’alerte donnée par la plupart des acteurs, bien des mesures sont à prendre pour circonscrire le mal.
Alerte, les parcs à karité sont mis en péril dans les départements du Borgou et de l’Alibori ! Inquiétante parait la situation dans plusieurs de leurs communes où cette ressource est considérée à forts potentiels. Dans les forêts de Kérémou, arrondissement de Sorokou, à Banikoara et des trois rivières à Kalalé, ainsi que les communes de N’Dali, Bembèrèkè et Kandi, les réserves les plus importantes de karité sont en train de disparaître. Elles laissent entrevoir des paysages dont la densité en arbres à karité tend vers zéro avec entre 30 à 20 pieds à l’hectare.
« A peine le tiers du potentiel reste encore disponible. En témoigne le faible peuplement à travers la répartition spatiale agrégative des arbres de karité », informe le coordonnateur de l’Association karité Bénin (Akb), Urbain Gbéou. Parce qu’il pousse à l’état sauvage, confie-t-il, le karité fait aujourd’hui l’objet d’une prédation anarchique.
En effet, l’espèce est victime d’abattage sauvage. D’après les statistiques, le karité est utilisé aujourd’hui dans une proportion de 29 % pour fabriquer des œuvres d’art, des tabourets, des mortiers et des pilons, puis à faire des palissades et à ériger des greniers. Pour les besoins en bois de chauffe et la fabrication de charbon, le pourcentage est évalué à 23 %. En ce qui concerne son utilisation à des fins religieux dans le cadre des cérémonies, enterrements et autres usages médicinaux ou pratiques rituelles, elle est de 7 %.
Selon le maire de Banikoara, Bio Sarako Tamou, c’est à cause du cotonnier réputé consommateur d’une grande partie du couvert végétal, pour satisfaire les conditions agro-écologiques optimales nécessaires à son bon développement végétatif, que les parcs de karité ne cessent de se clairsemer. Des propos soutenus par le gestionnaire de l’Union communale des coopératives de femmes (Uccf) de Banikoara, Mohamed Boubari. « A chaque campagne, les producteurs abattent un nombre très important de karité, le coton ayant besoin du soleil pour sa croissance », poursuit-il.
Résident à Bembèrèkè où depuis 1989 il fait le coton, le producteur Amidou Gbian semble bien leur donner raison. Pour la campagne cotonnière 2017-2018, il a emblavé un domaine de plus de 20,5 ha sur lequel rares sont les arbres dont ceux de karité, qui ont été ménagés. Comme lui, ils sont nombreux à être tentés par le programme d’intensification de production du coton qui prévoit à l’hectare, un rendement de 3 tonnes. La conséquence, c’est le peu d’arbres de karité encore disponibles dans les champs qui risque d’en pâtir, si rien n’est fait.
Par ailleurs, à ces effets anthropiques exercés par l’homme, s’ajoute le vieillissement du parc à karité. D’où, les risques d’extinction de la filière d’ici 20 à 25 ans, dans certaines communes du Borgou et de l’Alibori notamment Banikoara, le bassin cotonnier du Bénin. Cette commune ne disposera plus de cet arbre qui pourtant, assure son maire, a un impact direct sur son économie. Il lui permet de mobiliser des ressources endogènes.
Des effets induits
Le Bénin est un pays dont l’économie repose sur le secteur rural. En dehors de la production agricole, les produits forestiers non ligneux y sont aussi d’une grande importance. Au nombre de ces produits, figure le karité considéré comme l’or des femmes du septentrion qui s’adonnent au ramassage ou à la transformation de ses amandes.
Lorsqu’on voit la demande sur le marché mondial et dans les industries qui utilisent ses dérivées comme matières premières, le karité est une filière prometteuse et à forts potentiels. Bientôt, il pourrait même rivaliser avec le coton et l’anacarde.
Après le Mali, le Burkina Faso et le Nigeria, le Bénin est le 4e pays ouest-africain à produire des amandes de karité. En matière de rentrée de devises qu’il en tire, le karité constitue sa 3e filière d’exportation. Au regard de son potentiel caractérisé par le nombre de personnes qu’il occupe et sa contribution de plus en plus importante dans la balance commerciale, il y a donc nécessité pour l’Etat de l’accompagner. En prenant l’option, depuis près de six ans, de lancer la campagne de commercialisation de ses amandes, le gouvernement marque sa volonté de soutenir la filière. Il a décidé d’en faire un secteur porteur pour la réduction de la pauvreté.
En effet, au cours de la campagne 2016-2017, les achats d’amande de karité ont porté sur une quantité de 81 784 tonnes, contre 61 847, la précédente. Ainsi, comme les différents acteurs de la filière s’accordent à le reconnaître, la destruction telle qu’elle s’effectue induit une baisse sensible de la récolte. Ils redoutent surtout un effondrement de l’économie des communes qui en sont productrices, si des efforts ne sont pas faits pour préserver les parcs à karité. « Les exportations d’amande de karité seront affectées, en raison de leur faible disponibilité. Dès lors, le Bénin pourrait se retrouver dans une position peu enviable parmi les pays producteurs dans la sous-région ouest-africaine », avertit Urbain Gbéou de l’Akb.
Déjà, les regroupements de femmes qui, comme l’Uccf de Banikoara, s’adonnent à la commercialisation ou à la transformation des amandes de karité en beurre, n’ont plus la tâche aisée. Aujourd’hui, elles ont des difficultés à s’approvisionner. Les amandes deviennent de plus en plus rares. « Pour les avoir, les femmes doivent parcourir de longues distances dans la brousse », fait remarquer le gestionnaire de l’Uccf Banikoara, Mohamed Boubari. A l’en croire, les chiffres d’affaires de l’Uccf Banikoara qui compte 75 groupements avec 175 femmes membres, ont commencé par chuter. « En 2016, nous avons fait un chiffre d’affaires de 11 millions F Cfa qui est descendu à 9 millions l’année dernière. C’est parce que nous n’arrivons plus à avoir facilement la matière première », a-t-il déploré. La secrétaire de cette structure qui s’occupe de la transformation des amandes de karité en beurre, en pommade, en savon et autres produits dérivés, Maïmouna Yakoua Bio Kadou, est préoccupée. Comment va fonctionner l’unité de transformation dont s’est dotée sa structure qui existe depuis 1998 ? « On abat les karités sans penser à les remplacer par d’autres », laissera-t-elle entendre, dépitée.
Plus de 500 000 femmes rurales vivent directement du karité, en tant qu’activité génératrice de revenus. Que leur réserve l’avenir ?
Au-delà de ces femmes, il y a le cas des sols sans protection et de plus en plus exposés au phénomène de l’érosion, du fait de l’abattage prononcé des karités. Leur importance dans la conservation des terres et la biodiversité n’est donc plus à démontrer.
Selon le maire de Banikoara, la filière a aussi besoin de réformes sérieuses. Contrairement au palmier à huile, le karité n’a jamais bénéficié d’un programme de plantation systématique. Une situation qui ne garantit pas la pérennité de la production. « Il faut que le karité soit déclaré espèce protégée », propose le gestionnaire Mohamed Boubari. Mieux, le président de la Fédération nationale des acheteurs des produits agricoles et tropicaux du Bénin (Fenapat), El Hadj Bouré Batouré, demande au gouvernement d’interdire leur abattage afin de les sauvegarder.
De la domestication du karité
Bien qu’elle existe, la régénération naturelle n’arrive pas à survivre aux feux de brousse, aux défrichements des champs, aux labours et au pâturage. Les techniques de jachère pouvaient lui être d’un grand apport. Malheureusement, elles ne durent pas plus de dix ans.
Par le passé, les populations marquaient leur attachement aux traditions ancestrales qui les obligeaient à préserver systématiquement l’arbre à karité sur les champs. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Elles sont en train de perdre ces pratiques.
Soucieux de ne pas voir la filière tomber, ses acteurs rivalisent d’ardeur pour la sauver. Pour ne pas rater le rendez-vous, l’Akb les appelle à s’adapter aux changements majeurs que connait l’industrie mondiale du karité. Tout en encourageant le gouvernement à veiller à ce que les générations à venir puissent continuer à bénéficier de cette ressource, elle a réaffirmé sa volonté à assurer partout au Bénin, une protection à chaque pied de karité. Elle a également contribué à la formation, du 25 au 27 juillet 2017 à Djougou, de nombreux pépiniéristes sur les techniques de production de plants de karité, ainsi que les techniques de sa régénération naturelle. Dans le but d’accroître la production nationale et de satisfaire aux exigences du commerce international, Nestor Déwindji de l’Akb estime qu’il est nécessaire, à l’instar des autres pays de la sous-région, de penser à la culture des karités sélectionnés. Ce sera, rassure-t-il, à travers un projet pilote dont l’objectif est de former des pépiniéristes pour préparer 18 000 plants en pots et 1 200 plants greffés. Selon lui, il s’agit de domestiquer le karité afin qu’on puisse le planter. Il faut que chaque acteur du karité puisse avoir son champ comme c’est le cas pour l’anacarde, le palmier à huile et le coton.
A cette occasion, des communes comme Banikoara, Bembèrèkè, Gogounou, Karimama, Malanville et Ségbana sont appelées à voir leurs plantations de karité renouvelées. Comme préalable, l’implication des populations locales, des autorités politico-administratives et traditionnelles est attendue. L’objectif poursuivi, c’est de s’assurer d’une meilleure appropriation de l’initiative par tous.
A cet effet, l’Uccf de Banikoara a déjà commencé par sensibiliser ses membres, ainsi que les villageois par rapport à la nécessité de reconstituer le peuplement de karité. Elle ne manque pas aussi de solliciter les Organisations non gouvernementales pour l’aider à faire les pépinières.
Certes, l’Agenda 21 du Bénin avait prévu cette domestication. Mais jusqu’à présent, aucune action n’a été menée par le gouvernement pour appuyer la recherche agricole au niveau du karité conformément au relevé n° 48/SGG/REL des décisions administratives du Conseil des ministres du 2 décembre 1999 et à l’Agenda.
Cette restauration participera incontestablement à la lutte contre la désertification inquiétante observée dans les zones où cette ressource a été décimée. Elle renforcera aussi les économies des communes concernées et améliorera, dans une certaine mesure, les indices de pauvreté liées à la croissance économique nationale
Maurille GNASSOUNOU A/R Borgou-Alibori