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Richard Boni Ouorou à propos du système partisan : « … C’est un concept vide de sens »

Publié le vendredi 25 mai 2018  |  Matin libre
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© aCotonou.com par DR
Richard Boni Ouorou, politologue béninois
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Dans un exercice qu’il affectionne particulièrement, le politologue béninois Richard Boni se livre à une analyse affûtée et sans concession du marigot politique de son pays. Depuis Montréal au Canada où il vit, ce spécialiste en conception, évaluation et conseil stratégique pour la mise en œuvre de politiques publiques estime que l’absence d’une véritable opposition est un fait préjudiciable pour la démocratie béninoise.

Matin Libre : Quel regard portez-vous sur l’actualité politique béninoise ?

Richard Boni Ouorou : N’importe quel expert ou observateur de la scène politique béninoise ne peut qu’être interloqué du fonctionnement de celle-ci et ce pour une seule raison : le déficit fonctionnel, pour ne par dire la quasi-absence de ce qui tient lieu d’opposition politique. Le Bénin fait les frais aujourd’hui de ce raisonnement opportuniste entendu plusieurs fois de la bouche des politiques. Raisonnement désastreux selon lequel on se refuse de faire l’opposition.

En quoi est-ce un désastre ?

C’est un désastre parce qu’il est fondamental de comprendre quelque chose de très simple : il n’y a pas de démocratie sans opposition. Nous, Béninois, noussommes longtemps gaussés du rôle qui a été celui de notre pays dans l’avancée de la démocratie en Afrique. Mais force est de reconnaître que depuis déjà bien de temps l’éclat du phare de la démocratie africaine a terriblement terni. L’une des illustrations de ce constat est le fait que notre classe politique se refuse de remplir un rôle capital en démocratie. L’existence d’une opposition est aussi vitale pour la démocratie que le sang pour l’organisme. Il faut que certains Béninois arrêtent de se leurrer en pensant que la qualité d’une démocratie tient en la simple tenue régulière des échéances électorales. Non, les élections ne sont que l’aboutissement d’un travail minutieux mené en amont dans l’intervalle des consultations électorales.

Est-ce que votre constat n’est pas très sévère ? On note quand même l’existence d’une opposition réunie dans un front.

L’existence d’une opposition ne doit pas qu’être formelle, elle doit être également et surtout fonctionnelle. Comme qui le dirait trivialement ‘‘on doit sentir que l’opposition est présente’’. Or qu’est-ce qui se passe avec le front dont vous parlez ? Sa principale tête d’affiche est Fcbe (Forces cauris pour un Bénin émergent, ndlr), ex-coalition au pouvoir. Déjà on notera qu’une bonne partie des pontes des Fcbe a fait défection pour aller grossir les rangs de la Rupture. Ensuite, ceux qui sont restés donnent l’impression qu’ils y sont faute de n’avoir pu rallier le train de la mouvance actuellement au pouvoir. Et puis il faut parler du dernier né qui constitue manifestement un pan important de l’opposition politique formelle, j’insiste bien sur formelle’’, je veux parler de la formation politique de Sébastien Ajavon. Après avoir été portée en grande pompes sur les fonts baptismaux, elle semble être retournée d’où elle vient, c’est-à-dire de nulle part. Le triste constat que l’on peut logiquement dressé de l’action de ce qui est qualifié d’opposition politique dans notre pays, c’est l’apathie. Il faut tout de même noter une exception significative en la personne de Léonce Houngbadji. C’est à mon avis le seul qui joue un rôle digne de celui d’un véritable opposant politique. Il me donne l’impression de venir à bout jour après jour de ce qui pour le moment est son handicap à savoir le fait qu’il ne surfe pas sur un vécu et sur un capital politique. Il est, pour ainsi dire, parti de zéro pour bâtir sa légende politique.

Du fait que vous mettez en relief le déficit fonctionnel de l’opposition, en appelez-vous comme d’autres au système partisan ?

Ne vous laissez pas prendre par cette expression à consonance savante. Le ‘‘système partisan’’ tel qu’ânonné par bon nombre d’acteurs du landernau politique béninois n’est qu’un concept fumeux et creux. Cela ne veut absolument rien dire. La constitution du 11 décembre 1990 consacre déjà le système partisan en son article 5 en disposant grosso modo que les partis politiques animent la vie politique. Qu’est-ce qu’on veut inventer après cela ? Les acteurs politiques béninois de tous ordres doivent faire ce que tous les politiques du monde font dans une démocratie à savoir, animer la vie politique. C’est rien que ça qu’il faut faire et non distraire l’opinion au travers d’un concept vide de sens. Comme je l’ai dit, je ne sais vraiment pas ce que l’on veut encore inventer, mais je reconnais là ce comportement que je qualifie de fétichisme juridico-institutionnel. Celui-ci consiste à croire que l’on peut venir à bout des travers qui relèvent essentiellement des comportements personnels en adoptant des nouvelles lois ou en créant des nouvelles institutions. Le seul intérêt que je trouve à cette pseudo-réforme c’est la question du financement des partis politiques.

Que doit donc faire une partie de la classe politique béninoise pour véritablement faire l’opposition ?

Je répondrai à cette question par un pléonasme : l’opposition politique, pour être digne de ce nom, doit s’opposer. Il s’agit tout simplement ici de se réapproprier les fonctions classiques reconnues à cette catégorie d’acteurs politiques. A cet effet, elle doit avant toute chose procéder à la formation politique et civique de ses militants et sympathisants. Ensuite elle doit s’employer à interagir aux actes du pouvoir en place par des prises de position exprimées au travers des communiqués, des conférences et points de presse, des manifestations publiques telles que des meetings, des sit-in si nécessaire, des marches de protestation, etc. Et enfin et surtout, elle doit proposer un programme politique alternatif. Il ne s’agit pas seulement d’un énoncé ou d’un catalogue de bonnes intentions, il s’agit aussi d’un mode de vie. L’opposition en son sein et dans son fonctionnement doit en effet refléter les valeurs démocratiques en les mettant en pratique au quotidien en son sein. Il s’agit au travers de cette attitude de rassurer et de convaincre les électeurs qu’elle exercera le pouvoir dignement et de manière compétente. En s’opposant de la sorte, il va de soi que l’opposition politique occupera efficacement l’espace politique mieux qu’elle ne l’a fait depuis déjà plusieurs années. Et si elle met l’intensité nécessaire dans sa lutte, elle arrivera au pouvoir. Pour le moment l’état des lieux indique qu’on est très loin de parvenir à une telle situation. J’ai bien peur que l’arrestation du député Atao Hounihho me donne raison.

Justement parlant de l’arrestation de Atao Hounihho, quelle lecture faites-vous de ce fait d’actualité ?

Plus qu’un fait d’actualité, cette arrestation est le symbole même de la tragique descente aux enfers de notre démocratie. Le procureur de la République, c’est-à-dire le bras armé judiciaire du pouvoir exécutif, a procédé à cette arrestation au mépris absolu à la fois d’une décision de justice et de l’immunité parlementaire. En ce qui concerne l’immunité parlementaire, il faudrait savoir qu’elle est parmi les premiers piliers des droits et libertés contre l’absolutisme royal dans un premier temps et l’autoritarisme du pouvoir exécutif. Dans toutes les démocraties, c’est la garantie absolue de la liberté du parlementaire. S’il y a une notion que la classe politique a appréhendée dans toute sa dimension c’est celle-là. Car tout un chacun savait que l’Assemblée nationale était un sanctuaire qu’aucun gouvernement de l’ère démocratique n’avait jusqu’ici osé désacraliser. Et le plus paradoxal dans l’arrestation du député Atao, c’est qu’on ne peut pas affirmer qu’elle soit dépourvue de toutes considérations politiques bien qu’on veuille laisser croire qu’il ne s’agit que d’une vulgaire affaire de droit commun. Donc ici, l’immunité parlementaire trouve toute sa justification à mon avis. Ce qui est affligeant c’est l’absence de réaction de la classe parlementaire d’abord et de la classe politique ensuite. Vous imaginez cela dans une démocratie dotée d’une véritable opposition ? J’ai comme l’impression qu’aucun politique n’a encore compris la portée de cette arrestation. Le bouclier qu’est l’immunité parlementaire vient de voler en éclat et de ce fait plus personne n’est à l’abri.

Vous semblez fustigez le rôle de la justice dans cette affaire.

Je ne fustige pas du tout la justice. L’attitude du procureur de la République est sujette à caution. Assez étonnement, cette affaire offre l’occasion d’interpeler le syndicat de la magistrature l’Unamab (Union nationale des magistrats du Bénin, Ndlr). Ce syndicat s’est illustré dans la lutte pour la préservation de la justice contre toutes formes d’atteintes. Mais seulement, dans sa démarche syndicale, il orientait son action contre celui qu’il estimait être à raison le principal acteur de ces atteintes, à savoir le pouvoir exécutif. La question que je pose à l’Unamab est celle de savoir si l’attitude du procureur de la République dans l’arrestation du député Atao ne relève pas d’une atteinte à la justice ? Il est important que ce syndicat se prononce et prenne position quant au comportement de cet acteur de la magistrature.

Pour revenir à la fonction d’opposant politique, est-il si facile de la remplir dans la mesure où beaucoup d’acteurs politiques craignent de la part du pouvoir des mesures de représailles sous diverses formes ?

Cet argument n’est absolument pas recevable. Il exprime au mieux une espèce de paresse. Cet argument n’est pas recevable parce qu’il existe en Afrique des alternances qui ont vu des régimes politiques plus qu’autoritaires qui ont perdu les élections qu’eux-mêmes ont organisées. Je ne veux pour exemple que la récente défaite de Yaya Jameh en Gambie. Adama Barrow, le président gambien actuel, qui a mené une opposition de longue date à Yaya Jameh était pourtant un homme d’affaires. Il a su faire preuve de résilience face aux turpitudes de toutes sortes du régime qu’il a réussi à battre à la fin. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’aucun régime politique de l’ère démocratique chez nous n’est comparable à ce qu’était celui de l’ex-président gambien en termes d’autoritarisme. Une fois de plus, j’estime que prétexter des éventuelles représailles d’un régime en place pour ne pas faire l’opposition politique relève de la paresse, doublé d’un calcul bassement opportuniste et triplé d’un déni de démocratie. On voit bien là la manifestation de la stratégie de l’embuscade électorale chère à notre classe politique… particularité dans le monde à savoir que les présidents élus ne parviennent pas au pouvoir au terme d’un engagement politique de plus ou moins longue date. En 1991, le technocrate qu’était Nicéphore Soglo a bénéficié de l’aura que lui a conférée la primature pendant la période de transition pour se faire élire. En 1996, le général Kérékou est sorti de son refuge aux ‘’filaos’’ pour directement intégrer le palais de la Marina. En 2011, Yayi Boni a quitté le confortable fauteuil d’une banque sous-régionale pour aller s’installer dans le fauteuil présidentiel. L’élection présidentielle de 2016 a été le summum de cette particularité. Patrice Talon a tout simplement réussi un casse, pour reprendre l’expression de Léonce Houngbadji, afin de prendre possession du palais présidentiel. Dans tous ces quatre cas de figure, il y a deux faits communs. Le premier est qu’aucun de ces chefs d’Etat ne possédaient de formation politique. Le second est que la classe politique s’est comportée en supplétif pour aider ces derniers à parvenir au pouvoir. Il convient toutefois d’apporter une nuance en ce qui concerne le président Soglo. Ce dernier peut revendiquer à son compte cette singularité du fait que la période qui caractérise son arrivée au pouvoir était en quelques sortes l’année zéro de la démocratie béninoise. Mais d’une manière générale, plutôt que d’être l’aboutissement d’un engagement politique constant, âpre et consistant, l’élection présidentielle semble être la manifestation de la réussite du meilleur opportuniste qui surgit de nulle part pour s’emparer du pouvoir. Si cela n’est pas une embuscade ça y ressemble de très près.

Vous conviendrez quand même que les récentes grèves ont démontré l’existence d’un mouvement syndical assez fort ?

C’est à la fois une mauvaise et une bonne chose. C’est une mauvaise chose en ce que, du fait de l’absence d’une véritable opposition politique, les syndicats sont malheureusement perçus comme telle. Or ce n’est ni leur rôle ni leur fonction. Les syndicats sont et restent avant tout des forces sociales ayant pour but de défendre les intérêts catégoriels de leurs adhérents. C’est une bonne chose parce que ce mouvement de grève a été l’occasion d’une mobilisation sans précédent. Je salue à cet effet la clairvoyance des responsables syndicaux qui ont su arrêter à temps leur grève afin d’éviter un enlisement et un pourrissement qui sans doute leur auraient desservi.

Un mot pour conclure ?

Déjà ? Soit ! Je préfère conclure en restant sur le dernier point évoqué. J’espère que le président Patrice Talon a compris le principal enseignement de ce mouvement de grève qui a paralysé le pays pendant une très longue période. J’espère qu’il a réalisé que le mécontentement actuel est tel qu’une mobilisation populaire à caractère insurrectionnel est possible et envisageable. Ce qui n’est pas souhaite, naturellement. D’où notre rôle, qui consiste ici à tirer la sonnette d’alarme. Parce que prévenir vaut toujours mieux que guérir.

Propos recueillis par la rédaction
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