rnest Gbaguidi, le président de« Bénin Santé et Survie du Consommateur » revient, dans cette interview qu’il nous a accordée, sur le glyphosate, ce produit qui fait couler beaucoup d’encre et de salive depuis quelques semaines au Bénin. Prudent sur la polémique née de la nature cancérigène ou pas du glyphosate, Ernest Gbaguidi appelle le gouvernement béninois à mener des études « pour rassurer et lever rapidement et totalement cette zone d’ombre qui pourrait perturber les populations dans l’utilisation de ce produit ».
L’Evénement Précis: Comment avez-vous vécu la récente polémique autour du glyphosate au Bénin?
Ernest Gbaguidi: C’est vrai que le glyphosate, ces derniers temps, suite à une décision de justice qui a été présentée aux Etats Unis, a suscité une inquiétude dans l’opinion publique, en occurrence celle des populations béninoises, puisque ce produit est utilisé au Bénin dans la production du coton. Cette décision nous embarrasse en ce sens que le Bénin n’est pas le seul utilisateur du produit. Pour ce que nous connaissons, certains pays qui utilisent ce produit se sont donné un délai pour voir son impact. Le Bénin étant un utilisateur, les gens se demandent si ce produit ne va pas créer d’ennuis au plan local. Mais si vous observez bien, la décision de justice est allée en direction d’un utilisateur du produit ; il n’a pas été établi que ce produit pourrait avoir des résidus au niveau de l’alimentation, puisque c’est à ce niveau qu’on peut s’interroger sur d’éventuelles menaces. Deuxième chose, pour nos populations qui utilisent le produit, je veux parler des cotonculteurs, il n’a pas encore été établi jusque-là, de manière formelle, que quelqu’un puisse contracter une pathologie, en l’occurrence un début de cancer, suite à l’utilisation de ce produit. Mais la vigilance s’impose et si les gens continuent d’utiliser pour l’alimentation des récipients qui ont servi à transporter ce produit, on doit pouvoir accentuer la sensibilisation, parce que cela va de soi qu’un produit utilisé pour tuer les herbes pourrait créer des problèmes si on l’avale directement. Sur ce plan, je suis d’accord qu’on doit mettre l’accent sur la sensibilisation. Il faut que les scientifiques nous aident à établir le lien entre l’utilisation du glyphosate dans la production du coton et les intoxications alimentaires ou des problèmes sanitaires.
Est- ce qu’il existe des études sur les conséquences de l’utilisation du glyphosate dans les bassins cotonniers ?
Il n’y a aucun élément qui puisse nous situer dans cette affaire et cela interpelle les chercheurs et universitaires qui devraient pouvoir nous aider à clarifier ce problème. Mais, comme je l’ai dit, il n’y a pas que le Bénin seul qui l’utilise. D’autres pays comme la France sont concernés aussi et vous savez qu’ils ont une expertise pointue en la matière. Le plus souvent, nous allons sur les résultats scientifiques de ces pays pour trancher dans nos Etats. La preuve, c’est parce qu’une décision a été prise aux Etats-Unis que nous nous préoccupons de la situation au Bénin. Mais je crois que l’Etat aussi est bien conscient de ce que, n’ayant pas toutes ces informations en amont, il doit pouvoir profiter de l’occasion pour évaluer l’utilisation du produit au Bénin, et il nous reviendra de prendre la décision de changer ce produit par un autre, moins dangereux pour la population.
Dans la foulée, le ministre de l’Agriculture était monté au créneau pour minimiser les dangers du glyphosate au Bénin. Votre réaction sur cette sortie du ministre Dossouhoui?
Le ministre est du secteur. Il connait surement le produit et ses implications. De même, c’est un ministre de la République et les problèmes de santé et de sécurité relèvent de l’Etat. Donc, si un ministre sort et nous rassure, c’est qu’ils ont quelque part des informations. En tant que consommateurs, nous devons être craintifs mais, n’ayant pas d’autres éléments sous la main, nous n’allons pas aussi alarmer la population, si nous n’avons pas une autre alternative. C’est vrai qu’il vaut mieux prévenir que guérir, mais il faut quand même prévenir en se basant sur des informations scientifiques et justes. Nous ne banalisons pas la situation, mais nous souhaiterions que les scientifiques nous accompagnent pour l’éclaircir, évaluer, apaiser les uns et les autres et accompagner le gouvernement qui, peut-être, est de bonne foi. Les autres aussi qui commentent, ont peut-être raison mais lorsque vous n’avez pas d’éléments factuels, vous ne pouvez pas vous prononcer de manière formelle. Donc si le ministre le dit, c’est que quelque part, il a des informations claires et précises et il leur revient aussi de rassurer la population.
Que faites-vous, à votre niveau, comme action, pour défendre les consommateurs ?
D’abord, nous allons continuer à sensibiliser toutes les parties concernées que ce soient les utilisateurs, les fournisseurs, l’Etat et les populations environnantes. Dans l’utilisation, il faut que les producteurs soient prudents. Les récipients qui ont servi à transporter ces produits ne doivent pas être utilisés pour faire autre chose. Aussi faut-il que l’Etat nous aide, même si aujourd’hui rien ne nous dit que c’est un produit à risque. Il faut quand même que les études complémentaires adaptées à notre pays soient menées pour rassurer et lever rapidement et totalement ces zones d’ombre qui pourrait perturber les populations dans l’utilisation de ce produit.
Le Bénin ne peut-il pas interdire le glyphosate ?
Il s’agit d’une décision politique. L’Etat peut identifier d’autres produits qui seraient moins dangereux que le glyphosate pour le remplacer, ce n’est pas exclu. Le gouvernement doit être sûrement dans cette réflexion pour lever le doute, pour qu’on puisse changer carrément d’approche plutôt que d’attendre que le doute continue de planer. A défaut de le faire, il faut établir de manière formelle que le produit n’est pas dangereux pour les populations.