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A bâtons rompus avec Joseph Fifamè Djogbénou, ministre de la Justice: « Ma désignation à la Courconstitutionnelle est une condamnation au succès »

Publié le jeudi 24 mai 2018  |  La Nation
Joseph
© aCotonou.com par DR
Joseph Djogbenou,Ministre de la Justice
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Ministre de la Justice et de la Législation, son parcours professionnel et son ascension politique inspirent admiration et respect. Professeur agrégé de droit privé et sciences criminelles, avocat inscrit au Barreau béninois depuis 2000, ancien acteur de la Société civile, ancien député à l’Assemblée nationale, président de la commission des Lois, de l’Administration et des Droits de l’Homme, directeur du Centre de recherche et d’étude sur le droit et les institutions judiciaires en Afrique (Credij)....

Désigné par le bureau du Parlement, le juriste de haut niveau s’en va siéger dès le 6 juin prochain à la Cour constitutionnelle du Bénin. Il serait même pressenti, selon des indiscrétions, pour présider la haute juridiction. Un destin singulier que ce brillant quadragénaire assume avec fierté mais beaucoup d’humilité. A quelques semaines de l’installation de la nouvelle mandature de la Cour constitutionnelle, il a accepté, de se prêter à nos questions sans tabou ni langue de bois. Un entretien à bâtons rompus dans son bureau sis au 8e étage de la Tour administrative à Cotonou. Une exclusivité de La Nation pour ses lecteurs !


La Nation : Monsieur le ministre, félicitations pour votre désignation en tant que membre de la prochaine Cour constitutionnelle. Mais ce qui paraît un peu curieux, c’est que vous êtes désigné par l’Assemblée nationale alors que vous êtes membre d’un gouvernement dont le chef a la latitude de proposer trois personnes ?

Joseph F. Djogbénou : Je voudrais plutôt vous inviter à poser la question à l’Assemblée nationale, puisque c’est le bureau de l’Assemblée nationale qui a procédé à la désignation de certaines personnalités dont ma modeste personne. Mais quand on y voit de près, ce n’est pas pour la première fois. Il vous souviendra que lorsque madame Conceptia Ouinsou est désignée pour siéger à la Cour constitutionnelle et en être après la présidente. C’est l’Assemblée nationale qui l’a fait alors qu’elle était membre du gouvernement. On peut citer d’autres exemples. A la vérité, c’est parce que c’est conforme à la Constitution, c’est parce que c’est conforme au règlement intérieur de l’Assemblée nationale, c’est parce que c’est conforme à la loi organique de la Cour constitutionnelle qu’évidemment, les désignations sont effectuées dans les conditions vous savez. C’est la Constitution elle-même qui a fixé les conditions et il ne vous échappera pas que la Constitution n’a pas distingué entre le positionnement des personnes à désigner par l’Assemblée nationale. Mais vous me donnez l’occasion d’exprimer ma gratitude à celles et ceux qui ont proposé ma désignation pour être portée par le bureau de l’Assemblée nationale. Je considère que c’est une condamnation au succès, c’est une condamnation là où je me trouverai et les missions que la Constitution et notre Etat me confient. C’est une condamnation à les assumer en toute responsabilité et pour le bien-être à la fois de notre pays et la consolidation de notre nation, la survie de notre Etat.

Votre désignation, est-ce une prime à la jeunesse compétente ou une prime à la loyauté à l’égard du président de la République ?

Je vous renvoie à mes premières réponses. Il n’y a pas de loyauté au-delà qui ne soit pas celle au service d’un Etat. Je me suis toujours engagé pour servir mon pays. Dans nos échanges en briefing, vous avez posé une question tout à l’heure sur le sort de mon destin politique. Quel destin plus pertinent, plus important que celui de servir l’Etat partout où besoin est ? Evidemment, je suis dans une sorte d’accomplissement de ce vouloir politique. La politique étant le service de la communauté, étant la contribution à effectuer les choix les plus pertinents pour notre pays, à faire avancer une communauté, à faire en sorte que les uns et les autres aient le minimum pour leur épanouissement, à faire en sorte que notre communauté garde, amplifie son identité, survive au temps, que notre nation soit une nation forte. Eh bien ! Il n’y a pas de chute finale pour un politique. Il n’y a qu’un accomplissement continu, quotidien au travers des positions auxquelles l’homme ou la femme en politique est appelé à exprimer sa vocation. Et de ce point de vue, je suis en parfaite harmonie avec cette volonté de servir mon État.

Monsieur le ministre, on a vu votre engagement pour la défense des droits de l’Homme. Mais aujourd’hui, qu’on le veuille ou pas vous êtes l’avocat personnel du chef de l’État ou du moins jusqu’à un passé récent ; vous êtes ministre dans son gouvernement. Si éventuellement, vous êtes appelé à diriger la haute juridiction, pouvez-vous nous garantir que le droit sera dit sans qu’il y ait d’arrangement ou de compromis en faveur du pouvoir en place ?

Si on a, à un moment donné, défendu une personne qui a fini par être portée par un peuple, c’est le peuple qu’on a défendue. Et c’est sans doute avec beaucoup d’humilité mais avec beaucoup de fierté que nous avons défendu une personne qui est portée par un peuple, et qui est défendu par un peuple. J’entends souvent ça, avocat personnel du chef de l’État. Le vrai avocat du président de la République, c’est l’ensemble de nos concitoyens qui appellent chaque jour à ce qu’il avance, à ce qu’il fasse avancer le pays. Et si certains comme nous l’avaient identifié un peu plus tôt, quoi de plus normal qu’on considère aujourd’hui au niveau où il est, qu’il accomplit les actes de développement, qu’il conduit les actions qui permettent à ce pays d’aller plus loin. Oui, je suis heureux que l’ensemble de la population nous ait substitués pour le défendre aujourd’hui. Il n’y a pas non plus de contradiction... C’est le premier des avocats dans la foi. Et donc ce n’est pas une mauvaise chose d’être un avocat personnel. Advocatus en Latin, c’est être appelé. Quand on est advocatus avec une personne, quand on est advocatus avec un peuple, quand on est advocatus avec un Etat, c’est finalement une grâce. Et c’est un acte altruiste très fort que de se laisser appeler. C’est un acte de générosité que d’adhérer, de servir, pas fondamentalement un homme, sans doute à travers un homme, un État. Je disais tout à l’heure que la vraie loyauté c’est au profit de notre communauté, c’est à l’égard de notre communauté. Bien évidement l’être humain est un être de passerelle. C’est toujours par quelqu’un qu’on sert un groupe. C’est un être qui tend la main, qui tient la main qu’une autre personne vous tend pour servir beaucoup d’autres personnes. Et de ce point de vue, je n’ai aucune honte et ça ne devrait même pas être considéré ainsi à me trouver aux côtés du président de la République pendant que je suis membre du gouvernement et que par des personnes proches sans doute du président de la République, nous nous retrouvions dans une institution comme la Cour constitutionnelle.

Quelles sont vos ambitions ?

Je n’ai pas d’autres ambitions que ce que la Constitution a dit. Ce que la Constitution fixe comme compétence prérogative, mais ce que surtout à travers la Constitution, notre peuple prie les institutions d’accomplir dans son intérêt. Je veux apporter une contribution sans doute un peu plus peut-être théorique. La Constitution ne se contente pas de constituer. Elle n’a pas vocation à être prise comme un objet de décoration. Elle n’est pas Constitution pour elle-même. La Constitution construit, la Constitution contribue à construire positivement, à faire grandir un peuple, à faire évoluer une nation, à faire en sorte que les institutions portent la nation. La Constitution ne tue pas le peuple, la Constitution ne fait pas régresser le peuple, la Constitution ne peut pas être vue de manière désincarnée. Elle n’est pas le miroir de satisfaction des vues théoriques de l’élite. La Constitution est au service du peuple. Je veux que chacun comprenne que ce que chacun doit regarder par la Constitution, à travers la Constitution, dans la Constitution, c’est l’État, c’est le peuple, c’est la nation. C’est la question de notre développement économique, dans ce qu’elle a de dynamique. C’est faire en sorte d’en tirer dans l’interprétation toutes les utilités positives. La Constitution est notre repère pour aller plus loin, pour être plus grand, pour être plus fort. La Constitution ne peut pas et ne doit pas être notre obstacle. Elle ne peut pas, elle ne doit pas être l’instrument qui nous empêche d’avancer. Elle ne peut pas contribuer à donner la fin, elle ne peut pas contribuer à arrêter le progrès. Elle est par hypothèse et dès l’entame dans la perspective, de conduire une nation dans un horizon qui porte les individus plus haut chaque jour que Dieu fait. Et donc c’est dans cet esprit qu’il faut recommander que celles et ceux non pas seulement les membres de la Cour les juges, les fonctionnaires, les administrateurs, qui sont au quotidien appelés à mettre en œuvre la Constitution, c’est dans cet esprit qu’il faut les convier à mettre en œuvre cette Constitution.

Parlant de cette Constitution-là, vous savez que ces derniers temps, il y eu quelques jurisprudences de la Cour qui laissent croire qu’il y a des contradictions dans certaines décisions de cette institution. Par exemple...

Non ! Ne donnez même pas d’exemples. Je n’ai pas de commentaire à faire sur ces décisions-là.

Oui, mais que pensez-vous faire avec le collège des autres sages pour qu’on ne tombe pas dans des contradictions, comme sur la question du retrait du droit de grève à certains agents de l’Etat ?

Je n’ai pas de commentaire à faire sur ce qui a été décidé. Et je n’ai pas de commentaire à faire pour anticiper ce qui sera décidé. Nous sommes dans un Etat de droit et le respect est dû à la fois à la Constitution et aux décisions qui, en l’état actuel, n’ont pas été rapportées, n’ont pas fait l’objet de revirement. Et donc nous sommes tous appelés à respecter à la fois la Constitution et l’expression de la Cour constitutionnelle que sont les décisions de la Cour constitutionnelle jusqu’à ce que, éventuellement ces décisions fassent l’objet d’un revirement de jurisprudence. Mais en l’état, je n’ai pas de commentaire à faire.

On vous a vu également très actif dans le processus de modification de la loi fondamentale. Selon le chef de l’Etat, c’est rangé désormais. Mais monsieur Djogbénou à la tête de la Cour constitutionnelle, est-ce qu’on ne pourrait pas assister à un autre dynamisme dans ce combat de révision de la Constitution ?

Je voudrais quand même vous appeler à quelques prudences. Premièrement nous avons été désignés et nous ne siégeons pas encore. Et donc nous ne sommes même pas membres de la Cour constitutionnelle. Vous savez que c’est Dieu qui donne la vie. Rien ne dit que Joseph
Djogbénou sera membre de la Cour constitutionnelle. Nous n’avons pas encore prêté serment et à plus forte raison président de la Cour constitutionnelle. Mais en plus, à supposer même que je devienne réellement membre de la Cour et encore président de cette institution. Mais il n’y a aucune particularité quant aux comportements de la Cour constitutionnelle, aucune distinction à faire parce que ma personne est présente, ou que ma personne est présidente par rapport aux autres formations. Lorsque les causes seront transmises à cette cour au moment opportun, elle appréciera. Je n’ai pas d’autres commentaires à faire plus que cela. Encore une fois, nous sommes désignés, nous ne sommes pas encore membres.

Monsieur le ministre, avant votre entrée au gouvernement, on vous qualifiait d’avocat brillant, professeur assidu, émérite avec tellement de superlatifs. Comment expliquez-vous ce que d’aucuns considèrent comme ‘’camouflets juridiques’’ que vous avez connus avec le gouvernement, en deux ans, allusion faite aux décisions du gouvernement jugées inconstitutionnelles ou aux violations des dispositions de la loi fondamentale ?

Il y a longtemps que j’attendais pour répondre à une telle préoccupation. Des personnes plus ou moins proches s’étonnent de ce qu’un homme ou une femme dans la position d’action puisse faire l’objet de quelques discussions, contestations, préoccupations. Je voudrais d’abord dire qu’il y a beaucoup de concitoyens et concitoyennes qui nous assurent tous de leur fidélité et leurs encouragements. On va dire de manière sincère même, de leur satisfaction. Il n’est pas tout à fait juste de considérer que l’ensemble de nos compatriotes s’émeuvent par rapport aux actions que le gouvernement nous confie d’accomplir, à mon égard et à l’égard d’autres collègues du gouvernement.
Quand bien même, d’autres plus ou moins nombreux, expriment tantôt des regrets, tantôt des étonnements, tantôt des surprises, en tout cas des incompréhensions, toutes sont légitimes. Que fait un gouvernement, que font les membres du gouvernement ? Ils choisissent. Et faire un choix, c’est renoncer à, c’est repousser, c’est refuser. Un choix, c’est par hypothèse, décider de ne pas faire, c’est réformer, c’est changer. Celui qui ne fait pas un choix n’est peut-être pas un être humain. Car l’être humain lui-même est un être en mouvement dans un monde en mouvement. Un gouvernement qui ne fait pas des choix n’en est pas un. Un responsable politique qui ne fait pas des choix n’en est pas un. Et nous sommes en parfaite cohérence avec cela. D’autant par ailleurs, dans notre contexte africain, d’Etat en construction, d’Etat dont les ressources sont extrêmement limitées. Plus les ressources sont limitées, plus graves, plus contestables sont les choix. Il faut ajouter à cela que la plupart des choix que nous faisons, ce sont des choix qui visent à limiter les acquis de l’élite (dont je fais partie). Ce sont des choix qui visent à faire en sorte que dans le faisceau d’amitié sociale, intellectuelle et professionnelle, familiale, les acquis et les facilités des uns et des autres soient réduits. Que les poches de renforcement financier auxquelles les uns et les autres sont habitués dans ce cercle soient de plus en plus réduites au bénéfice du grand nombre. C’est donc ce choix que fait le gouvernement pour le plus grand nombre. Il est donc normal que ceux dont les avantages sont limités ou épuisés, ceux dont on prive ces avantages et qui sont quand même dans notre cercle d’amitié, dans notre cercle social, puissent contester parce que ces choix à leur égard sont contestables. Vous ne verrez donc pas que plus de 80 % de la population béninoise qui a des difficultés d’accès à l’eau potable, conteste ces choix. Ce ne sont pas celles et ceux qui n’ont pas de l’énergie, qui sont en attente de lumière, de routes, de réfection de sentiers, de pistes rurales, ni celles et ceux qui n’ont pas d’école, de maîtres ou qui ne profitent pas d’un programme scolaire concurrentiel, qui contestent les choix que nous faisons. Donc on comprend qu’il y ait des contestations. Elles sont peut-être légitimes mais elles ne fondent pas que nous revenions sur les choix que nous avons faits. Et ces contestations doivent être assumées par le politique. Parce qu’il est au service du plus grand nombre, de l’intérêt général, le politique ne doit pas renoncer parce que l’on conteste pour autant qu’il a foi dans les choix qu’il fait. Et c’est ce qui explique le courage avec lequel le président de la République conduit les actions bien que ces actions limitent les avantages auxquels une partie importante de l’élite espère avoir droit. Je voudrais donc vous dire que si nos Etats africains et en particulier le Bénin, sont demeurés dans leur état économique, la raison fondamentale, c’est que la plupart des gouvernants ont cédé aux contestations de l’élite. C’est parce que la plupart des gouvernants ont préféré la facilité, la quête d’une popularité qui ne vise qu’à préserver les acquis qui ne renforcent pas le plus grand nombre et qui ne font pas avancer le pays. Si nous n’étions pas contestés, si nous refusions la contestation, peut-être bien que les édifices que nous allons contribuer à mettre en place seront comme le nouveau siège de l’Assemblée nationale. Peut-être bien que les sociétés continueront à être gérées comme nous sommes venus les voir. Peut-être bien que les primes excessives continueront par être satisfaites. Peut-être bien que la lutte contre la corruption ne sera jamais une réalité. Car la lutte contre la corruption touche évidemment l’élite. C’est une arme que nous dégainons contre nous-mêmes. Peut-être bien que beaucoup de réformes n’auraient pas été engagées. Peut-être bien que le président de la République aurait offert au pays ce qu’il ne possède pas. Ce qui ruine le pays, c’est le fait pour les gouvernants de donner ce que le pays ne possède pas, de promettre ce que le pays n’a pas. Ce qui fait les contestations, c’est le fait de dire exactement ce dont le pays est capable, c’est le fait de priver un peu le présent, pour construire l’avenir. C’est le fait de savoir que si nous sommes 11 ou 12 millions aujourd’hui, nous serons peut-être 20 ou 25 millions plus tard et de préserver pour cette génération à venir de bonnes routes, de faire en sorte qu’elle ait un système hospitalo-universitaire cohérent, qu’il y ait des écoles qui les reçoivent… C’est le fait de construire le Bénin de demain même en satisfaisant le plus grand nombre aujourd’hui. Ces choix sont des choix courageux, encore une fois contestables pour l’élite, mais légitimes et dans tous les cas, approuvés par le plus grand nombre.

Au cœur de l’élite contestataire, il y a quand même des juridictions notamment la Cour constitutionnelle qui a estimé qu’il y a un certain nombre de décisions qui violent la loi fondamentale….

Si vous voulez que je réponde à vos questions, ne faites pas adjonction avec la Cour constitutionnelle.

Il y a une expression qui vous est collée et qui hélas ternit quelque peu votre image. C’est « la ruse et la rage ». Pouvez-vous repréciser votre idée pour éviter les amalgames ?

Il n’y a pas d’amalgame à éviter. Moi, je n’ai pas à justifier une pensée. Je le dis en toute sincérité, avec réalisme, je n’ai pas à démontrer ce qui est. Nul ne peut démontrer le vent ! Je ne vais pas justifier la table autour de laquelle nous sommes. Chacun convient que pour gérer un pays, il faut de l’habileté intellectuelle et politique. On ne vous enseignera pas aujourd’hui, qu’il faut de l’ardeur, du courage, de l’abnégation… Il ne faut pas reculer devant l’obstacle. Si soi-même, on se satisfait d’autres substantifs que rage, courage, abnégation, force, ténacité… Eh bien, qu’on adopte ces autres substantifs. Mais il ne m’appartient pas de justifier ce qui est si évident. Et recommander à tout gouvernant d’avoir cette intelligence politique pour gérer la société, cela n’a bien entendu, aucun caractère péjoratif.

Mais ce qui gêne un peu, monsieur le ministre, c’est venu après le rejet de l’étude du projet de révision de la Constitution…

Vous voulez qu’après le rejet du projet de révision de la Constitution, je ne porte que des pots de fleurs ! Si c’est cela, on verra bien !

Il paraît qu’il y a une guerre de leadership autour du chef de l’Etat et que c’est en votre faveur. Vous confirmez ?

La sorcellerie, c’est de mettre le verbe paraître au-devant de toutes les supputations, les rumeurs, les fantasmes. Mais je ne suis pas un sorcier. Je ne peux pas vous dire si ces allégations, ces rumeurs sont justifiées. Nous ne sommes pas dans un espace de mysticisme politique où il y a des activités divisionnistes. Il y a une équipe qui est au pouvoir, qui travaille et se met résolument au service de notre pays dans des conditions que vous savez difficiles, un contexte où des décisions qui sont prises avec courage. Cette équipe travaille en toute harmonie selon la place que le président de la République confère à chacun et en toute complémentarité.

Pour ce qui est de la lutte contre l’impunité, on vous a vu à l’œuvre, une fois encore, très actif. S’il vous était donné de faire aujourd’hui le bilan en deux ans, que peut-on retenir ?

J’ai l’habitude de parler de culture de la punition qui est le préalable au respect du bien public, le bien qui nous appartient à tous. Nous sommes venus dans un contexte de culture de l’impunité. Mais le programme que le président de la République conduit avec les membres de son gouvernement instaure une culture de la punition, la crainte du bien public. Vous-mêmes vous appréciez les résultats. Qu’au sein de mon ministère, vous adressiez dans un bureau ou que vous remettiez de l’argent à un fonctionnaire, même s’il accepte, ce serait après moult réflexions. Et même après avoir accepté, ce serait avec de grosses craintes de suites éventuelles. Parce que chacun sait que les uns peuvent dénoncer les autres, que le gouvernement regarde et voit partout. Et que systématiquement ces affaires font l’objet d’une suite judiciaire, et que maintenant il y a des résultats au plan judiciaire. Vous savez déjà qu’à la fois, la corruption active et celle passive sont sanctionnées. Maintenant des fonctionnaires refusent des présents avec beaucoup de dignité. Nous entrons dans une phase de culture de la crainte de l’Etat. C’est l’autre point sur lequel je voudrais attirer l’attention. L’Etat revient avec le respect de ceux qui incarnent l’Etat. L’absence de l’Etat est le cimetière des citoyens. C’est le cimetière des personnes vulnérables parce que c’est l’Etat qui va au secours des plus vulnérables. Jusque-là, nous avions la culture des individus qui sont plus forts. Aujourd’hui, nous avons la culture de l’Etat. Quelque chose ne vous frappe pas ? Dans notre pays, qui appelle l’homme ou la femme qui est dans le social ? Dans notre culture, c’est celui qui a beaucoup d’argent et qui construit les écoles, donc l’Etat ne construit pas des écoles! C’est celui qui construit des hôpitaux, donc l’Etat ne construit pas des hôpitaux ! C’est celui qui a beaucoup d’argent, qui reçoit des ordonnances des citoyens qui sont en incapacité d’avoir une sécurité sociale. Donc l’Etat n’a pas de sécurité sociale, il n’y a pas d’assurance et c’est celui-là qui a privé l’État des impôts qu’il devrait verser. C’est celui qui a trouvé des ressources par des portes de fuite d’évasion des ressources publiques. Eh donc, quand on prive l’Etat, on devient un homme ou une femme sociale.
Le programme du gouvernement dans la lutte contre l’impunité, dans la lutte contre les malversations, dans la lutte contre la corruption, c’est de faire en sorte que l’État soit la personne la plus sociale de ce pays et non les individus. Le jour où vous verrez Joseph Djogbénou avec beaucoup d’argent en train de construire des écoles, cela veut dire que cet argent a été puisé quelque part, dans les ressources de l’État. Le président de la République et le gouvernement cherchent à faire en sorte que l’Etat recouvre toute sa puissance pour être présent partout. On ne dit pas qu’un être humain ne doit pas être généreux. Mais, il est impossible d’admettre et politiquement rétrograde de considérer qu’à la place de l’État, ce sont les individus qui vont exercer ces fonctions régaliennes.
Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est donc que les ressources qui appartiennent à l’État soient confiées à l’État et que ce dernier soit le moteur de faire en sorte que le citoyen soit satisfait des besoins essentiels de la vie : l’école, la santé, etc.

Que répondrez-vous à ceux qui estiment que cette punition-là est sélective ?

Est-ce que vous avez vu l’Etat derrière l’agent de police qui a refusé de prendre 5000 francs ? Est-ce que c’est cela la sélectivité ? Quand le fonctionnaire considère qu’il doit, de comportement, de culture, faire en sorte que les citoyens ne soient pas harcelés, c’est cela la sélectivité ? Lorsque sur nos routes, le policier ne tend plus la main à nos concitoyens, et que c’est l’État qui lui tend la main pour nous protéger tous, vous pensez que de la sélectivité? Pour faire cela, vous voulez que l’État fasse quoi ? Que l’État punisse ! Pour avoir ce résultat, l’État a dû punir les quelques-uns qui sont suspectés, qui sont jugés pour que les autres aient cette crainte-là. La seule chose qui aurait été légitime de quereller, c’est de dire que toutes les personnes prises n’ont rien accomplis comme infraction. Si vous dites cela, que les personnes poursuivies n’ont pas commis les faits pour lesquels on les poursuit, vous pouvez conclure à cela. Mais, votre question n’est pas de dire: mais, pourquoi telle personne alors qu’elle n’a pas commis les faits ?
Je pense qu’il serait mieux de demander pourquoi tout le monde n’est pas poursuivi, alors ne doit-on pas poursuivre ? Ce grief de la sélectivité est légitime. La sélectivité est inexistante. À faire un calcul d’apothicaire pour avoir la coloration politique des personnes qui sont poursuivies, c’est quasiment inutile.
Encore une fois, la vraie critique, à laquelle j’aurais pu répondre devrait être celle de savoir des personnes poursuivies quelle que soit la couleur politique n’ont pas commis les actes et on les aurait poursuivies.
Je pense que l’action du gouvernement rencontre la fierté de nos compatriotes, et est appréciée partout en Afrique. C’est ce que veulent les citoyens africains.

Monsieur le ministre, un mot pour clore cette entretien.

Je pense que le seul mot, c’est de remerciement. Dans les jours à venir, bientôt, sans doute, je serai frustré de ne plus être directement le collaborateur du président de la République. Depuis deux ans avec passion, avec patience, avec énergie, avec la totale disponibilité du chef du gouvernement et du président de la République, avec le soutien de l’ensemble des membres du gouvernement, nous avons ensemble pendant ce cheminement accompli beaucoup de chose, dans l’intérêt de notre pays et de nos compatriotes. Je ne peux pas dire que cette présence continue, forte, fertile ne me manquerait pas. Sans doute qu’il y aura une mutation. Je serai condamné à ne plus livrer ces informations, à ne plus m’exprimer devant vous, à me laisser interviewer, à ne plus communiquer. Voyez-vous que c’est une grosse frustration que nous saurons gérer.
Mais, je voudrais remercier les uns et les autres, de nous avoir donné l’occasion de contribuer à ce que nous avons fait aux côtés du président de la République. Et, le président de la République en premier.

Propos recueillis par Sabin LOUMEDJINON et Claude Urbain PLAGBETO

Sabin LOUMEDJINON et Claude Urbain PLAGBETO
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