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Entre mal gouvernance politique et affairisme d’État : Les ambitions hégémoniques de Patrice Talon sur le Bénin

Publié le jeudi 6 septembre 2018  |  Matin libre
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© Autre presse par DR
Le politologue Richard Boni Ouorou
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Avec le récent vote de la loi sur le code électorale, Patrice Talon est en train de poser les derniers échafaudages d’une entreprise de domination qu’il entend assurer sur le Bénin. Autopsie d’une hégémonie à venir.

À moins d’un miracle auquel Patrice Talon lui-même n’y croit guère, on peut déjà à mi-parcours de son mandat présidentiel conclure à un échec cuisant de celui-ci. Patrice Talon a échoué dans la capacité à assurer un bien-être aux Béninois et à faire du Bénin une société meilleure. Toutefois, s’il y a un point positif à mettre à son actif, c’est d’être parvenu à assurer sa réussite individuelle. Mais cette réussite n’est qu’une étape vers un projet personnel plus ambitieux, parvenir à imposer son hégémonie sur le Bénin tant sur le plan politique qu’économique. Afin de mieux cerner les contours de ce plan digne d’un scénario d’Hollywood, il faut avoir présent à l’esprit le triptyque de mots qui constituait son slogan de campagne et qui constitue sans doute la seule expression de franchise et de vérité que Patrice Talon a eu vis-à-vis du peuple béninois : SURGIR, AGIR, DISPARAÎTRE.

Surgir



Qui était Patrice Talon et d’où a-t-il surgi ? Cette question peut paraître étonnante au sujet d’un personnage qui préside aujourd’hui les destinées d’une nation. En fait, cette interrogation s’impose pour mieux cerner le personnage et comprendre la trajectoire commune qu’il compte déterminer à la fois à sa personne et au Bénin tout entier. Patrice Talon, c’était surtout et uniquement une légende.

Il se dégageait de celle-ci plusieurs facettes d’un individu qui avaient la fonction commune de toujours le mettre à son avantage. C’était tour-à-tour un homme d’affaires franco-béninois fortuné. Car ayant le monopole des intrants agricoles sur la quasi moitié des pays ouest-africains et étant un acteur incontournable de la filière africaine du coton. C’était aussi un ancien professeur d’université en mathématiques converti aux affaires. C’était, selon des déclarations présidentielles, un citoyen béninois riche comme Crésus dont le centième de la fortune suffirait pourtant à développer son pays le Bénin. C’était, selon ses propres déclarations, un mécène politique ayant la capacité de financer des opérations électorales s’achevant par un K.O dès le premier round avant d’être subitement touché par des remords patriotiques qui l’ont conduit à ne pas mettre son argent au service d’une révision constitutionnelle qu’il jugea de trop.

Ces quelques éléments qui participaient à l’aura de l’homme, avaient pour mérite, il faut malheureusement l’admettre, de ne jamais s’interroger sur sa véritable trajectoire et encore moins sur les réelles nature et valeur de cette supposée fortune. On doit à un autre homme d’affaires, Martin Rodriguez, d’avoir levé un pan du voile qui ne dissimulait en réalité qu’une mécanique affairiste. De cet homme dont les Béninois ne connaissaient que la réputation dorée sur laquelle ils avaient du mal à mettre un visage, il aura fallu une tristement sombre affaire d’empoisonnement pour l’obliger à sortir des coulisses pour surgir au-devant des projecteurs de la scène politico-judiciaire. Au travers d’une série d’événements dont il a su habilement tirer profit, Patrice Talon homme d’affaires est devenu chef de l’État. Le chemin était ainsi balisé pour la deuxième étape du triptyque : agir.

Agir



Pour mieux comprendre la façon d’agir de l’actuel chef de l’État béninois, il faut là aussi avoir présent à l’esprit la prestation scénique d’un prestidigitateur encore appelé illusionniste. Le mode d’action de ce dernier se résume à détourner l’attention des spectateurs vers quelque chose de futile afin de mieux préparer et exécuter le tour de passe-passe. Les polémiques vont bon train dans la gouvernance de Patrice Talon. Ce n’est pas le fait du hasard. C’est voulu ainsi car pendant que les Béninois s’égosillent au travers des mesures controversées, le chef de l’État, telle une araignée, tisse lentement sa toile afin de s’assurer un maillage total de l’environnement politique et économique.

Politiquement, Patrice Talon est en train de méthodiquement travestir l’environnement juridico-institutionnel du Bénin issu des résolutions et de l’esprit de la Conférence nationale. Tant l’Assemblée nationale que la Cour constitutionnelle sont devenues de simples ornements institutionnels. Elles n’ont en effet aujourd’hui pour unique fonction que celle d’exprimer et de valider la volonté législative du gouvernement. Et les lois ainsi mises en vigueur, n’ont pour vocation que de chambouler en profondeur les règles de dévolution du pouvoir tout en tenant en respect toutes formes de contestations par des moyens d’intimidation dignes de l’Inquisition, mais hélas parfaitement légaux.

Économiquement, dame Sylvie Mahougnon Akouèssiba Sotounkpè a, à travers une plainte adressée à l’Autorité nationale de lutte contre la corruption, avec ampliation à plusieurs structures nationales et internationales, dame Sylvie Mahougnon Akouèssiba Sotounkpè a magistralement apporté la preuve que le président Patrice Talon, en continuant d’assurer de fait et de droit l’administration de ses entreprises personnelles, n’a en effet jamais cessé d’être l’homme d’affaires qu’il est. Selon tout apparence, le poste de chef d’État est une position dominante plus que privilégiée pour contrôler à peu de frais et à peu de risques des secteurs économiques connus pour leur rentabilité.

En s’assurant le contrôle d’une part, de l’environnement politique par les biais des lois d’une iniquité sans précédent et d’autre part, de l’économie par l’intermédiaire de ses entreprises, Patrice Talon s’apprête à passer à la troisième phase de son plan : disparaître.
Disparaître



S’il y a également une promesse de campagne à laquelle Patrice Talon sera fidèle, ce sera celle de ne pas se représenter pour un second mandat. Il ne fait aucun doute qu’il entend disparaître au terme des cinq années de sa présidence. Il retournera de là où il vient à savoir, les coulisses. De la pénombre qui le dissimulera aux yeux du public, Patrice Talon entend dès lors assurer sa domination sur le Bénin en se servant des deux armes qui seront à sa disposition : l’argent et la peur.

C’est une fois à l’approche de son départ qu’on comprendra d’une part, l’objectif des lois électorales et des partis politiques qu’il a fait voter et d’autre part, la véritable mission des hommes qu’il a placé dans les institutions névralgiques notamment la Cour constitutionnelle. Au travers de ces deux éléments, Patrice Talon entend placer à la tête de l’État et à l’Assemblée nationale des personnes qui lui seront dévouées corps et âmes et qui n’auront pour seuls droit et devoir que de servir ses volontés. Et par l’entremise de l’économie dont il a déjà le contrôle, il aura la garantie des moyens financiers nécessaires à la mise en œuvre et à la pérennité de cette hégémonie qu’il entend assurer sur le Bénin au travers d’hommes de paille.

Dans l’hypothèse où il adviendrait que les prochains locataires de la Marina soient issus des forces politiques de l’opposition, Patrice Talon pourra toujours compter sur les moyens financiers considérables dont il disposera et aussi, des contrats qui garantiront l’existence de ses entreprises et des activités de celles-ci. Il ne sera ainsi pas possible, dans la vision qui est la sienne, de remettre en cause ces contrats sans que le coût pour l’État ne soit de nature déstabilisatrice. La sentence d’arbitrage qui lui a été favorable dans l’affaire Benin Control contre l’État du Bénin est un précédent qui sert en effet de mise en garde à effet dissuasif.

Ainsi donc, avec les moyens qui sont et seront les siens, Patrice Talon aura la capacité de contraindre à sa volonté toutes formes d’opposition au sommet de l’État. Il pourra dans cette optique compter sur quatre alliés : le temps, qui lui permettra de se refaire une nouvelle image, l’oubli, caractéristique fâcheuse de nos peuples, l’impunité, garantie de fait aux anciens chefs d’État béninois, et la vénalité, penchant pathologique de l’élite et du peuple béninois pour l’argent.

Richard Boni Ouorou

Politologue

Membre individuel du Conseil des Relations Internationales de Montréal
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