Au lendemain de son installation, la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) n’a pas attendu longtemps pour faire parler d’elle. Ses échos, comme un coup de tonnerre, ont retenti dans tout le pays et, tel un éclair, ont traversé les frontières. Des dossiers ici, voire des condamnations déjà sans compter des critiques, des attaques personnelles à l’encontre du parquet spécial. Le procureur spécial, Gilbert Ulrich Togbonon, clarifie, confie et met en garde.
La Nation : La Criet est-elle née avec des dents ? Au regard de sa promptitude sur les dossiers et de son dévouement à la tâche, en moins de deux mois, d’aucuns l’assimilent à une machine téléguidée, à de l’activisme ou du zèle… Qu’en dites-vous ?
Gilbert Togbonon : Nous ne sommes pas législateurs ! Les députés ont voté une loi, laquelle a été promulguée. Nous nous sommes simplement approprié la loi et nous procédons à sa mise en œuvre. C’est tout notre job ! Les attributions de la Criet sont contenues dans la loi qui a été votée par l’Assemblée nationale. Dès que j’ai été installé dans mes fonctions, ma première préoccupation a été de cerner les attributions du parquet spécial de la Criet. Quelles sont les attributions du procureur spécial et qui sont ses partenaires dans l’exécution de sa tâche au vu de la législation de ce pays ? C’est ce qui nous a permis de sortir, courant septembre, un manuel de procédure. Et quand vous prenez ce manuel, vous pourrez comprendre ce que nous faisons et avec qui nous le faisons.Quand j’étais procureur à Cotonou, j’ai réalisé un manuel de procédure qui retrace ce que je dois faire et c’est ce qui m’a permis de parvenir aux résultats que j’ai laissés. Ici également, j’ai sorti ce manuel de procédure pour énoncer ce que je dois faire. Tout ce que le parquet a à faire, s’y trouve, écrit, bien encadré et c’est ce que nous faisons. Si quelqu’un est contre, qu’il prenne son stylo et écrive au lieu d’aller sur les réseaux sociaux. C’est dans l’écriture, l’échange et la publication que la science évolue. Aujourd’hui, je suis procureur spécial, demain il y aura un autre procureur, ainsi de suite. Les hommes vont passer, je vais passer, l’institution va demeurer.
Avec tout le dynamisme de la Criet, il est difficile de suivre le fil des activités. Quels sont le bilan des audiences et l’impact à ce jour ?
J’ai été installé dans mes fonctions, en tant que ministère public, procureur spécial, le 27 août 2018 à Cotonou. Le lundi 3 septembre, je suis venu dans ce qui me sert de locaux provisoires à Porto-Novo et j’ai démarré mes activités. A ce jour même, je n’ai pas encore de bureau. Je suis dans la salle d’attente. Ce qui veut dire que j’ai démarré le travail sur les chapeaux de roues. Déjà le jeudi 6 septembre, la première audience a eu lieu avec la comparution de huit trafiquants de drogue et de chanvre indien dont deux ont été condamnés à 20 ans de prison. Le jeudi 20 septembre, la deuxième audience a eu lieu. Deux semaines après, la troisième audience s’est tenue. Ce jour, lundi 15 octobre, se déroule la cinquième audience. Il faut faire remarquer que le Bénin, avant l’avènement de la Criet, était sur une plaque rouge en matière de lutte contre la drogue. Il a suffi de deux audiences à la Criet pour qu’aujourd’hui, le Bénin change de statut. Le Bénin n’est plus une plaque tournante de la drogue. C’est déjà une fierté. Si vous suivez les statistiques, depuis deux semaines, on n’a pas arrêté un seul trafiquant de drogue au Bénin. Or, c’est par semaine qu’on arrêtait au moins deux à l’aéroport international de Cotonou. Tout simplement parce que les juges ont suivi les réquisitions du ministère public. La destination Bénin pour la drogue est devenue un risque. Et dès lors, plus rien depuis deux semaines, plus de dossier de cocaïne encore moins d’héroïne.Vous pouvez vous renseigner à l’Office central de répression des trafics illicites des drogues et précurseurs (Ocertid). Et pour décourager les crimes économiques, le trafic de la drogue et le terrorisme, nous travaillons avec plusieurs structures. En dehors des officiers de police judiciaire et des différentes juridictions, nous travaillons avec les structures étatiques consacrées sur les thématiques de la Criet, par exemple l’Autorité nationale de lutte contre la corruption (Anlc) que la loi reconnaît et qui peut se constituer partie civile à l’audience, l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp), le Bureau d’analyse et d’investigation (Bai), la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), la Direction générale des Impôts, la Direction des Douanes, la Commission nationale de lutte contre le terrorisme, l’Ordre des experts comptables surtout avec les commissaires aux comptes qui ont une obligation de dénonciation. Nous travaillons aussi avec les structures de la société civile intervenant sur les mêmes thématiques dont les Ong Social Watch, Alcrer, Fonac, Transparency Bénin et la Commission béninoise des droits de l’Homme. Tout est écrit dans le manuel de procédure du parquet spécial de la Criet avec le rôle de chaque collaborateur.
Avec l’actualité de l’affaire Ajavon, une polémique est née. La Criet est-elle juge en premier et dernier ressort ?
C’est une affaire qui est en cours, je ne veux pas en parler. Mais pour ce qui intéresse ici, moi je demanderais aux uns et aux autres de lire la loi et de ne surtout pas faire une lecture parcellaire. Pour comprendre la législation sur la Criet, il faut lire la loi portant organisation judiciaire en République du Bénin. Il faut lire le nouveau Code de procédure pénale et la loi portant création de la Criet. C’est dans cet ensemble qu’il faut appréhender les compétences de la Criet et son fonctionnement. Même des professeurs d’université, titulaires et agrégés n’ont pas fait cette lecture et se sont permis de faire certains commentaires. Il faut lire les textes et mieux comprendre afin d’éclairer les citoyens. Le législateur a tout prévu. Maintenant, si l’on a des griefs contre la loi, il faut retourner à l’Assemblée nationale et non s’attaquer aux magistrats qui exercent. Même au premier degré, il y a des matières pour lesquelles le tribunal de première instance est juge en premier et deuxième ressorts. Il n’y a pas d’appel pour ces matières. Ce n’est rien d’extraordinaire. En plus, le pourvoi en cassation reste possible et cela est clairement inscrit dans la loi portant création de la Criet. C’est la loi. Il faudrait que ceux qui ont des griefs contre la loi puissent saisir le Parlement pour demander son amélioration. C’est tout ce que je peux leur dire.
Procureur spécial près la Criet, avec de denses attributions ! Une lourde charge qui n’est pas à l’abri des critiques fusant de toutes parts. Mais vous semblez impassible ! Comment vivez-vous les attaques personnelles ?
Je constate que ceux qui aujourd’hui utilisent l’arme des réseaux sociaux n’ont pas bien lu ou n’ont pas du tout lu le code sur le numérique. Je voudrais leur dire que mon silence ne veut pas dire que je ne sais pas répondre aux attaques. Je réserve mes droits de réponse juridiques. Je n’attaquerai personne par les réseaux sociaux. Tous ceux qui ont écrit des choses sur moi sur les réseaux sociaux, qu’ils sachent que je conserve leurs propos quelque part et quand je serai déchargé de mes fonctions, c’est en ce moment-là qu’ils vont faire les frais de procédure et nous allons régler tout cela devant les tribunaux. Le délai de prescription c’est trois ans. Si les faits ne sont pas prescrits, ils n’ont qu’à se préparer à en répondre devant les juridictions. Je ne ferai pas une guerre d’institution maintenant. Je prends patience. Ceux qui m’ont attaqué personnellement, je conserve leurs propos, je les enregistre, ils sont identifiés et j’attends le jour où je serai déchargé de mes fonctions, car j’ai un nom à défendre. Les gens ont oublié que la roue tourne. Ceux qui travaillent ici vont partir et ceux de cette même profession qui sont aussi en train de critiquer viendront porter la même charge pour continuer. A leur tour, on verra ce qui va se passer. C’est une institution qui demeure. Ils viendront et nous verrons.