Il s’agit de ladite ‘‘Nouvelle liste des œuvres littéraires au programme de français’’ dans les lycées et collèges du Bénin, de la 6ème à la Terminale. Une professeure béninoise enseignant aux USA l’a eue entre les mains ; elle s’est arraché les cheveux. Elle l’a fait parvenir à son collègue béninois enseignant en France, et lui de s’enflammer : ‘‘On devient quoi avec ce programme ? Voilà comment on assassine la jeunesse et la culture.’’
La liste comporte 4 Africains non béninois, 8 Français dont 7 classiques, 15 Béninois encore en vie, sauf Jean Pliya, le seul qui soit un peu lu hors du Bénin. La commission qui a siégé aura voulu, c’est visible, promouvoir les auteurs béninois. Après tout, pourquoi pas ? Toute création est à saluer quand on sait ‘‘Ce qu’il faut de malheur pour la moindre chanson / Ce qu’il faut de regrets pour payer un frisson / Ce qu’il faut de sanglots pour un air de guitare’’. Louis Aragon parlait ainsi des nuits et des jours passés par l’écrivain en l’occurrence à raboter, polir et ajuster pour que son texte, une fois paru, parle partout à tous les cœurs, car toute littérature a vocation à l’universalité. Or ce qui gêne au niveau des ‘‘œuvres littéraires’’ désormais proposées aux jeune apprenants du Bénin, c’est leur exigüité, leur courte portée. Dans un Bénin sans mécène pour promouvoir les arts (Louis XIV le fit durant tout son règne) et sans vraie maison d’édition, les 500 ou 1.000 exemplaires d’un écrit publié à compte d’auteur ont tôt fait de disparaître sans que l’écrit publié soit passé par l’épreuve de la critique dans un Bénin où le métier de critique d’art n’existe pas. Comble d’exigüité, les 15 auteurs appartiennent presque tous à l’aire géographique et culturelle Aja-Tado, Sud-Togo et Sud-Bénin. Si donc leurs écrits parlent de l’homme et des choses ici et maintenant, quid de l’homme et des choses dans les Collines et dans l’Atakora ? Non seulement donc leurs écrits ratent la cible de l’universalité mais encore celle de la simple territorialité.
Soit, par exemple, la phrase : ‘‘Le plaisir musical est analysé à partir des pages d’Un Amour de Swann de Proust. Mais c’est surtout l’analyse du Boléro de Ravel qui est le couronnement de cette prise d’assaut de la forteresse de la sensibilité, de l’affectivité et de la spiritualité, par la pensée plane.’’ C’est l’une des millions de phrases par lesquelles Barthélemy Adoukonou offre aux chercheurs du monde entier son volumineux ‘‘essai d’une herméneutique chrétienne du Vodun dahoméen’’. En effet, au temps de son baccalauréat philo-lettres au Dahomey, on ne servait pas aux apprenants des textes hâtifs, mais des œuvres accomplies. Forts de la solidité du socle qui les a portés, ils peuvent lâcher plus tard les amarres et aller chercher loin, au fond d’eux-mêmes, pour l’offrir au monde, en étant crédibles, ce qui manque au monde du fait que l’Afrique manque au monde. Sur la base de la ‘‘Nouvelle liste des œuvres littéraires au programme de français’’, un Béninois candidat à des études supérieures en sciences humaines dans une université européenne est assuré de voir porte close parce que, ‘‘sur les 26 auteurs qui vous ont accompagné au baccalauréat, 18 n’ont aucune résonnance ici. Votre mise à niveau prendra deux ou trois ans. ’’
Les blessures de l’Ecole Nouvelle et des Nouveaux programmes ne se sont pas encore tout à fait refermées que voici la Nouvelle liste. Liste sans doute par trop complaisante. Quel malin plaisir pousse les responsables de l’enseignement au Bénin à se précipiter, à refuser aux programmes et aux réformes le droit à ce que Aimé Césaire appelle ‘‘un mûrissement, une lenteur, année par année, anneau par anneau’’, à refuser l’effort conseillé par Boileau : ‘‘Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage’’ ? Est-il encore temps d’enchanter la Béninoise qui s’est arraché les cheveux aux USA et le Béninois criant en France à l’assassinat de la jeunesse et de la culture ? Nous aimons la culture. Nous aimons notre jeunesse.