L’érosion côtière fait des ravages énormes à Grand-Popo selon le Docteur Brice Sohou, spécialistes des risques et catastrophes et membre de l’unité de recherche d’érosion côtière de l’université de Montréal (Canada) pour son parcours exceptionnel sur la question. Grand-Popo risque de disparaître si rien n’est fait. La situation est d’autant plus urgente qu’il lance un cri d’alerte à l’endroit du gouvernement qui concentre beaucoup plus ses efforts à investir sur la côte Est.Lire l’interview qu’il a accordée à votre journal.
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Brice Sohou : Je suis Enagnon Brice SOHOU, Docteur Géoscience, spécialiste des risques et catastrophes de l’université de Liège (Belgique). J’ai contribué en 2016, en tant que Jeune Parlementaire de la Wallonie (Belgique), à la définition de la politique Wallon pour une alimentation durable sur invitation officielle du Ministre Belge Carlo Di Antonio. Je suis auteur de deux livres sur les risques climatiques au Bénin avec d’importants prix et distinctions à l’internationale.
Quel est de façon générale l’état des lieux des catastrophes liées au phénomène de l’érosion côtière au Bénin ?
Nous sommes en situation exceptionnelle de crises en matière d’érosion côtière sur nos côtes. C’est bien vrai qu’il y a beaucoup de travaux en cours qui permettent de limiter les catastrophes en situation de crise pour ce qui concerne la dérive littorale sur nos côtes. Mais il faut remarquer que le Bénin investit beaucoup plus sur les côtes Est du Bénin. C’est-à-dire que nous luttons plus sur les effets, mettant en jeu la contribution relative du Port de Cotonou à l’évolution du trait de côte qui est la ligne imaginaire qui sépare l’océan du continent. Lors d’une dérive du littorale, l’océan transgresse vers le continent, et entraîne d’énormes conséquences liées à l’érosion côtière. Déjà, il faut reconnaître les pays de l’Afrique au sud du Sahara à la limite du Golfe de Guinée subissent déjà les revers du réchauffement climatique. La houle marine ne cesse de s’augmenter avec le pic des émissions du CO2, et intensifie la fréquence côtière des fortes vagues. Normalement c’est cette chaleur houle marine qui augmente l’intensité des vagues et fait déborder l’océan sur le continent à vitesse de croisière. Il faut reconnaître aussi que la déglaciation des calottes polaires a connu une impressionnante accélération avec ledit réchauffement et conduit à l’augmentation rapide du niveau de la mer. Sur nos côtes en particulier, il y a une question de vulnérabilité. En tant que spécialiste des risques et catastrophes, la vulnérabilité c’est le fait que tous ces phénomènes entraîneront assez de conséquences lorsque l’homme lui-même augmente le risque qu’il ait de catastrophes. Le Port de Cotonou empêche le transit sédimentaire de l’Ouest vers l’Est. Et ce transit sédimentaire de l’Ouest vers l’Est de Grand-Popo conduit à un déficit de dépôt sédimentaire au bord des côtes Ouest du Bénin. Normalement on devrait avoir naturellement tout le temps une accumulation de sédiment. Et le Port de Lomé empêche cela. Ce qui, en grande partie, de même que le dragage de sables dans les zones humide côtières, accélère l’intrusion marine. Lomé protège ses côtes, pourquoi pas nous ? Grand-Popo est quasiment à l’Est du port de Lomé. Nous sommes à la limite Bénin-Togo. Il s’agit d’une situation de crise géopolitique exceptionnelle. Les installations portuaires de Lomé influencent, menacent la ville de Grand-Popo de disparaître.
A vous entendre, on a l’impression que les efforts du gouvernement sont concentrés du côté Est et que l’Ouest est négligé ?
C’est cela. Mais il faut aussi comprendre le gouvernement. Pour tous les gouvernements précédents d’ailleurs, le Port de Cotonou étant le poumon de l’économie, si le gouvernement investit beaucoup du côté Est, c’est qu’il considère quand même que le port de Cotonou contribue à cette évolution du niveau de la mer. C’est très important. En économie de l’environnement, on parlera de l’internalisation des coûts d’externalité environnementale. C’est que ce tort intensifie les dégâts environnementaux aux bords de nos côtes. Voilà pourquoi l’Etat béninois investit beaucoup là. Mais on ignore ce qui se passe de l’autre côté. La ville de Grand-Popo est vraiment menacée de disparaître si aucune mesure n’est prise. Il y a quelques mois, le Bénin a reçu un contrat de financement de l’Union européenne pour lutter contre l’érosion et c’est la Banque mondiale qui est derrière ça. La majeure partie de ce financement, c’est vrai qu’on considère le côté Est mais il y a aussi une partie du côté ouest c’est-à-dire du côté d’Avlékété. Moi j’étais sur le site d’Avlékété, il y a une semaine, il y a dragage de sable jusqu’à maintenant.Je peux vous dire que les autorités locales sont beaucoup complices.
Parlant précisément de Grand-Popo, quelle est la situation à l’heure actuelle ?
A l’heure actuelle, si vous allez à Grand-Popo en particulier au niveau de l’ancien cimetière, nous sommes déjà à quelques mètres de la mer. Même si vous n’êtes pas cartographe, avec le travail que j’ai réalisé, vous allez voir le niveau de la mer en 2015 et en 2018. Vous allez voir comment la mer évolue vers le continent. Et si aucune mesure n’est prise ce sera catastrophique d’ici 3 à 5 ans. J’’ai vu des tombes de 1800 qui risquent de disparaître d’ici quelques années. C’est la mémoire des grands hommes qui sont là et si vous allez sur le terrain, vous découvrirez assez de zones humides d’intérêts qui disparaissent. Les mangroves avec leurs palétuviers sont menacées, et nous sommes à quelques mètres de la mer selon les travaux que nous avons réalisés il y a quelques jours sur le terrain.
Donc vous soutenez que si on n’y prend garde, Grand-Popo risque de disparaître ?
Grand-Popo risque de perdre une grande partie de son étendue continentale si aucune mesure n’est prise en urgence. Parait-il que c’est en 2019 que le gouvernement va investir sur Grand-Popo. Pour moi, ce n’est pas Avlékété qui est urgent mais Grand-Popo. Car, Grand-Popo mérite que les deux pays, le Togo et le Bénin négocient. Ce qui se passe à Grand-Popo n’est pas seulement lié au Bénin. C’est lié aussi au Togo. Nos autorités doivent en tenir compte. Chaque année, il y a la rencontre des grands hommes à Grand-Popo pour la fête de Nonvitcha. Mais ces grands hommes, qu’est-ce qu’ils font à part fêter et se retourner ? Cette ville est quand même une ville historique. Grand-Popo étant dans la basse vallée du fleuve Mono, elle est non seulement menacée par l’érosion côtière mais aussi par l’inondation cyclique. Le barrage de Nangbéto est en amont de Grand-Popo et modifie l’écoulement de l’eau. Cette ville doit être normalement protégée par deux pays : le Bénin et le Togo.
Selon vous, que devrait faire le Gouvernement ?
Quand j’étais sur le site d’Avlékété, j’ai remarqué qu’on continuait de faire du dragage de sable dans les zones humides. L’une des premières recommandations à l’endroit du gouvernement, c’est qu’il faut interdire tout dragage de sable sur nos côtes, en particulier dans les zones humides. Et pour lutter contre cette dérive littorale, ce n’est pas seulement le fait d’importer des granites de l’extérieur. Il faut encourager le dragage de sable au fond de la mer qui permet de lutter contre l’érosion côtière. Ce que nous dépensons actuellement pour importer des granites, on peut l’utiliser pour le dragagede sable au fond de la mer. Ce dragage au fond de la mer servira de changement d’activités aux entreprises qui exploitent le sable des zones humides. Quand on drague du sable au fond de la mer, on permet à l’eau de rentrer encore dans la mer et on crée de l’emploi tout en reculant la mer. J’étais en France l’année dernière et on a fait un calcul sur ce qu’on a injecté à l’Est du port de Cotonou. Au moment où on investit un million d’Euro là-bas, on investit 10 millions d’Euro ici pour lutter contre l’érosion côtière. Voyez la différence ! Donc il faut savoir investir. Il ne sert à rien de gaspiller nos maigres ressources pour lutter contre l’érosion côtière. On peut agir autrement. Si on n’a pas la possibilité d’avoir de la matière première pour lutter contre cette érosion, l’une des solutions est de draguer du sable au fond même de la mer et en même temps on installe un système de lutte antiérosive sur les côtes. Ce qui permettra à la mer de reculer. C’est une solution plus ou moins fiable qui permettra aussi d’exploiter le sable du fond de la mer pour les constructions. Ce qui limitera forcément l’exploitation de sable dans les zones humides. Il y a un contact entre l’eau de mer et l’eau des zones humides lorsqu’on intensifie l’exploitation du sable des zone humides côtières. Lorsque les gens disent qu’on a des milliers de poissons qui meurent, je dis qu’il faut aller doser la salinité de ces eaux humides. Est-ce que ce n’est pas à cause de la salinisation de l’eau douce que beaucoup d’espèces d’eau douces meurent ou disparaissent ces dernières années au Bénin ? Beaucoupd’espèces aquatiques d’eau doucesont sensibles à la salinisation et il suffit tout simplement que l’eau devienne salée à la suite d’une intrusion marine souterraine, et on va croire que c’est des personnes mal intentionnées qui sont à la base de la mort des poissons.
A propos de la polémique autour de l’importation de granites de la Norvège, quel est votre avis ?
Pour moi l’importation de granites de l’extérieur n’est pas aussi grave qu’on veut la faire croire. Je suppose que l’exécution du contrat doit financièrement répondre à certaines exigences et que le gouvernement est de bonne foi en allant chercher les pierres en Norvège. Cela a un côté positif : C’est la préservation de nos ressources afin de ne pas détruire notre écosystème. Mieux ce sont des granites qui respectent une certaine norme. Un tel choix engage le Bénin à collaborer avec d’autres pays en matière de lutte contre l’érosion côtière. Mais le côté négatif, c’est que les générations futures de la Norvège risquent, les années à venir, réclamer une compensation des crimes environnementaux liés à la vente de ces granites vers le Bénin. Et cela peut engager le Bénin dans une situation de crise géopolitique environnementale.
Avez-vous des recommandations à l’endroit du gouvernement ?
Il faut reconnaître que les politiques actuelles du PAG sont au cœur même de la préservation des ressources naturelles. Il urge une priorisationdans la lutte contre les catastrophes côtières appuyée d’un diagnostic pertinent sur la base des alertes. Il faudrait que les politiques publiques initient l’intervention des groupes cibles et des bénéficiaires finaux qui sont exposés à ces catastrophes-là. C’est-à-dire que les populations, les experts, la presse et l’Etat doivent collaborer dans la fraternité pour une meilleure surveillance des risques côtiers. Les autorités compétentes doivent s’impliquer plus sur le terrain en collaboration avec les hommes de science et la société civile pour mieux agir. Il urge d’initier un cadre de concertation en la matière.L’Etat pour moi doit prioriser l’exploitation du sable au fond de la mer pour lutter contre l’érosion côtière. C’est une méthode naturelle et l’Etat doit intégrer en ce qui concerne l’éco-tourisme durable une politique de conservation des zones humides côtières. L’Etat doit faire un diagnostic plus approfondi et identifier les zones les plus concernées par ces menaces pour lutter efficacement contre l’érosion côtière. Ma doléance, est que le dossier de création de « l’Agence Béninoise des Risques et Catastrophes » que j’ai initié personnellement au Gouvernement, et qui a reçu un soutien du Chef de l’Etat ne traine pas encore pour longtemps dans les bureaux de nos cadres. Nous avons foi et nous croyons en l’avenir…