Malgré l’annulation de la taxe sur les réseaux sociaux, une question demeure : pourquoi l’Etat se voit-il contraint de lever des taxes et redevances sur des produits bénéficiant autrefois de sa générosité ?
Le cas du secteur numérique est même plus parlant encore. L’Etat y investit des milliards et des milliards pour populariser l’accès aux services comme l’Internet, en déployant de coûteux équipements à travers le pays. Le PAG a même pour ambition de faire du Bénin un pays phare dans ce domaine. D’où la mise en place, entre autres bonnes choses, de la Cité internationale de l’innovation et du savoir (CIIS). On peut donc trouver contradictoire et apparemment anachronique, la récente décision qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Mais la contradiction, au fond, n’est qu’apparente. L’Etat est contraint de secouer toutes les poches d’imposition pour réaliser ses ambitions.
Nous avons tous vu comment en vingt quatre heures, les frais de péage ont été doublés, sans que les usagers aient pu y être sensibilisés, au moins pour les y préparer. On a assisté à la refonte fiscale au port, poumon économique du Bénin, comme on le dit. La douane est en pleines réformes, afin d’en optimiser les revenus. Il n’étonnera aucun observateur que de nouvelles niches fiscales voient le jour, pour combler les besoins qui se sont créés.
Dans la plupart de ces cas, le Bénin court le risque d’une implosion sociale dont les relents de la semaine écoulée ne sont qu’une manière d’échauffement. On a eu droit à une véritable révolution sur les réseaux sociaux pour fustiger l’incohérence de l’Etat. Mais personne, y compris moi-même, n’a posé la bonne question : pourquoi le même gouvernement est-il obligé de se contredire, de frôler même une révolte sociale suicidaire à la veille des élections ?
En réalité, la maigre fiscalité et l’endettement constituent les rares sources de rentrées financières dont l’Etat dispose encore pour financer ses ambitions. Ceux qui ont écouté les propos du ministre des Finances vont certainement me trouver tort, mais je peine, moi, à comprendre la rationalité politique ayant sous-tendu ses propos malheureux et maladroits. Sa boutade n’est que l’arbre qui cache la forêt à savoir : le Bénin a très peu de sources de revenus pour réaliser ses ambitions.
Oui, les acteurs publics sans foi ni loi peuvent distraire une partie de ces ressources. Et pendant longtemps, beaucoup de ceux qui ont la mainmise sur les secteurs névralgiques de notre économie se sont arrangés pour minimiser leurs fiches d’impôts. Les pressions politiques ont permis que ces pratiques s’accentuent et même se généralisent. Rien ne nous garantit même qu’elles ont disparu depuis 2016. Mais le fond du débat restera toujours le même.
Pendant que la Côte d’Ivoire déniche chaque année des sources nouvelles de création de richesse, la seule intelligence du Bénin réside dans les créations fiscales. Cacao, café, produits de palme, caoutchouc, cajou, coton, pétrole, on ne compte plus les produits où le pays de Ouattara puise ses ressources et excelle. Si vous avez le malheur comme moi de scruter l’actualité économique traitée dans les grands médias internationaux parlant de l’Afrique de l’Ouest, vous constaterez malheureusement que le Bénin n’y compte pas vraiment. L’essentiel est réservé d’abord à la Côte d’Ivoire, au Nigeria, au Ghana, au Sénégal, au Mali et au Burkina-Faso. On ne parle du Bénin sur le plan économique que pour les besoins accessoires.
Pour échapper à cette réalité qui choque tout observateur averti, certains ont proposé une conférence économique afin de poser les bases d’une nouvelle orientation du pays. Et vous connaissez la prédilection des Béninois pour les bavardages politiques sans fin. La démocratie, la liberté, l’Etat de droit et consorts. Dembisa Moyo, économiste zambienne travaillant aux Etats-Unis, a déjà montré que la démocratie à la mode occidentale n’est pas très susceptible de porter une croissance économique longue seule capable de sortir nos Etats de la pauvreté. Malheureusement les faits lui donnent raison.
Pour secouer le joug, il faudra obligatoirement réinventer le modèle économique béninois, en le tournant vers plus d’industrie et donc plus de consommation nationale, ce que certains appellent patriotisme économique. Toute théorie qui s’écartera de cet impératif n’est que leurre. Je parle d’impératif parce que nous l’avons vu : si nous voulons à terme sortir d’une imposition fiscale paralysante, la vision doit être résolument industrielle ou ne sera pas.