Depuis quelques années, nous assistons impuissants, dans notre pays le Bénin, à une espèce d’auto-flagellation destructrice de notre espèce collective dans sa triple dimension passé, présent et futur. En effet, depuis qu’il a plu à Me Robert DOSSOU de propager dans l’opinion publique la désormais célébrissime notion de « béninoiserie », elle fonctionne comme un virus qui détruit nos esprits et surtout conditionne ceux de nos jeunes, la relève de demain.
Cette notion, qui emprunte à notre patronyme commun, le Bénin est un mot qui ne comporte aucune once de positivité ; au contraire, elle n’exprime que la négativité. Je vois sur les réseaux sociaux une profusion de textes, tous aussi bien écrits les uns que les autres et tous exaltant la supposée négativité des Béninois que nous sommes. Ce qui me surprend c’est, toute cette intelligence mise au service de l’autodestruction collective de tout un peuple. Ce qui me surprends encore plus, c’est la facilité déconcertante avec laquelle, cette notion a été adoptée par l’ensemble des Béninois presque sans aucune résistance et il faut bien le reconnaître, il y a là quelque chose de particulièrement inquiétant. Je suis surpris mais en même temps, je suis indigné et surtout je suis révolté.
C’est pourquoi malgré tout le respect et toute l’admiration que j’ai pour l’ensemble, non encore achevé, de l’œuvre de Me Robert DOSSOU, je m’insurge, du plus profond de mes entrailles contre cette notion, invention de son imaginaire, qui ne décrit qu’une réalité illusoire, partiellement appréhendée, exagérément biaisée et confusément rapportée (I) ; c’est aussi pourquoi je prône la « béninitude » (II).
I / Contre la « béninoiserie »
Comment tout un peuple peut-il penser qu’il ne se définit que par la négativité ? Comment tout un peuple peut-il penser qu’il n’a aucune positivité en lui ?
Comment peut-on honnêtement soutenir que de l’ensemble des peuples du monde entier, le Peuple béninois est le pire ? Non, je ne l’accepte pas et je ne peux me résoudre à cette fatalité.
A titre personnel, de tous les Béninois que je connais, il n’y en a pas un seul qui se définisse entièrement et exclusivement par la négativité ! Je connais Me Robert DOSSOU, sans doute pas autant que ses plus proches, mais pour moi, il ne dégage que bonté et positivité. Et j’ai même le toupet de proclamer urbi et orbi que, moi-même, je ne suis pas que mauvais. Je ne me reconnais donc pas dans cette notion ; je ne reconnais pas Me Robert DOSSOU dans cette notion ; je ne reconnais aucun des Béninois de mon entourage dans cette notion. C’est d’autant plus vrai que je continue de chercher les Béninois mauvais et jusqu’à aujourd’hui, je ne les trouve pas. En effet, comment puis-je les trouver quand tous ceux qui dénoncent les « béninoiseries » s’auto-excluent de cette notion et de ses conséquences comme si finalement, eux-mêmes ne sont pas Béninois ou alors qu’ils sont les seuls bons Béninois à l’exclusion de tous les autres. Ils s’expriment toujours à la troisième personne du singulier ou du pluriel mais jamais à la première personne du pluriel. Ainsi, on les entend toujours dire : « le Béninois est mauvais » ou encore « les Béninois sont mauvais » et jamais « nous les Béninois, nous sommes mauvais ». Et à force de s’auto-exclure individuellement, le « Béninois mauvais » n’existe nulle part et il ne s’incarne en personne. A moins de faire un raisonnement par l’absurde et de considérer comme Béninois mauvais, tous ceux qui s’approprient et utilisent la notion « béninoiserie ».
Je soutiens qu’il y a autant de gens bien au Bénin que dans tous les autres pays.
Je soutiens qu’il y a autant de mauvaises gens au Bénin que dans tous les autres pays.
Je soutiens qu’il y a autant de jaloux au Bénin ; fort heureusement ! Nous sommes des hommes et des hommes jaloux, il en existe dans tous les pays.
Je soutiens qu’il y a des conflits sociaux, professionnels, politiques économiques et culturels au Bénin. Et alors ? Il en existe dans tous les pays.
Etre raciste et tuer un homme pour la simple raison qu’il est Noir de peau est bien pire.
Je soutiens qu’il n’y a pas de société idéale.
Plutôt que la « béninoiserie », je prône la « béninitude » !
II / Pour la « béninitude »
Ma conviction, c’est que le peuple Béninois est l’un des meilleurs peuples au monde et qu’il n’a à rougir de rien et surtout, qu’il n’a rien à envier à aucun peuple, encore moins qu’il n’a de leçon à recevoir d’aucun peuple a fortiori de personne, ni même d’Emmanuel Mounier.
Nous sommes un peuple naturellement et culturellement tolérant. Ce qui est rare dans le monde !
Nous sommes un Peuple qui a toujours su puiser au fond de lui-même les ressources morales, physiques et autres pour résoudre ses problèmes.
Nous avons cru en notre Révolution en 1972 et à son virage marxiste-léniniste de 1975, comme solution à l’instabilité de la première décennie de notre indépendance. Et quand il nous est apparu que nous nous étions tous trompés, collectivement, comme un seul homme, nous y avons mis un terme à la faveur de l’historique conférence nationale des forces vives de la Nation. Nous avons remplacé la dictature par la démocratie, sans effusion de sang. « Nous avons, ensemble, vaincu la fatalité », pour reprendre le mot d’Albert TEVOEDJRE. Aujourd’hui, Dieu seul sait que beaucoup de peuples africains nous envient notre démocratie et nos Institutions.
Tous ceux qui ont imité notre historique conférence nationale des forces vives de la Nation en voulant la transposer ont échoué. De même, nos Institutions républicaines qui font l’objet de reproduction, parfois réussissent, mais très souvent échouent. Nous sommes un peuple unique et nous sommes un grand peuple de culture. C’est cela la « béninitude » : notre capacité de réussite collective sans compter la réussite individuelle de plusieurs d’entre nous, à l’interne comme à l’externe. N’en déplaise à tous ceux qui pensent, à tort, que « le Bénin est un désert de compétence ». Bon an, mal an, notre pays avance, malgré nos propres violentes critiques. Le Bénin de 2018 n’est pas le Bénin de 1975 encore moins le Dahomey de 1960. Plus que d’autres nous avançons et il suffit de regarder autour de nous pour s’en convaincre.
Mais à bien y regarder, il semble que cette violente critique de nous-mêmes et de notre pays est le résultat croisé de deux de nos traits de caractère à savoir, d’une part, une très grande exigence envers nous-mêmes et, d’autre part, une incapacité à nous projeter sur le long terme. En effet, ce que je crois, c’est que nous les Béninois nous sommes très exigeants envers nous-mêmes. Et c’est plutôt une excellente chose, voire une vertu. C’est cette trop grande exigence envers nous-mêmes qui explique que nous soyons dans une logique de remise en cause permanente. Mais en même temps, nous sommes très impatients et n’avons qu’une très courte vue des choses et du temps. Nous les Béninois, nous voulons cueillir les fruits de nos actions et de nos efforts dans l’immédiat. Nous sommes dans l’immédiateté et c’est ce que j’appelle le « Carpe diem béninois ». C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles nous avons du mal à percevoir la lente mais inexorable marche en avant de notre pays et de notre peuple. Car en effet, l’évolution des sociétés, les dynamiques sociales et les tendances lourdes d’une société s’observent sur le moyen et le long termes et s’analysent en termes de générations.
Nous avons des insuffisances et des tares ? Quel peuple au monde n’en a pas ?
Nous aurions pu avancer encore plus vite si ces insuffisances et ces tares étaient corrigées ? Chiche ! Qui nous empêche ou qu’est-ce-qui nous empêche de les corriger ? Frantz FANON ne disait-il pas justement et fort à propos que « chaque génération doit, dans une relative opacité identifier sa mission, la remplir ou la trahir » ? Remplissons tous collectivement et individuellement notre mission générationnelle et cessons de nous auto-flageller et cessons de conditionner négativement les esprits de nos futures générations.
C’est pourquoi, je veux lancer un vaste mouvement social que j’appelle « Béninois et fier de l’être » avec tous ceux qui, comme moi, pensent que notre peuple n’est pas si mauvais que ça et que notre pays n’est pas si arriéré que cela. Et je sais que nous sommes des millions à le penser. Inscrivons désormais systématiquement sur nos T-shirt et nos casquettes : Béninois et fier de l’être. C’est le seul moyen de contrecarrer cette ascendance de la « Béninoiserie » qui ne correspond nullement à ce que nous sommes.
Je suis Béninois et fier de l’être !
Je crie sur tous les toits ma fierté d’appartenir à ce peuple !
Je crie ma « béninitude » !
Par Topanou Prudent Victor K. Kouassivi,
Maître de conférences de Science politique des Universités