Au Bénin, le patrimoine est mal entretenu mais tout peut être bien fait. L’archiviste et gestionnaire de patrimoine, Franck Ogou a montré que le «Bénin n’est pas un désert de compétences dans le domaine». Dans l’entretien accordé à votre quotidien, Il a soutenu que l’Etat pourra tirer profit de la gestion de ses biens culturels si on fait confiance aux compétences nationales. Lire l’interview.
Matin Libre : Bonsoir M. Franck Ogou. Vous êtes archiviste et gestionnaire du patrimoine à l’Ecole du patrimoine (Epa) de Porto-Novo. Dîtes nous ce que c’est que le patrimoine.
Franck Ogou : Bonjour monsieur le journaliste. Le patrimoine de façon courante est défini comme tout ce que nous avons hérité de nos anciens. Cette définition n’est pas fausse mais elle est incomplète. Le patrimoine comme le définissent les institutions œuvrant dans ce domaine, est l’ensemble des éléments tangibles et intangibles que nous avons hérité, que nous devons conserver et transmettre aux générations futures. A partir de cette définition, nous percevons que le patrimoine peut être tangible à savoir les biens meubles, les immeubles et intangible notamment les danses, le savoir-faire et les pratiques culturelles ... Il y a aussi la notion de conservation et de transmission. C’est l’ensemble de ces éléments qui définit le patrimoine.
Au Bénin, comment gère-t-on le patrimoine?
La gestion du patrimoine au Bénin est d’abord l’affaire du ministère en charge de la culture à travers la Direction du patrimoine culturel (Dpc), qui est une des directions techniques de ce ministère. Cette direction a en charge la gestion des musées et des sites patrimoniaux.Mais à côté de la Dpc, il y a aussi des associations qui accompagnent la mise en œuvre de la politique de l’État dans la gestion du patrimoine à travers des projets de développement. Les communautés détentrices de ces patrimoines même si elles ne sont pas directement vues ont aussi un rôle important dans la gestion du patrimoine.A cette liste s’ajoutent d’autres institutions qui font surtout de la formation et qui mettent sur le marché des professionnels réputés pour la gestion du patrimoine.Mais tout ce dispositif ne fonctionne pas comme cela se doit car on observe encore et malheureusement des problèmes de gestion de notre patrimoine. Il est à souhaiter que les choses s’améliorent.
Vous souligniez que le dispositif dont dispose le Bénin pour gérer son patrimoine ne fonctionne pas. A quoi est dû ce dysfonctionnement?
Le dispositif ne fonctionne pas parce que l’État qui doit fédérer les efforts des uns et des autres ne le fait pas suffisamment. Il manque surtout des moyens d’accompagnement.
Depuis quelques mois, le gouvernement de la Rupture essaie de négocier le retour de certains biens culturels du Bénin confisqués et gardés par les anciens colons à Paris. Comment trouvez-vous cet engagement du gouvernement ?
Déjà c’est un droit pour le Bénin de réclamer certains objets qu’il considère comme les siens. J’espère juste à ce niveau que nous avons la preuve que ces objets nous appartiennent ou nous ont appartenus puisque tout le débat part de là. Les autres aujourd’hui peuvent donner la preuve que les objets sont leur propriété même si les circonstances de départ de ces objets sont connues de tous. Et c’est en cela que j’apprécie bien votre expression "négocier le retour". Il s’agit bien de cela puisque nous n’avons pas toutes les armes de notre côté. Nous nous étions aussi mal lancés dès le début de cette affaire. Heureusement qu’aujourd’hui, nous sommes en train de nous rattraper en utilisant les bons canaux. Et à ce sujet, je voudrais faire observer que le gouvernement a manqué d’associer les professionnels à sa démarche.Mon vœu le plus cher aujourd’hui est qu’il y ait une suite à ce dossier, car ceci pourrait être une aubaine pour améliorer les conditions de gestion du patrimoine dans notre pays.
Le retour du patrimoine béninois se trouvant en France est-il vraiment une opportunité pour le Bénin comme semble l’affirmer le gouvernement?
Oui le retour des biens au Bénin pourrait être une opportunité si cela est accompagné d’une vraie politique de développement du secteur. Or, pour le moment, on ne parle que de projets qui tardent à voir le jour. Par ailleurs, les projets du gouvernement dans notre secteur sont des projets à long terme. En attendant de construire les nouveaux musées, que faisons-nous de ce qui existe ? C’est justement à ce niveau que j’ai personnellement du mal à suivre et à comprendre les réelles motivations du gouvernement pour le secteur. Le potentiel qui existe est mal entretenu avec un personnel insuffisant et peu qualifié. Tout ceci à juste titre pourrait constituer des arguments pour ceux qui sont contre le processus de retour au Bénin des objets.
Le Bénin dispose-t-il aujourd’hui des moyens nécessaires pour gérer ces biens?
Le Bénin dispose de moyens même si ces moyens sont orientés ailleurs ou ne sont pas utilisés à juste titre. Nous avons de la ressource humaine qualifiée qui chôme pendant que nos musées meurent, pendant que nos sites disparaissent. Nous avons de la ressource financière parce qu’il s’agit quand même d’un État. Ces moyens devront servir à mettre en place des infrastructures avec une vraie politique et une vision claire.A ce titre, on peut observer que l’actuel régime a entrepris la construction d’équipements culturels. Espérons que ces projets voient le jour et que la vision accompagne. Nos musées ne doivent pas être mis en affermage, pour reprendre le terme consacré de ce régime. Il faut donc recruter massivement des professionnels, former d’autres afin qu’ils prennent en main la gestion des musées à construire.
Nous le soulignions en début d’interview, vous êtes gestionnaire de patrimoine à l’Epa. Parlez nous de cette école.
L’Ecole du Patrimoine Africain est une institution de formation des professionnels africains du patrimoine. Elle couvrait 26 pays d’Afrique francophone, lusophone et hispanophone au sud du Sahara. Mais depuis 2015, l’Union Africaine lui a donné mandat pour travailler sur tout le continent. Nous sommes donc actuellement dans cette phase de développement de l’institution avec l’appui de tous nos partenaires.
Au niveau du Bénin, c’est l’Université d’Abomey-Calavi qui assure la tutelle de l’EPA. Nous sommes donc une institution universitaire mais aussi professionnelle. Nous accompagnons également les États à la prise en compte de leur patrimoine dans les politiques de développement économique.
Comment devient-on gestionnaire de patrimoine?
Sourire ! Pour être gestionnaire du patrimoine, il faut faire des études universitaires. Jusqu’à un passé récent, il faut justifier au moins d’un Bac plus 5 ans. Mais de plus en plus nous formons à partir de la licence. Toutefois, comme dans d’autres secteurs, il y a des gens qui s’improvisent gestionnaire du patrimoine sans avoir jamais fait un cours du patrimoine. C’est cela que nous devons décourager car une profession c’est une déontologie et des normes.
Est-ce un métier épanouissant?
Vous avez dû constater que je suis très épanoui. C’est un métier comme tout autre et qui assure au professionnel les moyens pour subvenir à ses besoins. Mais au delà, c’est un métier très ouvert qui vous donne la possibilité de connaitre les autres et leurs cultures. Personnellement j’ai cette chance dans mon travail de visiter les autres et d’apprendre d’eux, ce qui fait de moi un homme véritablement de culture. J’encourage les plus jeunes qui voudraient choisir un métier que nous sommes totalement disposés à les conseiller et à leur parler des débouchés qu’il y a dans ce secteur. C’est un métier extrêmement passionnant et très épanouissant. L’épanouissement n’étant pas seulement la satisfaction des besoins financiers.
Vous voudriez bien conclure cet entretien
Je voudrais vous remercier pour l’opportunité que vous m’avez donnée. Je voudrais en guise de conclusion insister sur deux éléments : le Bénin n’est pas un désert de compétences dans le domaine du patrimoine, la preuve je suis jeune et je vous parle de ce métier que je pratique depuis 14 ans. Je prie les dirigeants actuels de faire confiance aux compétences nationales et de prêter une oreille attentive à tout ce qu’elles disent. Le monde du patrimoine est un monde très restreint même au niveau international et nous nous connaissons, le Bénin doit en profiter. Le second élément de ma conclusion, est d’inviter les communautés et surtout les béninois à être fiers de nos cultures, de nos patrimoines car c’est notre identité et au delà le patrimoine est source de développement économique. D’autres pays l’ont compris et en profitent. Que nos croyances, notre éducation ne nous éloignent pas de nos réalités. Le Bénin a une histoire et nous devons tous la préserver pour les générations futures.
Entretien réalisé par Allégresse SASSE