Les députés, réunis en plénière, lundi 7 mai 2018, au Palais des gouverneurs, ont suivi une communication gouvernementale relative à la construction du siège du Parlement. Les débats qui ont suivi révèlent un dossier à scandale. Unanimement, les parlementaires ont exigé la poursuite des auteurs.
La communication gouvernementale sur le siège de l’Institution parlementaire, à l’hémicycle, hier, a suscité l’indignation et la révolte de tous les parlementaires, toutes tendances confondues. Au regard des explications fournies par l’expert en bâtiment sollicité à cet effet, le Parlement béninois ne jouira plus de ce siège moderne situé à l’entrée de Porto-Novo. Des explications de l’expert, la construction du bâtiment a connu beaucoup de malformations : des chaînages mal posées, des poutres irrégulières et non adaptées, des briques qui tombent, bref de petits détails qui font douter de la qualité des travaux réalisés sur le chantier. Au cours des débats, les députés, dans leur ensemble, ont déploré la situation actuelle dudit siège et ont demandé que les responsabilités soient situées. Toutefois, la plupart d’entre eux ont suggéré que les travaux soient arrêtés sur le chantier, et qu’un nouveau site soit trouvé pour construire le siège dont rêve le Bénin pour son Parlement. La poursuite éventuelle des travaux sur l’actuel chantier du siège du Parlement requiert un complément supplémentaire de fonds évalué à 22 milliards de Fcfa, un montant égal à la valeur actuelle de cette bâtisse qui est une honte nationale, selon les dires du député Arifari Bako. D’un montant prévisionnel global de 18 milliards 500 millions environ, 22 de milliards Fcfa ont déjà été versés, à la société Serhau-Sa, maître d’ouvrage délégué qui a déjà engagé environ 20 milliards de francs CFA. Pourtant, le taux d’exécution physique du chantier est de 45.71% contre 56.19% de taux d’exécution financière. L’histoire retiendra que le siège de l’Assemblée Nationale est un dossier de mauvaise gouvernance. Au cours des débats, les parlementaires ont dénoncé une mauvaise gouvernance politique, administrative, technique et financière. Dans cette mauvaise gouvernance, les responsabilités pourraient être situées, au niveau des cadres, d’une part et de certains ministres, à l’époque des faits et des députés qui ont pris des marchés. David Gbahoungba, député de la 7è législature, après quelques interventions incisives de ses collègues, a demandé que la projection du diaporama prenne en compte les lots 1, 2 et 3 et qu’on tienne compte des niveaux de décaissement et d’un certain nombre de paramètres afin de bien situer les responsabilités.
La justice doit se saisir du dossier
Vu que c’est l’argent du contribuable qui a été dilapidé dans un projet en passe de devenir un éléphant blanc, les députés ont souhaité que la lutte contre la corruption engagée par le Chef de l’Etat n’oublie pas le ce chantier. Pa ailleurs, le député Bida a félicité le Président Patrice Talon pour son engagement et son courage pour la lutte contre la corruption. D’autres députés du Bmp ont même invité le chef de l’Etat à mener la lutte sans relâche et dans tous les sens. Mieux, ils recommandent qu’elle soit étendue aux autres éléphants blancs : chantiers de Maria Gléta (40 milliards), logements sociaux (650 logements en ruines et abandonnés dans la brousse sur 1000). Plus jamais ça ! ont clamé les élus du peuple. Dans cette lutte contre la corruption, les députés du groupe parlementaire Bénin Uni et Solidaire se disent prêts pour accompagner le gouvernement.
Martin Aïhonnou
(Coll)
Bref historique
– Le projet de construction du nouveau siège de l’Assemblée Nationale a été initié en 2002.
– La première phase du projet, objet du chantier en cours de réalisation, comprend : un bloc administratif, un hémicycle, une salle polyvalente, une infirmerie, cinq passerelles, des guérites, un local technique et un local groupe froid.
-14 novembre 2008 : Démarrage des travaux après les études architecturales et techniques en Maîtrise d’ouvrage déléguée (Mod) confiée à la Serhau-Sa, pour une durée contractuelle de deux ans.
-Juillet 2012 : mise en régie des travaux du lot « gros-œuvre » à la suite de la défaillance de l’entreprise Gee, du groupement d’entreprises Emcr, attributaire dudit lot.
– Octobre 2012 : Suspension des travaux suite à un audit conduit par l’Inspection Générale de l’ex-Ministère de l’urbanisme, de l’habitat et de l’assainissement (Muha). Mise sous mandat de dépôt des principaux protagonistes-Serhau-Sa (Mod), Groupement trophée (architectes), entreprise Gee.
– Janvier 2013 : Bureau Veritas Bénin conduit une expertise technique internationale complémentaire et recommande la reprise et la poursuite des travaux ;
– 12 et 17 septembre 2014 : Séances du Conseil des ministres validant la recommandation du Bureau Veritas Bénin de poursuivre les travaux. Les travaux ont été poursuivis sans l’implication du groupement d’entreprises Emcr, en charge du gros-œuvre.
Neuf ans après le démarrage, y compris 43 mois de suspension des travaux, le chantier est à l’abandon.
Conclusions de la mission d’audit.
Elles se sont révélées beaucoup plus graves et par conséquent ont amplifié les risques encourus par ce chantier. Les divers problèmes relevés se résument comme suit :
– Conduite non maîtrisée des études architecturales et techniques du projet devant assurer sa qualité à la phase de réalisation, soit une défaillance dans la phase de conception,
– Conduite non maîtrisée dans la procédure de Permis de Construire et l’élaboration d’une Notice de Sécurité
– Manque criard de professionnalisme et de rigueur de tous les acteurs, en particulier du Maître d’ouvrage délégué, la Serhau-Sa.
– L’immixtion inopportune du Maître d’ouvrage pour pallier à la défaillance du Maître d’ouvrage délégué a été contre-productive pour le projet.
– Chantier dans un état d’abandon avec de graves malfaçons sur gros-œuvre des bâtiments malgré l’importance des ressources financières mobilisées pour son exécution et les nombreuses reprises,
– La Serhau-Sa, Maître d’ouvrage délégué, le Groupement Trophee, Maître d’œuvre, les autres acteurs du Corps de Contrôle, ainsi que les administrations respectives qui ont conduit les régies, sont les responsables effectifs de cet échec, leurs responsabilités sont entièrement engagées.
– Il n’est pas prouvé que les investissements effectivement réalisés puissent coûter les 20 milliards de francs Cfa
– La négligence, la mauvaise gestion des ressources publiques, la consciente renonciation aux procédés techniques universellement reconnus et à un recours aux professionnels avérés et expérimentés ont produit ce solde catastrophique d’un bâtiment qui est déjà, hélas, dans une dégradation avancée.
Elles ont amené l’auditeur à réserver son avis favorable à la stabilité et à la sécurité du chantier du nouveau siège de l’Assemblée nationale.
Au plan financier et juridique
– Les deux premières conventions étaient consacrées aux études architecturales et techniques, ainsi qu’au dédommagement des présumés propriétaires du nouveau site.
– La troisième convention pour les travaux était d’un montant de 16.000.000.000 F Cfa Ttc, pour un délai d’exécution de deux ans.
– Non maîtrise du coût du projet : Le coût global du premier appel d’offres des travaux avoisinait déjà 17.100.176.369 F Cfa Ttc, pour les dix premiers marchés en 2008-2009, contre un montant prévisionnel global de 18.565.050.000 F Cfa.
– Un surcoût s’élevant à un total de 8.776.698.911 FCfa Ttc dû à la suspension, au retard dans sa réalisation et à une saisie de fonds,
– les coûts liés aux procédures judiciaires pendantes : (i) contentieux : 2.598.143.338 FCfa Ttc ; (ii) actualisation de 15,8% dus à l’arrêt des travaux (bureau Veritas Bénin) : 4.400.544.450 FCfa Ttc ; (iii) dégradations diverses : 1.354.017.339 FCfa Ttc ; (iv) remise aux normes de sécurité incendie (Qcs services) : 350.000.000 FCfa Ttc.
– Marchés résiliés par le maître d’ouvrage, mais dont les avances n’ont pas été remboursées :
*414.657.524 FCfa perçue par le groupement Emcr sur le lot 7 des revêtements étanchéité et peinture,
*368.938.543 FCfa perçue par l’entreprise Princesse d’Or sur le lot 3 menuiserie-aluminium,
*388.162.870 FCfa comme reliquat de remboursement d’avance de démarrage sur le lot 9 charpente couverture faux plafonds resté par devers l’entreprise Princesse d’Or,
*1.426.384.401 FCfa saisis par la justice par suite d’une plainte du groupement Emcr.
–La Serhau-Sa a encaissé un trop perçu de 150.254.601 F Cfa Ttc au titre de ses honoraires de Mod. Elle justifie cet écart par le recrutement de l’assistant Opc qui lui a été imposé par l’audit du bureau Veritas Bénin.
–Pour terminer les travaux actuellement en cours, le coût d’objectif global du projet s’élèverait à 45.172.694.557 FCfa Ttc y compris les coûts supplémentaires indiqués ci-dessus. La récupération du montant de 2.598.143.338 FCfa Ttc en contentieux, pourrait ramener le coût d’objectif global final à 42.574.551.214 FCfa Ttc.
L’évaluation financière globale du projet se présente comme suit :
–montant total versé à la Serhau-Sa est de 22.664.019.976 FCfa Ttc ;
– montant total engagé par la Serhau-Sa y compris les honoraires (corps de contrôle, Mod) est de 20.010.647.814 FCfa Ttc ;
– écart important entre le Taux d’exécution physique (Tep) de 45,71 % et le Taux d’exécution financière (Tef) de 56,19 %, qui s’expliquerait par les avances de démarrage perçues ;
– le Taux d’exécution physique du gros-œuvre au 30 septembre 2016 est de 90%, contre 99% de Taux d’exécution financière.
Il resterait donc à mobiliser pour l’achèvement des travaux 22.501.709.588 FCfa Ttc, sans aucune garantie sur la stabilité et la sécurité de l’ouvrage, ni sur la durée de vie possible de l’édifice, dans un contexte où il est juridiquement impossible d’obtenir une assurance en vue d’une garantie décennale pour des travaux d’aussi mauvaise facture.