Les enseignants de la maternelle et du primaire seront évalués le 16 juin prochain dans toutes les circonscriptions scolaires du Bénin. Cette décision fait suite à des inspections organisées dans le cadre régulier du contrôle et de la supervision pédagogique qui ont révélé des lacunes tant au plan technique que dans le maniement de la langue de Molière. Plusieurs acteurs ont jeté un regard critique sur cet état de choses.
Lundi. Il est 10 heures. C’est la pause à l’école primaire publique d’Akassato. Paterne, enseignant au Cours élémentaire 2ème année (Ce2), est en pleine discussion avec deux de ses collègues enseignants. De près, l’on peut aisément s’apercevoir que Paterne éprouve des difficultés à s’exprimer en français. Non-respect de l’accord du participé passé, des adjectifs qualificatifs, mauvaise conjugaison des verbes, mauvais choix des déterminants, le tout corroboré par un débit vocal émietté. Autant de ratés linguistiques qui indisposaient ses collègues. Après 10 minutes de discussion, M. Paterne se rend en classe. « J’imagine ce que celui-là peut enseigner à ses élèves… ! », fait remarquer Guillaume, l’un des interlocuteurs.
Le cas de Paterne n’est que la partie visible de l’Iceberg. Selon le conseil des ministres du 16 mai dernier, une évaluation du personnel enseignant portant sur un effectif représentatif de 6720 enseignants au plan national a permis de constater que le niveau de maîtrise des outils linguistiques (grammaire, conjugaison, orthographe) par les enseignants, n’est pas encore à la hauteur des attentes. De même, les inspections organisées dans le cadre régulier du contrôle et de la supervision pédagogique par les structures du ministère, relèvent chez certains, des insuffisances préoccupantes en expression orale et écrite. Pour remédier au plus tôt à cette situation, le Conseil a autorisé le Ministre des Enseignements maternel et primaire à mettre en œuvre le Programme de renforcement de la qualité à travers un plan de perfectionnement au profit des enseignants des écoles maternelles et primaires du Bénin. Pour ce faire, il élaborera un plan de renforcement de la formation professionnelle continue des enseignants des écoles maternelles et primaires.
La clé de l’apprentissage
Pour Michel Kouakanou, promoteur d’établissement scolaire privé, la langue dans notre contexte est la mère de toutes les disciplines. La maîtriser amène à comprendre les autres disciplines. « L’enseignant a besoin de la langue française pour transmettre le savoir sur les mathématiques, l’éducation civique et sociale, les sciences physiques et autres. C’est pourquoi j’insiste sur le fait que tous les enseignants doivent maîtriser le Français », explique-t-il. Plus loin, il a remis à chaque enseignant un dictionnaire français, ceci dans le but de rendre le personnel enseignant capable de transmettre le savoir quelle que soit la discipline. « La non maîtrise du français est un problème capital. Et la solution est d’amener les enseignants à se faire recycler. Si le Gouvernement peut subventionner les documents nécessaires pour l’amélioration des enseignants en français, ce serait salutaire », dit Macaire Fanon, directeur d’école.
Aussi, selon les acteurs, l’enseignant doit maîtriser son sujet. « Parfois, la non maîtrise de sa discipline peut amener l’enseignant à bégayer. Quand le cours est bien préparé, les mots viennent aisément et l’expression devient plus facile », ajoute Macaire Fanou, qui trouve que les fiches pédagogiques sont très importantes pour l’enseignant.
Le cancer de l’école !
Pour Daniel G., Directeur de l’école primaire publique de Zinvié, une éducation de qualité passe d’abord par un personnel qualifié. « Qui voyage loin ménage sa monture, dit-on. Donc, une éducation de qualité demande naturellement une ressource humaine de qualité. Mais, dans le cas d’espèce, la plupart des enseignants sont soit reversés ou recrutés à partir des diplômes professionnels tels que le Ceap ou le Cap. Ces enseignants sont les produits des programmes d’enseignement où la dictée matinale a disparu », dit-il, l’air inquiet. Selon lui, les mêmes causes produisent les mêmes effets. « Cela se comprend aisément lorsque les apprenants du secondaire ont du mal à s’en sortir en français. C’est une génération où les abréviations des mots sont devenues la règle. Vous comprenez donc les résultats chez nos apprenants », ajoute-t-il. A en croire Blaise Adjibi, Conseiller pédagogique des enseignements maternel et primaire, il n’est pas question d’évaluer le diplôme, mais plutôt la compétence. « Beaucoup ont les diplômes, mais très peu ont les compétences avérées pour le travail auquel ils sont conviés. Nous sommes à une phase où nous devons jeter un regard dans le miroir et penser à sauver les meubles », dit-il.
L’initiative gouvernementale
Pour corriger le tir, le gouvernement de la rupture a prévu la mise en œuvre d’un plan d’amélioration de la qualité de l’éducation dans le sous-secteur des enseignements maternel et primaire. Il s’agit d’évaluer les capacités intellectuelles et pédagogiques de tous les enseignants des écoles maternelles et primaires publiques et 10% des écoles privées à l’effet d’élaborer un plan de renforcement de la formation continue en arrimage avec le Programme d’actions du Gouvernement (Pag). Cette initiative vise à s’assurer de la qualité des enseignements dispensés aux apprenants, toutes choses qui contribuent à l’amélioration du système éducatif. Ainsi, les capacités des enseignants dans certaines disciplines dont le français et les matières dérivées ont été évaluées, afin d’organiser le cas échéant, un renforcement de capacités à leur profit.
Exiger des profils !
Pour améliorer la qualité de l’enseignement maternel et primaire, des réformes profondes sont nécessaires. A en croire André Djidonou, conseiller pédagogique de l’enseignement primaire, il faut porter la barre haut. « Il faut désormais exiger des diplômes tels que la licence ou la maîtrise accompagnées de diplômes professionnels avant de recruter les enseignants à la maternelle et au primaire. Il y a 30 ou 40 ans en arrière, les gens enseignaient avec le Cep. Pourtant, il n’y avait pas assez de problèmes. Quelques années après, on a commencé par recruter à partir du Bepc et du Bac », ajoute-t-il. Eu égard à la situation actuelle qui plomb davantage l’éducation de qualité au Bénin, des réformes profondes sont alors souhaitées.
Patrice SOKEGBE