Le Président de la République du Bénin était, hier, sur l’émission internationale qu’organisent, chaque dimanche, Rfi, TV5 et le journal Le Monde. Sans langue de bois et dans une aisance impressionnante, Patrice Talon a répondu à toutes les questions, même parfois les plus osées. Son état de santé, sa mode de gouvernance, les soupçons de conflits d’intérêts au sommet de l’Etat, la libération des espaces publics, ses adversaires politiques, la présidentielle 2021… Tout est passé au peigne.
Comment se porte le Chef de l’Etat, après deux interventions chirurgicales intervenues en 2017 ? A cette question des journalistes, Patrice Talon a rassuré qu’il va bien comme d’ailleurs l’attestent ses bilans périodiques. En dévoilant à la place publique son réel état de santé à l’époque des polémiques qui le donnaient pour inapte à poursuivre son mandat, le Chef de l’Etat explique avoir voulu jouer la carte de la transparence. Une « transparence inhabituelle sur le continent », feront observer les intervieweurs. « Ce faisant, je n’ai de leçon à donner à personne », a atténué Patrice Talon. Sur sa gouvernance qui suscite aussi des commentaires et des critiques au point où d’aucuns qualifient de « gouvernance à mode privée », l’homme se veut plus réaliste. « Une entreprise, c’est l’efficacité, la rentabilité, la durabilité. Un pays, c’est la famille élargie. Ce qui importe, c’est de trouver des solutions durables qui apportent de la prospérité, des solutions durables pour l’ensemble des citoyens. La vie économique du pays doit contribuer à la prospérité de tout le monde, de tous les actionnaires. Je ne trouve pas que ce soit une mauvaise chose d’avoir à l’esprit l’efficacité, la prospérité durable. Il ne sert à rien de dire que ce qui importe pour le pays, c’est de faire plaisir à tout le monde, chaque jour sans chercher à apporter des solutions réelles aux problèmes d’éducation, de santé, d’infrastructures, d’énergie et de manière durable », a-t-il soutenu.
Soupçons de conflits d’intérêts ?
A propos de ce que certains qualifient de « conflits d’intérêt », face à la gouvernance Talon, Il s’en est également défendu. Talon a d’abord, relevé que partout, les populations craignent que les dirigeants profitent de leur position pour se servir, s’enrichir. Qu’ils aient été ou non dans les affaires. Il dit mesurer, depuis qu’il est au pouvoir, combien quelqu’un qui n’est pas à l’abri du besoin peut être influencé et fragile devant les possibilités d’enrichissement. Ce qui n’est, heureusement, pas son cas. Aussi affirme-t-il que le risque de conflit d’intérêts n’est pas fondé en ce qui le concerne, surtout qu’il n’a plus d’intérêts personnels directs dans les entreprises qui lui appartenaient. « J’ai cédé mes parts », rappelle-t-il. Et si le PVI est conduit par une entreprise qui lui a appartenu et qu’il a, depuis, cédée à ses enfants et amis, il assure veiller au grain afin que les gérants ne se servent pas de sa position à des fins personnelles. « J’ai pris garde. Je fais attention à ce que ceux-ci (les amis et parents à qui il a cédé ses parts de la société qui gère le PVI) ne soient pas mêlés aux affaires dans lesquelles je peux prendre des décisions. Mon souci principal est de veiller à ce qu’ils aient des prestations irréprochables de manière que nous soyons tous fiers à la fin… », insiste-t-il.
Ne détient-il pas aussi trop de pouvoirs ; étant aujourd’hui président après avoir été classé première fortune du pays ? « En quoi être à l’abri du besoin peut-il être préjudiciable à la gouvernance ? Je pense même que les dirigeants doivent être à l’abri du besoin pour être débarrassés de ce genre de pression. Dès lors, on travaille avec efficacité. », a répondu Patrice Talo, ajoutant que « les hommes pensent couramment que les positions doivent permettre de s’enrichir. Ce n’est plus mon cas. Ce qui me motive, c’est le succès. »
De la libération des espaces publics
Le sujet a suscité beaucoup de polémiques et certains ne démordent pas toujours. Patrice Talon s’est encore expliqué hier sur cette fameuse opération de déguerpissement des espaces publics. Il a surtout précisé qu’il ne s’agissait pas de mettre fins aux activités des personnes concernées, mais qu’il s’agissait d’une œuvre d’éducation pour leur faire comprendre que les trottoirs ne sont pas faits pour être colonisés par l’activité commerciale (pendant que les marchés existants sont inoccupés à plus de la moitié), et qu’il s’agissait aussi de créer les conditions d’embellissement de nos villes, à travers l’aménagement des trottoirs, l’asphaltage. Pour le Président de la République, le commerce ne doit pas aller vers les hommes, mais le contraire. Dans tous les cas, Patrice Talon fait observer que tout ceci, les réformes engagées, favorise un retour au vert des indicateurs et que ce sont tous ces efforts qui permettent de créer l’emploi ; celui-ci ne se décrétant pas.
En somme, rassure-t-il encore, on n’a pas supprimé les activités des personnes, ni même les besoins. On demande simplement aux gens de ne plus occuper les trottoirs mais de faire par exemple des lucarnes, des boutiques à domicile, pour y exercer leur commerce. Là-dessus, il donne l’exemple d’une vendeuse de bouillie pour dire que ceux qui en prennent au petit déjeuner en auront toujours besoin, et qu’il s’agira à l’avenir qu’ils aillent vers les lieux appropriés pour en avoir auprès des vendeuses.
Gestion déléguée et boucle ferroviaire
Le débat se fait également vif au Bénin autour des options faites par Patrice Talon pour la conduite de certaines sociétés d’Etat. Les journalistes ont pris l’exemple du Port de Cotonou pour chercher à comprendre pourquoi la gestion d’entités publiques est confiée à des privés.Talon a, d’entrée, tenu à préciser qu’il ne s’agit pas de privatisation. Que parlant du Port précisément, il demeure la propriété de l’Etat béninois. Mais qu’il est question de lui imprimer une nouvelle dynamique pour engranger des résultats pertinents, de l’efficacité. Ici précisément, il montre comment la solution la plus simple politiquement, s’il ne recherchait pas les résultats, aurait été de céder aux demandes de partisans et parents en leur confiant la gestion, alors même qu’ils n’ont pas les compétences requises. Il rappelle que, comparé à ceux de la sous-région, le port béninois n’était pas compétitif. Et précise que son objectif, c’est bien de redonner totalement vie à ce port. Sur ce, il évoquera les états de services du Port d’Anvers retenu pour impulser la dynamique voulue, avant de laisser entendre : « Je fais des choses difficiles. Je prends le risque d’affronter des partisans, des parents, en leur refusant le poste. N’est-ce pas un mérite d’agir ainsi ? »
En ce qui concerne le projet de la Boucle ferroviaire, Patrice Talon a réaffirmé sa vision, son ambition de réaliser le projet aux meilleures conditions pour les deux Etats : le meilleur financement pour des équipements répondant aux exigences actuelles. Ce que ne peut favoriser le financement privé commercial comme initialement engagé par son prédécesseur. Pis, à le croire, le conflit entre les deux acteurs du dossier (Bolloré er Dossou-Aworet) n’est pas de nature à faciliter les choses. Raison pour laquelle il les engage à se retirer à l’amiable pour mettre fin à l’imbroglio juridique qui paralyse le dossier.
Activisme politique des adversaires
L’un des journalistes fera constater, hier, que le chef de l’Etat béninois semble avoir toute la classe politique à dos. Patrice Talon répondra qu’il n’en est rien, qu’il a la majorité au parlement et que même lors du rejet du projet de révision, une large majorité s’était dégagée en sa faveur, le projet n’ayant été rejeté qu’à trois voix près, conformément aux exigences de la Constitution. Rappelons qu’il fallait 63/83 voix pour engager les débats sur le fond et que le projet en a recueilli 60. Mais, d’une lucidité implacable, Patrice Talon dit qu’il comprend bien que certains politiques s’en prennent à lui. « Je ne fais rien pour séduire la classe politique. Je n’ai pas vocation à faire l’unanimité », avoue-t-il, pour montrer combien il sait où il va.
Une autre question était également revenue, hier : le nombre de femmes au gouvernement. Talon, a reconnu que c’est effectivement peu. Il fait même amende honorable en affirmant : « Je ne suis pas fier de ça ». Et il précise aussitôt : « Nous travaillons à corriger les choses. La parité est un objectif, une préoccupation mais je n’en fais pas le principe essentiel et unique ». A propos des enfants qui travaillent, un des intervieweurs a mis le curseur sur le cas des enfants qui sont dans les marchés, aident leurs parents ou tuteurs. Le président a dit que ce phénomène est effectif, et que c’est aussi pour le freiner que le programme de cantines scolaires a été relancé. Ce, afin que les enfants de milieux défavorisés aillent à l’école, assurés d’y avoir au moins un repas chaud par jour.
La question sur l’exercice du droit de grève au Bénin n’a pas été non plus occultée. Patrice Talon a levé l’équivoque en précisant que le projet parlementaire, dont il n’est pas l’initiateur mais qu’il a soutenu, visait le retrait du droit de grève essentiellement aux secteurs de la Justice et de la Santé. Car, dira-t-il, ce sont deux secteurs auxquels le peuple paie un lourd tribut pour leurs mouvements de grève. Il a surtout insisté sur le bien-fondé de la réforme inaboutie, en tenant compte des éléments de contexte ; qui ne sont pas forcément ceux d’ailleurs qui permettent de lire autrement la démarche. Il en est de même pour le mandat unique. Le Chef de l’Etat affirme qu’il continue de croire que c’est une réforme pertinente pour notre pays qui a besoin d’être gouverné avec courage, sans devoir faire recours au populisme. Car, en l’état actuel des choses, si on n’est pas déterminé, si on n’est pas animé par la volonté de réussir, on évitera les mesures difficiles, voire impopulaires. Mais, prenant acte du sort réservé à la révision, il fait remarquer : « Je ne suis pas obstiné dans mes choix » pour signifier qu’il sait compter aussi avec les opinions des autres. Et aussi, dire qu’il considère que l’opinion et la classe politique n’étaient pas prêtes pour les réformes préconisées dans le projet de révision. Candidat ou pas à sa succession ? A écouter le président TALON, on comprend que la question n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant.
L’interviewé qui fait impression
Encore un coup de maître. Emission de belle facture dans le fond comme dans la forme. Hier, le monde entier au pu constater que le président Talon est apparu bien à l’aise, pugnace quand il le fallait, mesuré quand il le fallait, bref un homme qui sait ce qu’il a à faire et où il va. C’est toute une fierté qu’on ressent de voir le président béninois représenter valablement le pays, en rehaussant l’image par sa prestation, sa vivacité d’esprit, sa posture. On a également ressenti hier, un Talon combattif, décidé à avancer et surtout à réussir son mandat, un président soucieux que son action impacte positivement la vie du plus grand nombre.
Il est aussi à noter que le président ne pouvait mieux choisir pour une prise de parole publique à pareil moment. Certes, il ne s’agissait pas de faire le bilan des 2 ans écoulés, mais la période est propice pour parler de ce qui se fait. Or, depuis son arrivée au pouvoir, il a déjà fait deux grands entretiens avec les médias audiovisuels du pays. Le 6 avril dernier, il a signé une tribune dans la presse quotidienne nationale, reprise par quelques médias audiovisuels. Il est donc normal qu’il se tourne vers l’international où, la dernière fois qu’il a vraiment pris la parole pour un exercice du genre, il était sur la défensive après le rejet du projet de révision de la Constitution. En faisant cet exercice maintenant, le président est dans une phase plutôt offensive et une dynamique positive. Il permet aussi de mettre le Bénin au-devant de l’actualité car cette émission sera suivie de partout le monde.
Christian TCHANOU