Elle s’est battue sous la Révolution comme bon nombre de militantes de cette période. Institutrice à la retraite, Marie-Jeanne Ruffino tient au respect du bien public et au sens du patriotisme. Des valeurs qu’elle enseigne aux jeunes.
Impossible d’évoquer la période révolutionnaire sans faire allusion à certaines figures féminines et surtout au combat qui était le leur en ces temps. Marie-Jeanne Ruffino a marqué aussi son passage. Femme militante très engagée au temps de la Révolution, elle conserve encore tout son sens du patriotisme. Il faut évoquer le sujet avec qu’elle pour mieux comprendre ses motivations et sa soif de développement.
Teint noir, taille moyenne, d’apparence calme, cheveux grisonnants, son sourire et son charme conservé, révèlent toute sa beauté de jeunesse. Marie-Jeanne Ruffino a gravé son nom dans les mémoires de ses élèves et de ses compagnonnes et compagnons de lutte de la période révolutionnaire.
Elle a milité au sein de l’Organisation des femmes révolutionnaires du Bénin (Ofrb). L’appartenance à cette organisation en dit long sur son militantisme. A ce titre, elle a été nommée chef de district urbain (Cdu) à Parakou, actuelle mairie, de 1986 à 1990. « La première fois où j’ai apposé ma signature sur un document légalisé, c’était le 2 mai 1986 », se souvient-elle. « Ma première réalisation d’infrastructures est le service des sapeurs-pompiers au profit de la même ville », se rappelle-t-elle, toute souriante. Elle était également l’une des chevilles ouvrières de la réalisation du Registre foncier urbain (Rfu) à Parakou avant que l’initiative soit étendue sur le territoire national et dans d’autres pays africains.
Du haut de ses 75 ans, cette femme demeure jeune dans l’esprit. Lorsqu’on évoque le passé, elle est bien à l’aise pour dispenser un cours d’histoire. « J’ai connu les différentes mutations qui se sont opérées à la tête du pays ». Paradoxalement, pour évoquer le souvenir de ses compagnonnes de lutte, sa mémoire flanque quelque peu, la plupart ayant déjà rejoint l’au-delà.
Elle raconte la Révolution pleine de souvenirs et de nostalgie. « Nous croyions en ce que nous faisions », soutient-elle. « A l’Assemblée nationale, toutes les couches étaient représentées et les débats se faisaient dans les différentes langues nationales pour permettre à tous d’être imprégnés de la situation du pays », confie-t-elle. L’engagement au service du peuple était total et désintéressé. « Nous n’avons jamais été payés pour le travail que nous faisions. Il n’y a pas un seul commissaire du peuple qui vous dira le contraire ; on ne gagnait pas de salaires politiques ; les commissaires du peuple qui allaient à l’intérieur du pays pour sensibiliser recevaient juste une modique somme pour se restaurer et des tickets de rafraîchissement », témoigne-t-elle pour convaincre de leur sens élevé du patriotisme.
Une période passionnante
Ce don de soi est loin de faire école dans les rangs des jeunes d’aujourd’hui. Beaucoup convergent vers la politique parce qu’ils y ont trouvé une échappatoire au chômage ou un terrain à la vie facile.
Contrairement à certaines personnes qui comparent la Révolution à ‘’la traversée du désert’’ par le Bénin, Marie-Jeanne Ruffino pense qu’elle était la plus passionnante. « La Révolution, c’était une expérience parmi tant d’autres. Il importe de conserver les valeurs acquises de nos luttes » souligne-t-elle. Elle poursuit : « La vie en communauté était plus relaxe. C’est de cette convivialité qu’est née la dénomination ‘’camarade’’ (appellation syndicale) ». « Aujourd’hui, la méfiance gagne du terrain », regrette-t-elle.
La faute aux aînés qui n’ont pas su inculquer certaines valeurs à la génération actuelle ? A cette question, l’institutrice à la retraite relativise : « Nous avons joué notre partition. Et si nous avons failli quelque part, je fais mon mea culpa ».
Les principaux objectifs poursuivis en ces temps étaient clairs : la contribution de la femme au développement et l’engagement civique. A l’en croire, le sens du patriotisme était non négociable : « Nous militions corps et âme au détriment du soin à apporter à nos familles », se remémore-t-elle.
Leurs efforts n’ont pas été vains. « Nous allions dans les hameaux pour sensibiliser les femmes pour qu’elles soient membres des instances locales. En notre temps, il y avait même les brigades populaires (femmes très braves) qui assuraient les surveillances de nuit au même titre que les hommes», raconte-t-elle.
Les retombées de leurs efforts s’observent par l’importance accordée aux questions de la présence des femmes dans les instances décisionnelles aujourd’hui. « Elles se battent de plus en plus pour améliorer leur représentativité au sein des institutions », apprécie-t-elle.
Marie-Jeanne Ruffino a également fait de la lutte contre l’excision son cheval de bataille aux côtés de Karimou Rafiatou de regrettée mémoire et d’autres femmes.
Autant de sacrifices qui lui ont valu la reconnaissance de la nation pour ses bons et loyaux services à lui rendus. Des récompenses qu’elle reçoit non sans fierté, mais avec beaucoup d’humilité et de modestie. « J’ai été reçue dans l’Ordre du mérite social. Dans la vie, le plus important ne se limite pas qu’aux distinctions honorifiques. Ce qui compte, c’est le respect des valeurs », assure-t-elle.
Que le souvenir des femmes révolutionnaires soit peu évoqué aujourd’hui, cela lui est égal. « Que l’on parle du combat que nous avions mené en ces temps, cela ne m’émeut outre mesure. Personnellement, j’avais déjà décidé de vivre ma retraite un peu isolée», dit-elle.
La rigueur pour former des cadres dignes
Mais son retrait de l’enseignement et de la politique, ne l’empêche pas de se soucier du développement de son pays. La rigueur et l’engagement citoyen sont entre autres, les modes d’action pour relever le défi, selon elle. « La rigueur aide à former des citoyens dignes ; elle était observée dans tous les secteurs de la vie sociale», relève-elle.
Ces valeurs l’ont d’ailleurs longtemps caractérisée pendant qu’elle était dans le feu de l’action. « C’est un devoir républicain d’enseigner et de militer. Je n’avais pas des raisons de faillir », dit-elle avec fermeté.
Elle-même raconte qu’alors qu’elle était institutrice à Parakou, beaucoup craignaient sa force de caractère au point de la surnommer « la dame de fer ». Son apparence calme et son air effacé contrastent pourtant bien avec la rigueur qui lui a valu ce surnom.
Pour cette institutrice à la retraite, il n’est pas étonnant que la jeunesse soit placée aux premières loges de ses sages conseils. Une jeunesse qu’elle invite au dépassement, à l’abnégation. Dépassement de soi dans l’amour du prochain, et aussi dépassement des mesquineries et de l’ignorance. Dans cette invite, Marie-Jeanne Ruffino indique bien sûr une hiérarchie de valeurs à respecter : « Il faut respecter le bien public, être dévoué pour la cause de la nation et ne pas tout attendre de l’Etat », conseille-t-elle. «Je tombe des nues quand les gens se plaignent par exemple de la dégradation d’une rue et attendent que l’Etat vienne la réfectionner. En notre temps, les habitants de la zone mettaient tous la main à la pâte pour corriger la situation eux-mêmes sans attendre l’Etat », explique-t-elle.
Aujourd’hui, le sens du patriotisme a déserté le forum, rgrette-t-elle. « Attendre que le gouvernement soit sur tous les fronts en matière de développement, c’est refuser de faire avancer sa propre communauté ; l’Etat ne peut pas être partout à la fois ; les gens se livrent à la paresse pendant que la cour de leur maison est sale », se désole-t-elle. Au regard de ces paramètres, elle invite les jeunes à l’intégrité, à la justice et au travail bien fait et désintéressé.
Foi chrétienne
L’autre valeur chère à cette femme reste l’engagement et la fidélité à Dieu. A l’heure où elle a tourné‘’dos’’ à l’enseignement et au militantisme, elle consacre davantage de temps au Créateur. Elle fait des versets bibliques ses délices et ne manque pas souvent les rendez-vous religieux de l’Eglise catholique. Elle y trouve un cadre idéal pour communiquer avec le Seigneur en faveur de sa famille et de son pays. « Si le pays marche, c’est dans l’intérêt de nous tous », sourit-elle.
Admise à la retraite depuis plus d’une vingtaine d’années, elle passe d’agréables moments de repos en compagnie de ses fils et de ses petits-fils dans la cité dortoir d'Abomey-Calavi et s’adonne également à la fabrication des produits locaux, tels que les farines de bouillie et les chips de bananes.
L’effervescence de la période révolutionnaire étant encore vivace dans son esprit, elle trouve par contre que la ville d’Abomey-Calavi est trop calme pour lui procurer toute la joie de vivre. C’est pourquoi, elle n’hésite souvent pas à rejoindre sa deuxième maison à Jéricho à Cotonou en vue de combattre l’ennui et de profiter de la bonne ambiance. A défaut, elle joue de la musique et esquisse des pas de danse pour savourer les succès du passé. La démonstration, elle nous en a fait au cours de notre visite à travers une mélodie de la Révolution qui invite à l’engagement citoyen de tous. « La période révolutionnaire me manque parce qu’elle était amicale et fraternelle ! », sourit-elle
Pour pérenniser les acquis de cette période, elle recommande la reprise des cours d’éducation civique dans les écoles. « L’homme n’a de valeur que par le travail et l’éducation », conseille-t-elle?
Maryse ASSOGBADJO