« La lutte contre la corruption est un préalable à l’action de gouvernance. » C’était la première phrase de l’interview présidentielle de ce mardi 31 juillet 2018. Ces formules stéréotypées utilisées par nos différents présidents pour montrer leur volonté de lutter contre l’hydre de la corruption ont heurté la réalité politique de leur époque. Nicéphore Soglo avait beau crier qu’il voulait « faire rendre gorge », il n’a pas pu instaurer une dynamique. Au contraire, les anciens caciques du PRPB, contre lesquels pesaient pourtant de lourds soupçons, n’ont pas été inquiétés. Soglo aurait réussi dans cette lutte, en utilisant la justice et moins de bavardage, que même Kérékou aurait eu de la peine à se trouver des alliés pour rebondir en 1996. Mais il est vrai qu’il fallait un certain courage pour affronter ces colonels et ces généraux, ces pontes d’un régime réputé dangereux. A l’ère Kérékou, on eut droit à « la moralisation de la vie publique », avec une cellule créée en bonne et due forme à la présidence de la république pour y veiller. Malgré les résultats obtenus, la pratique politique de Mathieu Kérékou avait pu générer une caste d’intouchables de la République qui avaient tous les droits. L’air d’affairisme instauré dans son entourage a fait le reste : ce fut un énorme gâchis. Vers la fin de son mandat, le vieux général tenta bien de se rattraper, mais trop d’erreurs avaient été commises. C’était trop tard.
Que dire de l’ère Yayi ? Ce fut l’époque de la « reddition de comptes » ou de « la bonne gouvernance ». Mais il me suffirait de rappeler que la politique a pris le pas sur la lutte elle-même. La volonté de remporter toutes les batailles électorales, la débauche financière utilisée comme principal mode de mobilisation de la clientèle électorale, les fausses promesses devenues une maladie congénitale du yayisme, ont plombé la lutte contre la corruption sous son régime. Quelques actions ont certes permis d’endiguer le mal, mais la politisation outrancière de tout, ne pouvait qu’empêcher l’efficacité de l’engagement présidentiel. On sait aussi que Boni Yayi lui-même était aux avant-postes, faisant derrière les rideaux ce qu’il reprouvait devant les médias. Cette duplicité devenue maladive ne pouvait qu’envenimer l’instinct prédateur des hommes d’affaires, des acteurs politiques ou même du personnel administratif.
Depuis 2016, la lutte a pris un autre visage. La détermination de l’actuelle équipe et la mise en place d’un cadre législatif répressif, rendent la lutte plus aisée qu’avant. Avec le vote puis la promulgation en 2012 de la loi portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes, la justice béninoise dispose des moyens légaux de poursuite. Mieux, le vote en mai dernier de la loi modifiant la loi n° 2001-37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire, a permis la création de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) aux compétences élargies. Cette Cour qui dispose désormais d’un personnel dédié et de compétences appropriées pour agir, constitue un pas de géant dans la lutte contre la corruption. C’est une juridiction nouvelle qui fera date en ce qu’elle constitue un instrument inédit aux mains de tout pouvoir désireux de lutter contre le fléau. Même sans une volonté gouvernementale, il est possible désormais que chacun réponde de ses actes devant cette juridiction.
Sur ce terrain, Patrice Talon a certainement plus de chances que ses prédécesseurs. La dynamique qu’il a lancée fera peur désormais à tous les gestionnaires de la chose publique. Plus que par le passé, il sera difficile (mais pas impossible) à un ministre de dilapider les fonds publics. Les agents de la fonction publique qui pourraient être ses complices, sont désormais avertis. S’il est difficile de mettre un ministre sous mandat de dépôt, il n’en est pas de même pour le citoyen ordinaire. Il risque de payer le prix fort s’il se rend coupable de complicité ou de corruption avérée. L’ère de l’impunité est bien terminée.
Les autres réformes phares qui pourraient impacter la lutte pour de bon, sont la révision de la Constitution, de façon à rendre opérationnelle la Haute Cour de Justice restée une aberration institutionnelle. Il faudra également renforcer l’ANLC dont les pouvoirs d’investigation sont limités.
Avec cet arsenal de mesures, il est à parier que le mandat de Talon sera celui où les scandales économiques ont été anticipés et sévèrement punis.