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Filière anacarde au Bénin: Evitons de gâcher cette opportunité

Publié le lundi 11 juin 2018  |  La Nation
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© Autre presse par DR
Le Bénin fixe à 200 FCFA le kilogramme de la noix d’anacarde
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Dans notre précédente analyse de la filière anacarde, nous avons vu comment les planteurs béninois, qui viennent de connaitre une campagne exceptionnellement profitable, vont pouvoir bénéficier du programme en cours, mis en œuvre par le ministère de l’Agriculture pour accroître leur production et atteindre des niveaux de rendement et de rentabilité financière très avantageux quand, demain, ils utiliseront le meilleur matériel végétal disponible, dans le cadre des meilleures pratiques culturales.

Au cours de la campagne, le planteur béninois d’anacardiers a pu généralement dégager, bord champ, une marge nette d’au moins 600 000 F Cfa par tonne de noix brutes. Il n’en est malheureusement pas de même pour le transformateur béninois qui connaît, lui, une campagne particulièrement désastreuse. Lorsqu’il charge sur un navire au port de Cotonou les amandes blanches qu’il a produites au terme d’un long processus de décorticage impliquant l’utilisation de machines particulièrement onéreuses et un personnel nombreux, essentiellement féminin, il enregistre une perte d’environ 140 000 F Cfa par tonne de noix brutes qu’il a achetées à ce planteur.
Chacun sait que le marché mondial du cajou est dominé par deux pays : l’Inde et le Vietnam. L’Inde a décortiqué, en 2017, 1 315 000 tonnes de Noix de cajou brutes (Ncb) pour une production locale de 725 000 tonnes ; la différence, 485 000 tonnes, provient d’Afrique. De son côté, le Vietnam a décortiqué 1 600 000 tonnes de Ncb pour une production locale de 260 000 tonnes ; la différence, 1 340 000 tonnes, provient aussi d’Afrique.
Cette quantité de plus de 1 800 000 tonnes, représentant plus de 90 % de la production africaine de Ncb, a pu être achetée en offrant des prix insoutenables pour les transformateurs africains.

Comment expliquer cela ?

L’Inde, qui est le plus grand pays de consommation de noix de cajou, s’adresse plutôt à son marché local plus rémunérateur que le marché mondial. Dans ce pays, les amandes vendues sur le marché local attirent une prime allant jusqu'à 20 % par rapport à celles vendues aux Etats-Unis ou en Europe. Ainsi, le produit phare – l’amande de qualité supérieure (WW 320)- se vend localement au-dessus de 5 720 F Cfa/Kg contre 5 390 F Cfa à 5 610 F Cfa/Kg en Europe ou aux Etats Unis.
Dans le deuxième pays le plus peuplé du monde (plus de 1,2 milliard d’habitants), il existe également un marché très important (pâtisserie, gâteaux secs) pour les brisures vendues à un prix rémunérateur, de sorte que les transformateurs de cajou peuvent tolérer une moindre efficience en pourcentage de noix entières.
De son côté, le Vietnam arrive maintenant en tête du marché mondial des exportations d’amandes avec une part de marché de 76 %.
Ce pays qui, en 2017, a tiré jusqu’à 1 milliard de dollar US (550 milliards de F Cfa) de valeur ajoutée (recettes d’exportations nettes) de la transformation de Ncb, dispose d’un atout majeur : la grande dextérité de la main-d’œuvre et son faible coût avec, in fine, un rapport amandes entières/ amandes cassées et brisures de 85 % - 15 %, alors qu’il est le plus souvent de l’ordre de 50 % - 50 % en Afrique. Par ailleurs, pour traiter un sac de Ncb, lorsqu’il faut un travailleur au Vietnam, il en faut 2 à 4 en Afrique.
Ces deux facteurs, vaste marché intérieur pour l’Inde et main-d’œuvre extrêmement productive pour le Vietnam, compensent très largement les coûts de transports des noix de cajou brutes africaines vers ces deux pays. Ceci leur permet de se livrer une concurrence féroce sur le prix qu’ils sont prêts à payer sur les noix africaines. On est ainsi passé, en quelques années, de 1 200 USD Fob à 2.200 USD la tonne de Ncb, en position Fob.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’on voie les pays africains accroître leur verger d’anacardiers sachant que les débouchés sont assurés, avec une marge de profit importante par rapport à d’autres spéculations. La Côte d’Ivoire, pour ne citer qu’elle, est devenue, en quelques années, le premier producteur et le premier exportateur mondial de noix de cajou brutes et ambitionne maintenant de faire passer sa production actuelle de 72 500 tonnes/an à 100 000 de tonnes/an, dans les deux prochaines années.
Mais, dans le même temps, il est significatif que cette même Côte d’Ivoire peine à transformer sur place, plus de 6 % de sa production nationale. En 2017, les 29 usines de transformation de noix de cajou installées dans ce pays ont traité seulement 44 628 tonnes de noix brutes, un volume bien inférieur à la capacité installée qui est de 109 500 tonnes.

Obstacles

Quels sont les obstacles qui empêchent l’Afrique de tirer parti de son potentiel, d’autant que cela pourrait générer énormément d’emplois sur place (le dépelliculage et le tri demeurent extrêmement gourmands en main-d’œuvre) et des recettes d’exportations bien plus substantielles que celles tirées de l’exportation des noix de cajou brutes, en l’état ?
Malgré l’indéniable avantage géographique dont dispose l’Afrique, les différents obstacles affectant la transformation sur place de la noix de cajou africaine comparés à l'Asie sont les suivants :
1. les usines indiennes et vietnamiennes, amorties de longue date, ont des coûts de production beaucoup plus bas que les industries africaines plus récentes. Celles-ci ont dû faire venir leurs machines de haute technologie et de dernière génération d’Asie voire d’Europe, soit un surcoût d’installation et de maintenance de l’ordre de 40 % par rapport aux unités asiatiques ;
2. en raison d’une main-d'œuvre expérimentée, d’un coût de l’énergie inférieur, de programmes de mécanisation et d'automatisation soutenus par l'État, le coût de transformation au Vietnam est inférieur de 50 % au coût de transformation en Afrique ;
3. comme l'Asie s’approvisionne en noix d'origines différentes tout au long de l'année, elle ne doit pas porter de stocks importants, de sorte que leur coût financier est inférieur de 50 % à celui des transformateurs africains, qui ne s’approvisionnent que dans leur propre pays et doivent donc porter leurs stocks sur toute l’année ; par ailleurs, les transformateurs asiatiques peuvent ainsi bénéficier, le cas échéant, des variations de prix sur des marchés qui fluctuent tout au long de l’année.
L’Inde et le Vietnam, à force de se faire une concurrence effrénée, ont amené les prix de la Ncb, à leurs propres seuils de rentabilité : à preuve les 750 usines indiennes, sur un total de 824, qui ont fermées au cours des deux dernières années en raison de contraintes financières1 et les pertes essuyées l’année dernière par nombre d’opérateurs vietnamiens.

Dès lors, quelle marge reste-t-il aux transformateurs africains pour exister ?

Sans une forte implication des Etats africains pour permettre à la transformation locale, génératrice de plus-value et créatrice d’emplois, de se développer et s’épanouir, elle disparaitra.
Sans l’impulsion d’un Mahatir Mohamad pour l’huile de palme, en Malaisie, sans l’élan donné par Houphouët-Boigny au cacao en Côte d’Ivoire et sans l’intervention de l’Etat vietnamien pour le café et le cajou, ces pays n’auraient pas la position dominante qu’ils ont, dans leurs spéculations respectives.
Il ne saurait qu’en être de même pour la filière anacarde en Afrique où déjà les initiatives sont nombreuses et significatives.
En ce qui concerne le Mozambique, grâce au travail du projet Moza Cajú - le grand-frère de Bénin Cajú - le gouvernement soutient fortement les transformateurs locaux en interdisant toute exportation, pendant deux mois au moins, tant que les usines de transformation ne sont pas pleinement approvisionnées.
En Tanzanie, le gouvernement a décidé de réagir en privilégiant lui aussi la valeur ajoutée localement par la transformation. Aucun exportateur n’est autorisé à acheter les noix de cajou brutes directement aux producteurs. L’Etat, à travers une centrale d’achat, achète toute la production qu’il répartit ensuite entre les transformateurs et les exportateurs.
La Côte d’Ivoire a institué une taxe spécifique de 30 F Cfa/kg sur les exportations de noix brutes, reversée intégralement à la filière ; ceci permet, entre autre, de payer aux transformateurs, une subvention de 400 F Cfa par tonne d’amandes blanches exportée. A cela s’ajoute une taxe de 10 % ad valorem, en position Caf, soit actuellement environ 100 F Cfa/kg de Ncf, reversée au Trésor. De plus, pour maximiser le taux de transformation locale de Ncb, le gouvernement ivoirien a tout récemment pris la décision de mettre en œuvre un mécanisme qui prévoit de réserver une partie de la production nationale de Ncb (on parle de 15 %) pour la transformation locale.
En ce qui concerne le Bénin, le gouvernement a fait un gros travail pour formaliser les exportations qui jusque-là étaient entre les mains de petits exportateurs étrangers lesquels, échappant le plus souvent à toute fiscalité, allaient jusqu’à faire exporter leurs produits au nom de transitaires.
Désormais, une vérification vigoureuse permet de contrôler ces exportateurs qui doivent se faire enregistrer et déposer une caution importante pour être autorisés à exporter.
Par ailleurs, une taxe à l’exportation de 60 F Cfa/kg de Ncb a été instituée2.
Par contre, malgré l’installation en février 2017 par le président de la République, d’un comité Karité-Cajou composé d’opérateurs des deux filières, les besoins des transformateurs de noix de cajou n’ont toujours pas été pris en compte. Il faut espérer que les autorités sauront retenir les leçons du désastre de la campagne 2017-2018 pour redresser la barre en s’inspirant des mesures prises par les autres pays, en particulier la Côte d’Ivoire :

• Alignement des taxes à l’export sur ce pays.
• Subvention pour les amandes blanches exportées, financée sur une partie des taxes à l’exportation.
• Priorité à l’approvisionnement des transformateurs avant toute exportation.

Ceci permettrait aux unités de transformation béninoises, à défaut d’éponger les pertes abyssales connues dans cette campagne, de préparer avec sérénité la campagne prochaine?

Par Roland RIBOUX*
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