Le recours en inconstitutionnalité des résultats du concours de recrutement des auditeurs organisé les 24 juin et 15 juillet 2017 n’aboutit pas. La Cour constitutionnelle saisie par Mawugnon Abel Kouzangbé a estimé qu’il n’y a pas violation de la loi fondamentale. Lire la décision Dcc 18-067 du 8 mars 2018.
Décision Dcc 18-067 du 08 mars 2018
La Cour constitutionnelle,
Saisie d’une requête du 21 septembre 2017 enregistrée à son secrétariat le 09 octobre 2017 sous le numéro 1639/278/Rec, par laquelle Monsieur Mawugnon K. Abel Kouzangbé forme un recours en inconstitutionnalité des résultats du concours de recrutement des auditeurs de justice organisé les 24 juin et 15
juillet 2017 ;
Vu la Constitution du 11 décembre 1990 ;
Vu la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ;
Vu le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï le Professeur Théodore Holo en son rapport ;
Après en avoir délibéré,
Contenu du recours
Considérant que le requérant expose : « LES FAITS… Le 31
janvier 2017, par le communiqué radio n°0002/Mtfpas/Dc/Sgm/Dgfp/ Drae/Stcd/Sa, le ministre du Travail, de la fonction publique et des Affaires sociales (Mtfpas) a lancé le concours de recrutement de 80 auditeurs de justice. Il convient de souligner que ce concours est ouvert à certains professionnels de la justice à hauteur de 10% des places mises au concours. Lors du dépôt des dossiers, il est constaté que la fiche individuelle d’inscription à remplir par le candidat (…) contient une mesure d’identification des Agents permanents de l’Etat (Ape) et des Agents contractuels de l’Etat (Ace) qui devront préciser leur numéro matricule, sans qu’il ne soit possible a priori de savoir l’usage qui en sera fait, surtout en ce qui concerne les Ace. Dans tous les cas, l’ouverture de ce concours à certains professionnels de la justice et assimilés ne saurait justifier cette mesure, en ce sens que les intéressés devront fournir des pièces complémentaires, comme l’indique le communiqué ci-joint permettant de les identifier. Ces informations ont été fournies de bonne foi.
Durant les phases suivantes du processus d’organisation de ce concours, c’est-à-dire la classification des candidats retenus (…) et la composition, les samedis 24 juin et 15 juillet 2017 (…), rien ne laisse croire à une utilisation effective des informations demandées.
Le surprenant résultat du 26 juillet 2017, rendu public par le Mtfpas, n’a cessé de susciter des interrogations chez les Ace qui ne revenaient pas de leur échec quasi collectif. Mais, par la suite et au fil des jours, il s’est révélé que les organisateurs du présent concours ont procédé, sous le secret de la délibération, à l’élimination systématique des candidats Ace sur la base des informations concordantes fournies par eux, de bonne foi, comme demandé sur la fiche individuelle d’inscription dûment remplie, datée et signée du candidat et ayant permis de les identifier (c’est la première pièce du dossier de candidature).
Ce faisant, le ministère en charge de la Fonction publique met en œuvre, sous une autre forme, sa menace proférée depuis 2014 et répétée à plusieurs occasions par les cadres de la Fonction publique.
En effet, lors des recrutements au profit de l’Administration publique en 2014, sessions du 25 octobre 2014 et du 30 décembre 2014, le ministre en charge de la Fonction publique a indiqué dans ses communiqués radios diffusés sur l’Ortb que « Les Agents contractuels de l’Etat, qu’ils soient reversés ou non, ne sont plus concernés par les présents concours. En tout état de cause, tout agent contractuel qui ne respecterait pas cette prescription verra son contrat initial résilié et sera interdit d’accès à la Fonction publique béninoise ». Cette mesure violait l’article 111 alinéa 2 du décret n° 2008- 377 du 24 juin 2008 portant régime juridique d’emploi des Agents contractuels de l’Etat (Ace), en vigueur à l’époque, qui précisait sans condition que » … Ceux d’entre eux qui seraient détenteurs de diplômes supérieurs peuvent prendre part à des concours de recrutement de niveau équivalent ». Le ministre en charge de la Fonction publique, en réponse à la mesure d’instruction diligentée par la Cour constitutionnelle, suite au recours de Monsieur Roland Hègbè du 23 janvier 2015, avait insisté, après évocation des conditions de rupture du contrat administratif d’un Ace, sur le fait qu’en autorisant les Ace déjà détenteurs d’un emploi (précaire suivant le régime juridique d’emploi en vigueur), à participer à d’autres concours, cela fausserait les statistiques en matière d’emplois créés et réduirait la chance de beaucoup d’autres chômeurs d’accéder à un emploi (voir Décision Dcc 15-188 du 27 août 2015). » ; qu’il ajoute : « Pour davantage se convaincre de la volonté manifeste d’empêcher tout Agent contractuel de l’Etat (Ace) de réussir à un autre concours, surtout d’agent permanent de l’Etat, voici ce que le ministre en charge de la Fonction publique a prévu pour d’autres concours. Par le communiqué radio n° 1175/Mtfpas/Dc/Sp du 4 juillet 2017 (…), le ministre du Travail, de la Fonction publique et des Affaires sociales a lancé le concours de recrutement de 386 agents permanents de l’Etat au profit du ministère de l’Economie et des Finances pour le samedi 11 novembre 2017. Il précise clairement que les agents permanents de l’Etat, civils et militaires ou paramilitaires, partis volontaires de la Fonction publique, ne sont pas concernés par le présent concours. Donc logiquement, le ministre respecte à cette étape, le droit des agents contractuels de l’Etat de prendre part à ce concours. Mais, il est suspect de constater que sur la fiche d’inscription à remplir pour ce concours (voir copie ci-jointe), il est demandé aux candidats qui seraient Ace de le préciser avec indication de leur numéro matricule. Cette attitude sournoise du ministre en charge de la Fonction publique reste une mesure discriminatoire, permettant d’empêcher systématiquement tout Ace de réussir à un autre concours. Ainsi, les phases de correction et de délibération, impossible d’accès aux candidats et couvert par le secret de délibération, est le moyen permettant d’instaurer la perversité.
Au vu de la fiche individuelle d’inscription ci-jointe concernant les concours de recrutements d’agents permanents de l’Etat au profit du ministère en charge de la Décentralisation (Communiqué radio n° 005/Mtfpas/Dc/Sp du 14 septembre 2017) et du ministère de la Justice et de la Législation (Communiqué radio n° 006/Mtfpas/Dc/Sp du 14 septembre 2017), il convient de comprendre que cette mesure discriminatoire s’érige en principe et serait applicable à tous les concours de recrutement dans la Fonction publique. » ;
Considérant qu’il soutient : « Les moyens
Considérant que la Constitution dispose en ses articles 8 et 9 :
« La personne humaine est sacrée et inviolable. L’Etat a l’obligation absolue de la respecter et de la protéger. Il lui garantit un plein épanouissement. A cet effet, il assure à ses citoyens l’égal accès … à l’emploi » ;
« Tout être humain a droit au développement et au plein épanouissement de sa personne dans ses dimensions matérielle, temporelle, intellectuelle … pourvu qu’il ne viole pas les droits d’autrui ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel établi et les bonnes mœurs ».
Considérant que le principe de l’égal accès des citoyens aux emplois publics, prescrit à l’Etat dans la Constitution, est un principe général de droit à valeur constitutionnelle qui interdit toute discrimination ; et qu’en procédant comme décrit ci-dessus, le ministre en charge de la Fonction publique a violé la Constitution ;
Considérant que le droit au développement et au plein épanouissement de tout être humain dans ses dimensions matérielle, temporelle et intellectuelle, dont la garantie incombe à l’Etat (lecture combinée des articles 8 et 9 de la Constitution), est un droit fondamental de la personne humaine que le pouvoir exécutif doit préserver en prenant toutes les mesures indispensables à sa jouissance ; qu’en se comportant comme décrit ci-dessus, le ministre en charge de la Fonction publique a institué arbitrairement une mesure discriminatoire pour empêcher progressivement et de façon définitive tout Agent contractuel de l’Etat (Ace), dont le contrat peut être résilié à tout moment par l’Administration conformément au droit positif, de chercher à assurer son épanouissement par la réussite à un autre concours surtout d’Agent permanent de l’Etat (Ape) » ; qu’il conclut : « en conséquence, et conformément à la Constitution et à la loi organique sur la Cour constitutionnelle, je demande à la Cour de
… déclarer le résultat de ce concours contraire à la Constitution pour violation du fondamental principe général de droit, principe à valeur constitutionnelle, qu’est l’égal accès des citoyens aux emplois publics, d’une part, et pour violation des droits fondamentaux de la personne humaine, d’autre part. » ;
Instruction du recours
Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction de la Cour, le ministre du Travail et de la Fonction publique écrit : « … Par la correspondance citée en référence, vous m’avez saisi du recours pour discrimination et autres violations de droits fondamentaux, formé par le sieur Kouzangbé Mawugnon K. Abel contre le résultat du concours de recrutement de quatre-vingts (80) auditeurs de justice au profit du ministère de la Justice et de la Législation, organisé les samedis 24 juin et 15 juillet 2017. Le requérant demande à la haute Juridiction de déclarer ledit résultat contraire à la Constitution pour violation des droits de la personne humaine.
Le sieur Kouzangbé Mawugnon K. Abel souligne que ledit concours est ouvert à certains professionnels de la justice à hauteur de 10% des places mises au concours. Il affirme que les candidats Ace audit concours ont été victimes de discrimination du fait que la fiche individuelle d’inscription à remplir par le candidat contient une mesure d’identification des Agents permanents de l’Etat (Ape) et des Agents contractuels de l’Etat (Ace).
Il déclare qu’il est suspect de constater que sur la fiche d’inscription individuelle à remplir, il est demandé aux candidats de préciser leur statut d’Ace et leur numéro matricule ; que c’est une mesure discriminatoire permettant d’empêcher systématiquement tout Ace de réussir à un concours.
En réponse à ces allégations, j’ai l’honneur de vous faire tenir les observations ci-après :
Le sieur Kouzangbé Mawugnon K. Abel a fait des affirmations en nous prêtant des intentions non fondées.
Le concours des auditeurs de justice est organisé conformément aux dispositions des articles 25, 27 et 28 de la loi n° 2001-35 du 21 février 2003 portant Statut de la magistrature.
Ainsi, le concours de recrutement de quatre-vingts (80) auditeurs de justice au profit du Ministère de la justice et de la Législation, organisé les samedis 24 juin et 15 juillet 2017, est ouvert aux professionnels de la justice, Agents permanents de l’Etat (Ape), à hauteur de 10% des places mises au concours.
La fiche individuelle d’inscription à remplir n’est pas une mesure discriminatoire et ne viole aucun droit de la personne humaine. Il s’agit d’une mesure pouvant permettre de respecter scrupuleusement le quota de 10% réservé aux professionnels de la justice, Agents permanents de l’Etat (Ape).
Attendu que l’article 34 de la Constitution dispose : ‘’Tout citoyen béninois, civil ou militaire, a le devoir sacré de respecter en toutes circonstances, la Constitution et l’ordre constitutionnel établi ainsi que les lois et règlements de la République’’.
Il est à constater, sans équivoque, que le requérant tend à amener la haute Juridiction à apprécier les conditions d’application de la loi n° 2001-35 du 21 février 2003 portant Statut de la magistrature et de l’arrêté interministériel n° 00259/ Mjldh/Mfptra/Mesrs/Dc/Sg/Dacp du 04 mai 2004 portant organisation du concours des auditeurs de justice.
En l’espèce, l’appréciation du recours du sieur Kouzangbé Mawugnon K. Abel relève du contrôle de légalité qui échappe à la Cour constitutionnelle. Ainsi, la requête du sieur Kouzangbé Mawugnon K. Abel est irrecevable » ;
Analyse du recours
Considérant que le requérant demande à la Cour de déclarer qu’en exigeant des candidats de préciser leur statut d’Ace et leur numéro matricule sur la fiche d’inscription individuelle au concours de recrutement des auditeurs de justice, le ministre du Travail, de la fonction publique et des Affaires sociales a violé les articles 8 et 9 de la Constitution, en ce que cette mesure d’identification permet de les empêcher systématiquement de réussir au concours ;
Considérant qu’aux termes des articles 8 et 9 de la Constitution :
« La personne humaine est sacrée et inviolable.
L’Etat a l’obligation absolue de la respecter et de la protéger. Il lui garantit un plein épanouissement. A cet effet, il assure à ses citoyens l’égal accès à la santé, à l’éducation, à la culture, à l’information, à la formation professionnelle et à l’emploi » ; « Tout être humain a droit au développement et au plein épanouissement de sa personne dans ses dimensions matérielle, temporelle, intellectuelle et spirituelle, pourvu qu’il ne viole pas les droits d’autrui ni n’enfreigne l’ordre constitutionnel et les bonnes mœurs » ;
Considérant qu’il ressort des éléments du dossier, notamment de la réponse du ministre du Travail et de la Fonction publique, que les précisions exigées sur la fiche individuelle d’inscription au concours des auditeurs de justice, permettent de déterminer le nombre de candidats Ape et Ace en vue de respecter le quota de
10% réservé aux professionnels de la justice, agents permanents de l’Etat ; qu’il en résulte qu’il n’y a pas violation des articles 8 et 9 précités de la Constitution ; que dès lors, il échet pour la Cour de dire et juger qu’il n’y a pas violation de la Constitution ;
Décide :
Article 1er : Il n’y a pas violation de la Constitution.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Monsieur Mawugnon K. Abel Kouzangbé, à Madame le Ministre du Travail et de la Fonction publique et publiée au Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le huit mars deux mille dix-huit,
Messieurs Théodore Holo Président
Zimé Yérima Kora-Yarou Vice-président
Bernard Dossou Dégboé Membre
Mesdames Marcelline C. Gbèha Afouda Membre
Lamatou Nassirou Membre
Le Rapporteur, Le Président,
Professeur Théodore Holo Professeur Théodore Holo