Des centaines de bidons d’huiles alimentaires étalées à perte de vue le long du fleuve Okpara. Des tonnes et des tonnes de sacs de riz stockées dans les cases le long du fleuve, une économie bloquée. C’est ce que vivent actuellement les populations de l’arrondissement d’Oké-Owo dans la commune de Savè, à environ 246 km de Cotonou. Situé à 27km de Savè-centre, et frontalier avec l’Etat d’Oyo au Nigeria, l’arrondissement d’Oké -Owo tire une importante source de revenus des réexportations d’huiles alimentaires et de riz qui transitent par le territoire béninois pour atterrir au Nigeria. Mais depuis environ trois mois, tout est bloqué et le village est sinistré. « Tout est mort ici depuis quelque temps, les camions ne viennent plus et les commerçants ont tous disparu », témoigne un jeune passeur autrefois spécialisé dans le transport des produits en transit sur le Nigeria. D’un air dépité, il pointe le village d’Ayégoun, situé de l’autre côté du fleuve : « Ils ont tout bloqué là-bas, personne ne peut passer désormais. » Ayégoun se trouve en effet sur le territoire nigérian. Il y a encore quelques mois, c’était l’épicentre du commerce de réexportation vers le voisin nigérian. Voitures d’occasion, pâtes et huiles alimentaires, riz transitaient par ici pour atterrir à Ayégoun vers d’autres destinations. A la façade du fleuve, côté béninois, l’effervescence a disparu. Le petit commerce local n’est plus qu’un souvenir et les barques sont désespérément vides. « Les gens ne trouvent plus de travail », témoigne le chef de l’arrondissement, Frédéric Dagbédji. Selon lui, le problème serait né des incompréhensions entre autorités béninoises et nigérianes, sans que l’autorité locale ne sache concrètement de quoi il retourne.
Commerce à sens unique
Pour l’heure, le Bénin n’a mené aucune démarche pour empêcher l’entrée des produits nigérians sur son territoire. « Nous continuons d’acheter des boissons de l’autre côté, mais nous ne pouvons plus rien amener là-bas », se désole Irène Sossou, vendeuse de divers produits, autrefois installée au bord du fleuve. « Tous les nôtres qui ont tenté ont été emprisonnés là-bas, avec des amendes qu’ils ne peuvent jamais payer », souligne-t-elle. Des témoignages précis indiquent que tout le commerce local a été sinistré lorsque des passeurs et des commerçants béninois ont été appréhendés de l’autre côté. Presque endeuillées, leurs familles ne savent plus à quel saint se vouer. « Nos paysans peuvent encore vendre du manioc et du gari au Nigeria, mais trop petit par rapport à ce que nous rapporte le commerce de transit », indique le chef d’arrondissement Frédéric Dagbédji.
Des mesures musclées du Nigeria
Dans le village, tous les habitants ont peur de ce qu’il adviendra de leur localité qui fut un important point de transit. Mais en réalité, tout se passe comme si le Nigeria n’entend pas reculer. Dans un mémorandum d’entente signé en 2013, les deux pays s’étaient engagés à lutter contre la fraude douanière liée aux trafics divers qui ont cours de part et d’autre de leurs frontières. Seulement, une bonne partie du trafic au port de Cotonou est destinée au commerce de réexportation en direction du Nigeria à travers des points de contact connus. Le Nigeria, qui entend doper sa production locale de riz et d’huiles alimentaires, a mis en place des politiques internes pour cela, tout en encadrant l’ensemble par un protectionnisme qui ne dit pas son nom. Ainsi, les tarifs douaniers sur le riz ont été amenés à 110%, contre environ 7% au Port de Cotonou. Les commerçants nigérians contournent alors la mesure en passant par le Port de Cotonou, au grand dam des autorités d’Abuja décidées désormais à endiguer ce commerce juteux pour l’économie béninoise. Selon des statistiques publiées en août 2018 par le service des douanes du Nigeria (NCS), les services antifraudes ont arraisonné entre janvier et juin 2018, environ 40.370 sacs de riz aux frontières avec le Bénin. En juillet dernier, lors d’une rencontre avec son homologue béninois, le chef de l’Etat nigérian Muhammadu Buhari s’est félicité d’avoir arrêté le trafic de riz vers son pays pour environ 90%. Reste que tout cela fragilise l’économie béninoise, alors que les services du ministère béninois de l’Economie restent désespérément impuissants à trouver d’autres voies de parade face à une telle menace.