Le Bénin est certainement l’un des pays dans lequel les taxis sont les plus nombreux, les plus utilisés et en plein développement. Mais ils ne sont pas forcément les véhicules les plus visibles au premier coup d’œil. Ou plutôt pas reconnaissables de manière homogène au premier coup d’œil. Car c’est un système de taxis pas comme les autres sur le Golfe de Guinée. Il n’y a pas de « code couleur » comme dans d’autres capitales d’Afrique de l’Ouest. Pas non plus d’incantation religieuse peinte sur les pare-chocs comme à Abidjan, que ce soient pour les musulmans ou les chrétiens. Pas non plus de peinture distinctive comme sur les taxis mourides au Sénégal ou à travers l’Afrique de l’Ouest. Au Bénin les taxis sont reconnaissables à leurs plaques d’immatriculation orange. Les modèles de voiture varient suivant les chauffeurs, mais les utilitaires se démarquent dans ce paysage.
C’est ainsi qu’il existe des flottes entières d’antiques Peugeot 404 utilitaires beiges pour transporter du matériel volumineux. Ou des motos-triporteurs, plus populaires et plus maniables : elles sont massivement importées et distribuées par Hoajue, le fabricant de motos chinois originaire de Changzhou. Bref, les Peugeot sont recyclées depuis plusieurs décennies ; les Hoajue conquièrent le marché du transport automobile au Bénin. La route entre Cotonou et Porto-Novo, axe de vie quasi quotidien entre cette « double capitale », voit certainement circuler plus de « plaques oranges » que d’autres véhicules.
Le deuxième trait distinctif du marché des taxis au Bénin est le cas des taxis-motos. Ils sont surnommés « Zemidjan », « Zemi » ou « Zem » en abrégé. En langue fon, « Zemi » signifie : « Prends-moi ». Les motos-taxis, par leur seul surnom, annoncent la couleur. Précisément, leur couleur aussi annonce une certaine géographie : chaque ville a attribué une couleur de t-shirt ou de casaque à ses Zem : jaune à Cotonou, bleu à Porto-Novo, etc. La casaque porte le numéro de licence du taxi. La place des deux roues – pour l’essentiel des Zem – est telle au Bénin que dans les grandes villes ainsi dans certains grands axes inter-urbains des couloirs spécifiques leur ont été ménagés (parfois matérialisés par des bornes) comme de véritables « voies de droite » pour deux roues. Le Zem reste le moyen le plus économique pour se balader. Qui sont les Zem ? Bien souvent des chômeurs qui, comme de nombreux taxis en Afrique centrale, tentent leur chance dans cette économie de la débrouille du quotidien pour des trajets de quelques dizaines ou centaines de CFA. Les motos chinoises équipent la quasi-intégralité des flottes de Zem. Autour d’eux, c’est tout un éco-système de la débrouille qui se développe, à commencer par les « stations-services » qui sont en fait des revendeurs d’essence, installés sur le bord de la route. L’essence est stockée dans des bouteilles en verre ou en plastique et servie avec un entonnoir artisanal pour quelques centaines de francs CFA.
Cependant les Zem restent vus comme des chômeurs dans la société… et par les pouvoirs publics. Il existe donc deux solutions parallèles : fiscaliser les Zem, d’une part, et, d’autre part, susciter des emplois dans le domaine des transports liés au tourisme. Dans le premier cas, un profond changement est intervenu mi-2018 : toutes les moto-taxis doivent désormais disposer d’une plaque d’immatriculation… sous peine d’amende. Jusqu’alors, ils étaient une minorité à en avoir car le modèle de moto chinoise employé ne nécessitait, pour les particuliers, de plaque d’immatriculation. La plaque d’immatriculation est vécue comme une seconde mesure de fiscalisation des Zem ; la première mesure ayant été pour les mairies de vendre un numéro de licence à chaque Zem. La « bronca » a été telle parmi les Zem face aux plaques d’immatriculation et aux amendes qui s’en sont suivies, qu’un moratoire a été prononcé par le gouvernement du mois d’août au mois de décembre 2018 pour laisser le temps au Zem s’immatriculer. En réalité, la tension reste assez forte car la police continue d’arrêter et verbaliser les Zem sans plaque malgré ce moratoire. Deuxième sujet de tension : le péage de l’axe Cotonou-Porto-Novo, autrefois gratuit, est devenu payant pour tous les véhicules – y compris les Zem qui échappaient à cette taxe.
C’est en réalité toute une économie autour des métiers du transport que souhaite développer le gouvernement. L’affaire est rendue visible avec le cas des « taxis jaunes » qui commencent à fleurir à travers le pays. Ce sont 300 nouveaux Renault Duster qui sont arrivés au Bénin il y a quelques mois. L’idée originelle est de constituer une flotte de taxis officiels qui ont vocation à devenir une pièce essentielle du développement touristique du pays, suivant les projets économiques imaginés par Patrice Talon. L’objectif technique était d’offrir une première « régularisation » professionnelle à des Zem qui auraient pu être recyclés en taxis officiels. Lorsque les 300 licences de taxis jaunes ont été ouvertes par le gouvernement, ce furent des diplômés sans emploi (souvent sans lien avec les métiers de la voiture) qui ont massivement postulés, tant le chômage reste prégnant. Les Zem sont restés à l’écart de l’opération et c’est toute une nouvelle sociologie de chauffeurs de taxis qui a émergé : les diplômés sans emploi qui investissent sur les potentiels touristiques du pays. Ils achètent à crédit leur taxi jaune à l’État pendant quatre ans : 6000 CFA par jour la première année, 7500 CFA par jour la deuxième année, 10000 CFA par jour la troisième année et 12000 CFA par jour la quatrième année. Un chef de flotte est désigné pour relever cet argent et le remettre au gouvernement. Au terme de ces quatre ans, le taxi appartient au chauffeur. Il reste encore à développer tout un écosystème pour que l’affaire soit rentable : être connecté à des réseaux de tourisme pour avoir de la clientèle, constituer un réseau d’hôtel et de restauration, etc. Ouidah et Abomey s’imposent déjà comme les deux étapes économico-touristiques.