Lionel BOCCO au sujet de l’opportunité de la réforme du système partisan au Bénin: « Nous devons plutôt combattre pour des idées dans le système actuel »
Le débat sur la réforme du système partisan au Bénin, portée par le président Patrice Talon semble être rangé dans les placards, en raison des tractations politiques devenues intenses dans le cadre des élections législatives de 2019. Pour avoir un nouveau son de cloche, votre journal est allé à la rencontre d’un béninois de la Diaspora en France. Dans cet exercice qu’il affectionne bien, le Consultant, Professeur de l’enseignement supérieur et Formateur en Gestion financière appliquée à l’informatique, Lionel Bocco, s’est livré depuis l’Hexagone, à une analyse profonde des failles de l’actuel système partisan, et l’opportunité de le réformer. Tout en reconnaissant le but de cette réforme, le Professeur Bocco estime que l’actuel système partisan présente une imperfection éternelle du Bénin qu’est le vote régionaliste. Toutefois, il s’auto-équilibre et permet aux principaux partis politiques d’émerger. Mais pour lui, l’option de réduire les partis à quelques-uns ne suffirait pas à endiguer ce phénomène. Il faut plutôt, conseille-t-il, corriger le combat pour des idées et le militantisme, avant d’aller à une réforme concrète de l’actuel système partisan. Lisez l’intégralité de son interview.
L’Evènement Précis : Qui êtes-vous, Monsieur Lionel Bocco ?
Mr Lionel BOCCO : Bonjour. Je vous remercie d’avoir accordé la parole à un ressortissant de la diaspora nationale. Nous sommes nombreux, filles et fils du Bénin, dans cette diaspora, à porter un intérêt tout particulier à la gestion des affaires publiques de notre pays. Je suis Lionel Bocco, 55 ans, natif de Porto-Novo, consultant, Professeur de l’enseignement supérieur et formateur en Gestion financière appliquée à l’informatique. J’aime beaucoup mon pays, et je dirai en toute modestie que je tiens à son mieux-être social et économique. Avec d’autres compatriotes, que je salue au passage, j’ai fait activement campagne, tant au Bénin qu’en France, pour le candidat premier ministre Lionel Zinsou que j’estime être le meilleur pour le développement économique et social du Bénin et son rayonnement dans le monde. Cependant, c’est en démocrate que j’ai accueilli l’élection du président Patrice Talon, chantre de la rupture.
Vous vivez à l’étranger. Vous suivez sans doute, l’actualité sociopolitique du Bénin depuis l’avènement du régime du nouveau départ. Quelle est votre appréciation du système de gouvernance du président Talon, notamment des réformes politiques et institutionnelles annoncées ?
En effet, comme de nombreux compatriotes de la diaspora, je m’intéresse et je suis de très près et au quotidien, l’actualité sociopolitique de mon pays, le Bénin. Je me souviens assez précisément de la première interview donnée par le président de la République, M. Patrice Talon au journal Le Monde, très peu de temps après son élection. Se définissant comme étant un génie, il déclara penser avant tout, à lui-même. Sa principale obsession étant d’être porté en triomphe par le peuple béninois à la fin de son premier et unique mandat. « Penser d’abord à soi-même ». Voilà le crédo et le souci principal du premier magistrat de mon pays. J’aurais préféré l’entendre dire qu’il pensait d’abord et avant tout aux intérêts des Béninoises et des Béninois. Cette spontanéité a traduit d’entrée de jeu, le mode de gouvernance futur du président de la république M. Patrice Talon. ’’Moi d’abord et le peuple après’’. C’est en tout cas comme ça que je le comprends. Ce système de gouvernance, en totale cohérence avec son principal chantre, s’est traduit par exemple par des nominations dans le corps diplomatique, de plusieurs membres de sa famille, alors que notre pays n’est pas, loin s’en faut, un désert de compétences en la matière. Il s’est traduit aussi par des décisions économiques imposées par voie de décrets, pris immédiatement après l’élection présidentielle, en faveur des entreprises et donc des intérêts financiers de M. Patrice Talon, hommes d’affaires. Notre démocratie serait-elle devenue un important théâtre de conflits d’intérêts ? D’autre part, le président de la république, Patrice Talon, s’était engagé au cours de la campagne présidentielle, à réformer la constitution afin d’instaurer un mandat présidentiel unique. C’était l’un des points phares de sa campagne. Cette tentative de réforme fut son premier échec. L’Assemblée nationale au sein de laquelle il compte pourtant de ’’nombreux amis du soir’’, ne l’a pas suivi sur cette voie. Je me rappelle à ce propos, de la sortie sulfureuse de Madame Rosine Soglo, députée du peuple, qui parlait à cette époque d’achat de consciences. Sortie qui donna lieu par la suite à un démenti du Garde des Sceaux, M. Joseph Djogbénou. Rien n’empêche cependant le président de la république de tenir sa parole en faisant un seul mandat et en mettant en œuvre la politique qu’il estime bonne pour notre pays en sa qualité de premier magistrat.
Par ailleurs, le président de la république, Patrice Talon a initié dans Cotonou et ses alentours, l’opération dite de ’’déguerpissement’’. L’idée en elle-même n’était pas mauvaise. J’y ai adhéré. Encore aurait-il fallu pour qu’elle réussisse et soit acceptée par tous et que l’on trouve des solutions d’accueil pour toutes ces populations pauvres de petites gens vivant du commerce de proximité, mode de consommation typiquement béninois. J’aurais préféré, pour ma part, moins d’empressement et davantage de réflexion et de dialogue social pour trouver des solutions concertées et acceptables par tous, mais surtout susceptibles de ne pas détruire un tissu économique et le pouvoir d’achat des populations concernées. En matière de réformes, il ne sert à rien de se précipiter. Certes, il faut réformer pour avancer, mais en tenant compte de la sociologie du terrain. Le président de la république s’est souvent vanté par le passé de bien connaître les béninois. J’ai la nette impression que depuis son élection, lui qui reprochait au candidat Lionel Zinsou de mal connaître les béninois, est devenu amnésique de ses connaissances du terroir. Le passage en force donne rarement de bons résultats. La réforme doit se faire avec pédagogie en tenant compte de la culture et des habitudes des populations locales. Je terminerai par le fameux article 249 du nouveau code électoral. C’est scandaleux et ubuesque. Avec cet article on élimine de fait les béninois de l’étranger de la participation à la vie politique du pays. Serions-nous des parias ? Auraient-ils peur de nous ? Auraient-ils peur de nos idées qui vont dans l’intérêt du peuple ? Cet article 249 est dangereux. Dangereux pour la démocratie et dangereux pour le futur. Il est important de préserver la paix sociale et de créer les conditions du vivre-ensemble dans la cohésion et dans l’harmonie.
Le chef de l’Etat a entrepris des démarches dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme du système partisan. Comment percevez-vous cette réforme ? Est-il vraiment opportun de passer à une telle réforme sous un président qui n’est pas issu d’un sérail politique ?
Commençons, si vous le voulez bien, par la fin de votre question. Vous dites que le Président Talon, n’est pas issu d’un sérail politique. Je ne suis pas d’accord avec vous. Le président Patrice Talon est de tous les sérails politiques du Bénin. Sa fortune, à laquelle il tient plus que tout, il la doit principalement à des marchés d’Etat obtenus sous les trois dernières présidences. Souvenez-vous, le président Talon, avec assurance, à la face du monde, sur le perron du palais de l’Elysée à Paris, a expliqué avoir construit sa richesse à l’aide de la mal-gouvernance du Bénin. De fait, soyons conséquents avec nous-mêmes, le président Talon est du sérail politique, bien que n’ayant jamais eu la carte du moindre parti.
En fait, la réforme du système partisan au Bénin a pour but officiel et avoué de limiter la prolifération des partis politiques. Notre pays, référence et modèle démocratique en Afrique, compte environ 260 partis politiques, soit un parti pour environ 42.500 habitants. Cette situation s’explique de l’héritage tiré de la Conférence nationale de 1990 qui vit éclore un élan de liberté légitime après les 17 années de dictature marxiste-léniniste. La France, qui n’est pas forcément un modèle à suivre, compte environ 516 partis politiques, soit environ un parti pour 130000 habitants. Serait-ce donner à notre pays un visage moderne que de réformer pour avoir un nombre limité de partis ? Je ne crois pas. Je ne crois pas du tout. Bien au contraire, cela constituerait une régression démocratique et politique de premier ordre. D’aucuns pensent que les USA n’ont que deux partis politiques, le parti Démocrate et le parti Républicain. C’est totalement faux. J’en connais pour ma part deux autres qui sont le Green Party et le Tea Party. Aux USA, le candidat ayant obtenu le plus de voix au premier tour a des chances importantes d’être élu président de la république. C’est la raison qui fait que depuis le début du XVIIIe siècle, les Républicains et les Démocrates dominent la vie politique américaine.
Le système actuel hérité de la Conférence nationale est un système qui s’auto-équilibre et qui permet aux principaux partis d’émerger, même si les plus grands partis de notre pays ne rassemblent pas suffisamment sur le plan des idées, mais plutôt sur celui de l’origine ethnique ou régionale. Il faut laisser du temps au temps pour que les choses s’équilibrent d’elles-mêmes. Comme tous les régimes précédents, le président de la république voudrait se doter, et c’est légitime, d’une majorité officielle au parlement. Pour le moment, il dispose d’une majorité officieuse de l’ombre, qui ne l’empêche pas de gouverner. Seuls 12 députés sur 83 l’avaient soutenu lors de l’élection présidentielle. Aujourd’hui, c’est environ une soixantaine de députés de différents partis qui lui accorde soutien et force au sein d’un fameux Bloc de la Majorité Parlementaire (BMP). Ils votent selon les instructions du premier magistrat du pays. De fait, en ce moment, le président de la république, Patrice Talon a, à son service, officieusement, environ 72% des votes parlementaires. Le président de la république souhaiterait transformer cet essai en ayant un parti politique officiellement acquis à sa cause. Par cette action, il poursuivra son idée non affichée officiellement de démanteler totalement la Renaissance du Bénin et d’ébranler les FCBE. Je crois sincèrement que cette réforme a pour seul objectif d’avoir une écrasante majorité à l’Assemblée nationale pour asseoir davantage son pouvoir. La question est la suivante : pourquoi faire ? Pour servir les intérêts du peuple ? Je n’y crois pas un seul instant. 72% des votes de l’Assemblée nationale assurés, n’est-ce-pas suffisant ? Je crois que OUI ! L’un des plus éminents juristes béninois, reconnu à l’international, l’ancien ministre et président de la Cour constitutionnelle, M. Robert Dossou, fin connaisseur du Bénin et des cultures africaines, rappelait récemment que le Nigéria et le Sénégal se sont essayés à cette réforme sans succès. Les fondements de l’actuelle Constitution issue de la Conférence nationale sont bons et solides. Il n’est nullement opportun de les modifier.
Non, M. le président de la république du Bénin, ne vous y essayez pas. Souhaitez-vous faire deux mandats au pouvoir ? Dans ce cas, pourquoi avoir fait campagne sur la thématique du mandat unique ? Vous avez déjà une majorité de fait à l’Assemblée nationale sans avoir votre propre parti politique. Alors, à quoi bon réformer pour limiter le nombre de partis ? C’est inutile M. le président de la république. Inutile ! Pensez à la cohésion nationale. Pensez à notre démocratie.
Quelles sont à votre avis les failles du système partisan actuel ?
Les trois présidents précédents ont tous possédé un parti politique (Mathieu Kérékou avec l’Union pour le Bénin du futur, Nicéphore Soglo et son épouse Rosine avec la Renaissance du Bénin, et enfin Thomas Boni Yayi avec les Forces cauris pour un Bénin émergent). L’actuel système présente la principale et sempiternelle imperfection de notre cher pays, à savoir le vote régionaliste. Réduire les partis à quelques-uns suffirait-il à endiguer ce phénomène ? Non, je ne crois pas. Pourquoi ? Tout simplement parce que dès lors qu’un leader politique n’est plus aux affaires, très souvent, hélas, il est lâché par ses proches. Nous devons apprendre à combattre pour des idées et non pas pour des intérêts personnels. C’est ce qu’il faut corriger dans le système partisan actuel.
L’institution parlementaire a manifesté un intérêt au projet et elle a organisé à cet effet, une consultation publique il y a quelques semaines à Cotonou. Quelle appréciation faites-vous de cette démarche ?
Sur la totalité des députés du parlement, je crois, sous toute réserve, que plus de 80% vont dans le sens de cette réforme. Je ne ferai pas de commentaires. Je suis pour un parlement de compétences, je suis pour un parlement de travail, je suis pour un parlement d’intégrité. Il s’est tenu récemment à Cotonou à l’initiative et sous l’égide du docteur Nadin Kokodé, un symposium de la fraternité dont l’une des principales idées est d’arriver d’ici à 10 ans, à avoir un parlement de meilleure qualité. C’est la voie à suivre. La fonction politique ne devra plus être d’intérêt personnel. Il nous faudra arriver rapidement à un parlement de qualité pour l’intérêt des citoyens de notre pays.
Pensez-vous qu’en cette veille des élections législatives, les acteurs politiques pourront véritablement taire leurs intérêts et accepter de se fondre dans des regroupements politiques ?
Il va sans dire qu’il est de l’intérêt du pouvoir en place que les choses aillent en ce sens. La valse des positions sert les intérêts personnels mais empêche le véritable développement du pays. La récente rencontre de Djèffa a donné une idée du rythme selon lequel cette campagne des législatives se déroulera. Le mécontentement est, me semble-t-il, assez important dans le pays. Le pouvoir en place fera tout pour y arriver, mais la bataille sera rude. Le plus important, je crois, ce ne sont pas les intérêts particuliers des mouvements politiques et des hommes politiques. Le plus important, c’est l’intérêt du peuple.
Quel appel avez-vous à lancer à l’endroit des acteurs politiques ?
Si je puis me permettre, je leur dirai ceci : Pensez d’abord au peuple. Pensez d’abord aux populations que vous représentez. Pensez à préserver l’unité nationale sans rejeter vos compatriotes de la diaspora par le tripatouillage du nouveau code électoral. Acceptez la compétition saine. Acceptez le débat d’idées. Cela vous grandira et cela grandira notre démocratie. Unissons-nous, et ensemble faisons grandir notre pays. Notre pays le Bénin nous appartient à tous et nous aussi, béninois de la Diaspora pouvons, à tout le moins, aussi bien que vous, faire grandir notre pays et l’amener vers plus de développement et de bonheur.