Invité du press-club « Café médias plus » le vendredi 2 novembre, Marc Robert Dadaglo, le président de l’Union nationale des magistrats du Bénin (Unamab) s’est prononcé sur les nouvelles réformes dans le secteur de la justice. Selon lui, ces réformes ne sont pas de nature à renforcer l’Etat de droit dans le pays. Lisez l’intégralité de son intervention.
« Il y a la constitution d’abord et beaucoup de lois. Si bien que pour réformer les choses dans le secteur de la justice, il faut une intervention du pouvoir législatif. C’est ainsi que vous allez constater que la loi portant Code de procédure pénale a été touchée plusieurs fois. Il y a eu la loi portant Statut de la magistrature, la loi portant Code pénal, la loi portant création de certains organes juridictionnels pour ne citer que celles-là. Ces lois ne sont pas parfaites dans l’ensemble, mais on constate que le législateur veut faire bouger les lignes. C’est pourquoi ces réformes sont entreprises ».
Des magistrats menacés sous la rupture…
« Beaucoup de politiciens sont poursuivis. Vous connaissez l’affaire Atao, l’affaire du Fnm, et beaucoup d’autres. Alors, les magistrats qui sont en charge de ces dossiers subissent un certain nombre de menaces. Ils ont constaté par exemple qu’ils ont l’inspection des services judiciaires à leurs trousses. Ils sont plusieurs fois interpelés au niveau du service de l’inspection judiciaire. Il y a des collègues qui ont constaté qu’ils sont suivis. Et parfois, il y a des gens qui les appellent pour leur dire qu’ils se sont mal comportés dans un dossier donné et leur disent de ne pas oublier qu’ils peuvent les faire radier de la magistrature ou qu’ils peuvent leur faire ci ou qu’ils peuvent leur faire ça. Ce sont des personnes connues. C’est pourquoi, l’assemblée générale de l’Unamab s’est penchée sur cette question. Et vous avez pu suivre le communiqué final. C’est une manière de faire pression sur les juges ».
L’Unamab et sa nouvelle stratégie
« Lorsque le mandat du bureau de l’Unamab est arrivé à terme, il y avait un mouvement de grève en cours. Cette grève s’essoufflait déjà, si bien qu’il fallait être courageux pour accepter de gérer ce bureau-là. Parce que tout ce qui se passait sur le terrain avec le gouvernement de la rupture ne donnait pas de garantie. On se demandait qui peut accepter rentrer dans cette fournaise? C’était la patate chaude. Face à la situation actuelle, le bureau de l’Unamab a décidé de changer de stratégie. Il a déjà eu à dire qu’au regard de ce qui se passe, on n’est plus dans un Etat de droit comme naguère. Et face à cette situation nouvelle, il fallait changer de stratégie et qu’il n’y a pas lieu d’être à la remorque des déviances de l’exécutif. Donc, il ne sert à rien de faire chaque fois de sortie pour dire qu’il y a ci ou qu’il y a ça. Quand on sent que c’est une erreur, on peut réagir. Mais à un moment donné, on s’est rendu compte que c’est plutôt bien structuré, c’est une nouvelle méthode de gouvernance. À partir de ce moment, il faut changer de stratégie. C’est pourquoi, surtout par rapport à la Criet, où les gens estiment que l’Unamab est sortie tardivement, il fallait observer comment les choses vont évoluer. A un moment donné, l’occasion s’est présentée pour l’Unamab de faire le point. Je voudrais dire par rapport à cela que la Criet a commencé par fonctionner pendant les vacances judiciaires, à un moment où les magistrats n’étaient pas à leur poste. Alors, il fallait attendre le retour de tous les collègues pour faire prononcer l’Unamab sur la situation de la justice et c’est ce qui a été fait.
Depuis un moment, c’est une nouvelle gouvernance. Et face à celle-ci, il faut forcément changer de stratégie. Lorsque vous dénoncez des choses en pensant que votre vis-à-vis a fait une erreur, car quand on dénonce, c’est pour permettre à l’exécutif de se ressaisir et de corriger l’erreur, et que l’exécutif ne se ravise pas, il vaut mieux laisser. Puisqu’on ne peut pas continuer à dénoncer dans le vide. Il faut alors chercher une nouvelle stratégie pour faire le combat en considérant que l’Unamab d’aujourd’hui, n’est pas celle d’hier. Vous n’êtes pas sans savoir les conditions dans lesquelles les choses ont évolué lors de la dernière grève. Et par la suite, vous avez noté les avalanches de lois qui sont sorties, à savoir le retrait du droit de grève. Mais, si brutalement on vous a retiré le droit de grève, il faut réfléchir sur les nouvelles méthodes de lutte. Il faut un temps de réflexion. Quelqu’un a dit que si l’Unamab se réunit, c’est la grève. Aujourd’hui, il n’y plus de droit de grève. Que voulez-vous? Bien entendu, il n’y a pas que cette manière de lutter.
Le mouvement a été affaibli d’une manière ou d’une autre. Pensez-vous que si l’Unamab lance une grève aujourd’hui les gens vont obtempérer? Non. Pourtant, la loi nous donne dix jours. Posez-vous la question de savoir pourquoi on n’utilise pas ces dix jours-là ? Je pense qu’on doit laisser le temps au temps. Est-ce que lorsqu’on garde le silence cela signifie qu’on a abandonné le combat? Je réponds non. Vous vous rappelez de la Deuxième guerre mondiale? Ce sont ceux qui avaient perdu la bataille dans les premiers jours qui l’ont remportée. C’est pour vous dire qu’on peut perdre une bataille, mais pas la guerre. Alors, pourquoi dit-on qu’on a perdu, qu’on a arrêté le mouvement sans rien avoir? »
La Criet et son fonctionnement…
« A cette réunion de l’assemblée des magistrats, beaucoup de points ont été abordés comme la loi portant création de la Criet. Mais on a aussi parlé des menaces qui pèsent sur les magistrats et de la loi portant abrogation de la loi portant statut de la magistrature. Donc, il n’y a pas eu une sortie par rapport à la nomination des magistrats à la Criet. La Criet est une juridiction qui concerne tout le peuple béninois. Personne n’a réagi et d’autres ont pensé que c’est l’Unamab qui devrait réagir. Pourquoi ? C’est une loi qui est votée. Quelques semaines plus tôt, l’Unamab avait réagi par rapport à la loi portant création du Conseil supérieur de la magistrature, une loi qui touche directement les magistrats. Mais en ce qui concerne la Criet, ce n’est pas le cas. C’est une juridiction. Ce qui m’a surpris par rapport à la Criet, c’est que c’est quand un justiciable devait se présenter qu’on a commencé par interpeler l’Unamab. Je me suis dit qu’il fallait peut-être anticiper par rapport à ce qui se passait. A l’Unamab, on a estimé que la situation était tellement grave qu’on voulait encore attendre un certain nombre de choses, voir le fonctionnement technique. Et comme je l’ai dit tantôt, on ne pouvait pas revenir chaque fois pour dire qu’il y a ci ou qu’il y a ça. Au niveau de l’Unamab, on suivait ce qui se passait. C’est pourquoi quand les gens m’interpellent je souris. Nous devons user de beaucoup de stratégies. Et je crois que par rapport à la Criet, on n’avait pas besoin d’intervenir comme les gens le souhaitent ».
La Criet plus forte que la Cour suprême
« La justice est rendue par les tribunaux de première instance, les cours d’appel, la Cour suprême et toutes les juridictions légalement constituées. Donc, en nous fondant sur ce texte, nous allons considérer que la Criet est une juridiction légalement constituée. Donc ce n’est ni un tribunal de première instance, ni une cour d’appel, ni une cour suprême. Or nous, nous ne nous retrouvons qu’à travers ces trois institutions. Alors, la Criet est-elle une cour suprême, parce qu’on peut faire la comparaison ? La Criet a une compétence nationale comme la Cour suprême, puisque la Cour suprême statue en dernier ressort à titre exceptionnel. Mais le rôle de la Criet c’est de statuer en dernier ressort. Par rapport à cela, elle dépasse même la cour suprême. Pour qu’un magistrat siège à la Cour suprême, il faut que ce magistrat ait au moins le grade A1-11. Et il doit avoir 15 ans d’expérience. Vous savez que le président de la Cour suprême est une personnalité politique si je peux parler ainsi. Mais déjà dans le texte qui fonde la Criet, c’est bien dit que le président de la Criet doit être un magistrat de grade A1-12 (le tableau final). Alors que pour qu’un magistrat soit à la Cour, il lui suffit simplement d’avoir le grade A1-11. Vous voyez qu’on a fait de la Criet une cour vraiment au sommet? La loi a prévu que les experts qui doivent intervenir à la Criet prêtent serment au niveau de la Cour suprême. C’est pour vous dire qu’on a mis la Criet très haut.
Quid du procureur spécial
« Cette loi sur la Criet n’a pas prévu le grade du procureur spécial. On peut se tromper et estimer que le droit commun se dira. Mais pourquoi on se presse pour fixer le grade du président seul et on se tait sur tous les autres?
Pour être procureur de Cotonou, dans les tribunaux de 1èreclasse, il faut être au moins de grade A1-8 ; pour être procureur général, il faut avoir minimum A1-10.
Au moment où la Criet a été créée, qui peut savoir qu’on en arriverait là? C’est-à-dire un procureur qui n’a pas le grade A1-10 ? Mais voilà que c’est une cour à compétence nationale, et on dit que le président doit être bien capé. A priori, le procureur doit être aussi bien capé. Et en considérant ces attributions, il doit être même plus capé que le procureur général. Mais ce n’est pas le cas. Quand moi j’ai lu les textes, je n’ai pas compris pourquoi on a voulu préciser le grade du président et laissé pour tous les autres.
Les textes réformateurs ont prévu que la cour d’assises, telle qu’elle se déroule, va connaitre une évolution, et que désormais, comme c’est une cour qui est logée à la cour d’appel et qui juge pratiquement en dernier ressort, il faudrait un double degré en cette matière. Ainsi les matières qui relèvent de la compétence des cours d’appel seront connues par les tribunaux de première instance. C’est à dire le jugement des crimes et en cas d’appel éventuellement, ce sera jugé, établissant ainsi, le double degré de juridiction. Le gouvernement a motivé, le parlement l’a suivi. Mais on ne peut pas comprendre que dans le même temps on instaure à la Criet le seul degré. C’est à dire que la Criet va juger en premier et dernier ressort.
Pour chacun des membres de la cour, à l’exception de son président, il est nommé un suppléant. Donc le président n’a pas de suppléant. Cela signifie qu’il doit assister à toutes les audiences.
Le procureur spécial peut également être assisté de deux personnes dont la compétence avérée est nécessaire. Dans ce cas, les personnes nommées par décret pris en Conseil des ministres, prêtent serment. Là, c’est l’immixtion directe de l’exécutif dans le judiciaire. Mais je vous dis, dans un premier temps, on peut comprendre. Plus loin, la commission de l’infraction peut aussi faire cela. Si le juge d’instruction de la Criet aussi doit faire de même, imaginez vous-même la suite ».
Des incohérences dans loi portant création de la Criet….
« Il est fait application devant la chambre des libertés et de la détention, des dispositions en vigueur applicables devant le juge des libertés et de la détention. On lui envoie le juge des libertés. Mais seulement par rapport à cela, sachez que quand le juge des libertés et de la détention prend une décision, sa décision peut faire l’objet d’appel. Je ne sais pas si la chambre des libertés de la Criet statue en premier et dernier ressort. Rien n’est précisé. La cour d’appel, la Criet statuent en premier et dernier ressort. La commission de l’instruction statue aussi dans certains cas en premier et dernier ressort. A la magistrature, quand on doit relever appel, nécessairement, on va devant le président de la Criet. Donc quelque part, on ne peut pas dire que c’est en premier et dernier ressort de manière absolue. Qu’en est-il de la chambre des libertés et de la détention ? Rien n’est précisé. Alors qu’on a dit que cette chambre travaille dans les mêmes conditions que le juge des libertés et de la détention. Qu’est-ce que cela signifie ? C’est en premier et dernier ressort, il peut y avoir un contentieux de la détention. C’est-à-dire qu’on décide de placer quelqu’un en détention, il peut protester que les conditions ne sont pas remplies. Comment ça se passe? Rien n’est dit par rapport à cela. Mais dans le même temps on dit que cette chambre le fait de la même manière que le juge des libertés et de la détention. C’est très incohérent.
Le Conseil supérieur de la magistrature en question
Le principe de la séparation des pouvoirs prévu par la Constitution est mis à mal. L’exécutif s’immisce, parfois même de manière grossière, dans le judiciaire. D’une manière générale, les réformes ne renforcent pas l’Etat de droit dans notre pays. Prenons la loi sur le Csm. Le Csm n’est qu’un gouvernement bis. Parce que vous avez suivi dans ce pays qu’à un moment donné, la Cour constitutionnelle avait estimé que le Csm, en l’état, viole la Constitution. Et quand les membres de la Cour constitutionnelle ont été renouvelés, la nouvelle cour a estimé que c’est conforme à la Constitution. Mais ce qui est sûr, au niveau de cette cour, c’est qu’il y a le ministre des Finances et le ministre de la Fonction publique qui sont déjà au niveau de l’exécutif. Et cet organe est composé en majorité des membres qui sont liés à l’exécutif. C’est pourquoi ça pose problème ».