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La communication présidentielle : Un réaménagement ou un changement de stratégie ?

Publié le mardi 3 juillet 2018  |  Matin libre
Patrice
© Autre presse par DR
Patrice Talon,Président de la République
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La gestion de la communication autour des actions du gouvernement changerait-elle de stratégie? "Plus rien ne sera comme avant. Désormais, la parole est libérée. Vous avez l’obligation de communiquer autour de vos actions respectives", c’est ce message du Chef de l’Etat que son Chargé de mission est allé livrer aux directeurs départementaux et aux responsables des différents services de l’Etat. C’était au cours d’une mission qui s’est déroulée durant la semaine du 10 au 16 juin 2018. Cette information est rendue publique par BJMEDIAPART BENIN PRIVILEGE, sur les réseaux sociaux, le 17 juin dernier.

Après un peu moins de deux ans et demi d’exercice du pouvoir,qu’est-ce qui aurait pu donc pousser le Chef de l’Etat à modifier sa stratégie de communication? Selon son Chargé de mission, le Président de la République aurait appris que les directeurs départementaux et les responsables des différents services de l’Etat manifesteraient une réticence à se prononcer sur des sujets relevant de leurs compétences devant les médias. Ceux-ci s’interdiraient de parler de peur d’être sanctionnés par leur hiérarchie. Toujours, d’après le chargé de mission, "cette frilosité ne rendrait guère service au gouvernement qui se retrouve pris en sandwich par les médias aussi bien traditionnels que nouveaux ". Et de poursuivre"la réserve observée, jusque-là, à l’avènement du Gouvernement de la Rupture et fort de l’option de la normo-communication a plombé le droit du citoyen à disposer d’informations crédibles. Cette situation a fait le lit à l’intoxication et à diverses contre-vérités dans le dessein de nuire à l’image des dirigeants ". Et de conclure, "la troupe manœuvre tel qu’elle est commandée et il n’est plus question de laisser place à la rétention de l’information ". Voilà donc l’objet.

La normo-communication en question

Ce revirement prouverait, à plus d’un titre, que la normo-communication dont les différents atouts ont été vantés, avec volubilité, au début de l’ère de la Rupture n’auraitpasprospéré. Ce concept que les auteursopposaient à ceux d’hyper-communication et d’hypo-communication n’aurait pas fait long feu et aurait démontré ses insuffisances dans le cas d’espèce. Il aurait fait plus de mal que de bien au gouvernement, qui se trouverait aujourd’hui pris en étau entre le marteau et l’enclume. En effet, d’après ce concept,l’option prise serait que la communication du gouvernement se déroulerait sous la forme pyramidale ;tout ce qui était à dire et à faire devrait provenir de la Marina et descendre vers les différentes entités du pouvoir et le public. C’était dans cet ordre d’idée –souvenons-nous– que les toutes premières décisions du Gouvernement de la Rupture se rapportant à la communication, auraient été prises, au grand étonnement et au grand dam des professionnelsde l’information et de la communication. La première décision, c’était celle du Conseil des ministres du 4 mai 2016 qui supprimait le poste de chargé de communication dans les ministères, les organismes et les établissements publics pour des besoins de rationnement et de restriction des ressources humaines selon le compte rendu dudit Conseil. La seconde datait du 18 mai 2016. Elle dit (sic) : "Pour des besoins d’efficacité, de cohérence dans l’action publique et dans la stratégie de communication du gouvernement et après avoir fait l’état des lieux, le Conseil des ministres a décidé de mettre en place à la Présidence de la République, une Direction de la communication pour gérer la promotion de l’action publique, à la fois de la présidence de la République, des ministères et des organismes et établissements publics. Cette Direction de la communication doit planifier, réaliser et assurer la qualité et la cohérence de toutes les opérations de communication à travers les trois grands pôles, à savoir : la communication institutionnelle, la communication par la presse et l’analyse de l’information sur lesdites actions." En son temps, nous avons exprimé notre inquiétude et déploré,dans un article intitulé « Vers le centralisme de l’information publique au sommet de l’Etat » paru dans le quotidien La Nation n° 6495 du mercredi 25 mai 2016, ce mode de communication, contraire à la pratique dans tout système démocratique. Le temps nous donnerait-il aujourd’hui raison ? Cette forme de communication à sens unique ne pourrait qu’engendrer les maux relevés par le Chargé de mission du Chef de l’Etat, notamment : la frilosité des directeurs départementaux et des responsables des différents services de l’Etat à se prononcer sur les sujets relevant de leurs compétences de peur d’être sanctionnés ; le lit à l’intoxication et à diverses contre-vérités dans le dessein de nuire à l’image des dirigeants. Cette situation s’est aggravée par le travail de sape fait par les réseaux sociaux, un média largementsuivipar les jeunes.

Une option juste et louable

C’est heureux que le Chef de l’Etat ait compris l’enjeu et décidé de changer son fusil d’épaule. Le Chef de l’Etat prend désormais l’option de libérer la parole des acteurs de l’administration publique. Comme par analogie, il envoie les responsables départementaux de l’administration publique en mission avec un seul mot d’ordre : " communiquez autour de vos actons respectives". Mais libérer la parole suffit-il à atteindre les objectifs soulignés et déclinés en quatre points au cours de ces rencontres, à savoir : redorer l’image des dirigeants ; donner des informations crédibles ; aplanir l’intoxication et relever les contre-vérités ? Assurément non, car toute information contient des enjeux et ceux-ci doivent ressortir lorsqu’onveut cibler, intéresser, capter l’attention de groupes d’auditeurs.Et c’est là, le rôle des chargés de communication dont les postes ont été décapités, pour des motifs cités plus haut. Ce n’est pas pour rien que cette fonction existe. Si elle a été dévoyée au Bénin et à l’ère d’un certain pouvoir, la supprimeraujourd’hui n’est-ce pas se faire du tort, se tirer dans les pattes ?Il est important que cette fonction soit réhabilitée pour les besoins de la cause, quitte à corriger les insuffisances constatées et à renforcer les capacités des acteurs chargés de l’animer.

La communication ne se décrète pas. Elle ne s’improvise pas non plus. Elle est un processus. Elle se conçoit, se planifie, se met en œuvre, fait l’objet de suivi et s’évalue. La communication est le fondement de toute entreprise. Elle est au début, pendant et à la fin de l’existence humaine. C’est l’alpha et l’oméga. Les écritures saintes l’ont proclamée : au commencement, ce fut le verbe. Il peut faire tant le bien que le mal.

Et c’est vraiment regrettable que la communication soit généralement considérée comme la dernière roue, la roue-secours, du carrosse. La preuve, le constat fait par le Chef de l’Etat, lequel l’amène à réhabiliter la communication autour des actions de son gouvernement. Désormais les directeurs départementaux et les responsables des différents services de l’Etat peuvent librement parler, se prononcer sur les sujets de leurs compétences sans redouter la foudre de la hiérarchie supérieure. La démarche est louable mais manque de forme. A l’analyse de la déclarationdu Chef de mission du Président de la République, désormais, la langue de bois est bannie ; les sujets qui fâchent sont abordés ; les informations susceptibles d’être qualifiées de secret professionnel sont discutées ; l’accès à des documents fiables sont possibles pour les journalistes ; etc. Oter le bâillon ne suffirait pas mais encore faudrait-il œuvrer pour la libre expression des médias, quitte à ceux-ci de répondre de leurs forfaitures devant les instances compétentes. Il est très important de rassurer et d’instaurer un véritable climat de confiance,pour que, comme le souhaite le chargé de mission, « la troupe manœuvre tel qu’elle est commandée et qu’il ne soit plus question de laisser place à la rétention de l’information ". Si tel est le cas, les professionnels des médias devraient donc se frotter les mains et se réjouir de la levée de la chape qui pesait sur le métier, le rendant pénible et éprouvant, quoique l’article 1er de la Loi organique n° 92-021 du 21 août 1992 relative à la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication ait balisé le chemin. Elle stipule : « […] Toute personne a droit à l’information. Nul ne peut être empêché, ni interdit d’accès aux sources d’information, ni inquiété de quelque façon dans l’exercice régulier de sa mission de communicateur s’il a satisfait aux dispositions de la présente loi".

Des sources désormais à portée de la main

En effet, sans les sources d’information que représente, en partie, cette catégorie d’acteurs du pouvoir public, il est difficile aux journalistes de trouver des réponses pertinentes aux six questions fondamentales de toutes activités journalistiques : Qui ? Quoi ? Quand ? Où ? Comment ? Pourquoi ? Ces acteurs constituent les personnes-ressources et les détenteurs des documents administratifs pour le journaliste dans sa quête d’information. La parole libérée de ces acteurs donnera une nouvelle dimension à la profession journalistique au Bénin. Les comptes rendus, les reportages insipidesseront enrichis par des genres, tels que les analyses, les commentaires, les débats, les enquêtes, les investigations, etc. Le renforcement généralisé de leurs capacités, en tout genre, serait pour les journalistes un atout certain. Ils pourraient alors mener à bien cette œuvrede renouveau médiatique au Bénin et d’accompagnement de l’Etat dans son entreprise de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. Autant l’Etat est dans son rôle de gestion des affaires de la cité autant les médias sont dans leleur :renseigner le public sur les activités de l’Etat et susciter ainsi un débat. Les journalistes sont des médiateurs ; ils sont là pour s’informer et comprendre afin d’informer et de faire comprendre. Aucun pan de la vie nationale ne doit donc leur échapper. Il incombe à la presse de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général. Ne pas le faire serait trahir son mandat et la confiance du public.

Jacques da MATHA
Journaliste / Expert en Information et Communication
Ancien Directeur Général de l’Office de Radiodiffusion
et Télévision du Bénin
Ancien Directeur du Centre de Formation de l’Union des Radiodiffusions
et Télévisions Nationales d’Afrique (URTNA) à Ouagadougou
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