Me Yvon Détchénou à propos de la polémique sur une étude réalisée sur la Criet : « Ce n’est pas digne de l’Ordre que ce rapport soit diffusé par des procédés inacceptables »
Avocat, Bâtonnier en fonction, Me Yvon Détchénou revient à travers cette interview sur les motivations de son communiqué rendu public quelques jours plus tôt. Très pointilleux sur les questions de discipline, de courtoisie et de respect des règles et des convenances, l’avocat élève le niveau de débat et appelle ses pairs au sens du devoir et de la responsabilité.
Vous avez rendu public il y a peu un communiqué pour fustiger la diffusion d’un rapport de l’Ordre sur la Criet. Comment en êtes-vous arrivé à cette dissension au sein de l’Ordre ?
Je vais commencer par faire une précision. Il y a des différences de point de vue à l’interne mais il n’y a pas de division. L’ordre des avocats du Bénin n’est pas divisé. La deuxième chose, le communiqué dont vous parlez vise à dire que le rapport qui est sur les réseaux sociaux, n’est pas un document officiel de l’Ordre. Dans la simple mesure où l’Ordre n’a assuré aucune diffusion du rapport finalisé en interne sur la Criet. Notre démarche est d’abord institutionnelle. Cela veut dire que notre premier interlocuteur est d’abord le Garde des sceaux. La démarche institutionnelle a été de lui transmettre ce rapport. Ce qui veut dire qu’il faut lui laisser un délai raisonnable pour nous revenir pour qu’ensuite nous puissions apprécier. Le Garde des sceaux n’ayant pas encore donné de suite, je ne trouve pas normal, et ce n’est pas digne d’un Ordre, que ce rapport qui a été transmis, soit diffusé par des procédés inacceptables sur tous les réseaux. C’est en cela que mon communiqué est un recadrage. Il est bien précis et ne parle d’autre chose que de la publication indue et de la violation des règles qui régissent l’Ordre. Je reprécise que l’Ordre est une institution qui a des règles de fonctionnement précises et il ne peut s’exprimer officiellement que par le bâtonnier. Et en cela, il n’est pas acceptable que quiconque s’autorise à transmettre au nom de l’Ordre un rapport à des institutions ou à des ambassades si ce n’est le Bâtonnier. Cette démarche est celle qui m’irrite le plus parce que nous ne pouvons pas avoir dans la robe des combats qui ne sont pas juridiques, qui ne sont pas livrés dans les lieux juridiques mais qui soient portés comme pour faire de la pression, ou un certain activisme politique. Cette tendance doit être définitivement enrayée de l’Ordre. Nous sommes des hommes de défense. C’est que, dans la défense des personnes, une certaine insolence, une certaine impertinence est possible, nous avons la possibilité dans la défense des libertés de faire une défense de rupture et d’aller jusqu’à dire des choses qu’ordinairement nous ne dirions pas. Nous pouvons déplacer le curseur évidemment dans le respect des intérêts du client. Mais notre combat est un combat juridique. Il doit se mener juridiquement dans les endroits où se fait le droit. Il ne s’agit pas d’aller polluer le débat par différentes thèses. Toute personne ne comprend pas automatiquement les concepts de droit. On ne peut pas analyser, on ne peut pas les interpréter correctement. Il faut que nous puissions poser les débats là où ils sont avec les personnes qu’il faut. Et donc, la démarche que j’adopte et je pense qu’elle doit être partagée par beaucoup de personnes est celle de donner à l’Ordre toute sa dignité en tant qu’institution qui mérite que nous puissions parler d’une voix. Les aspects de fonctionnement, nous allons les régler à l’interne.
Les informations ont fait état de ce que même au niveau du comité qui a rédigé le rapport, vous ne seriez pas d’accord à ce que le contenu soit révélé. Qu’est-ce qui vous assujettit tant au ministre de la justice ? Pourquoi attendre forcément son avis avant de publier une étude ?
Rien n’assujettit un Ordre indépendant à un Garde des sceaux ou à une quelconque autorité. Notre indépendance ne s’abandonne pas. Le rapport dont vous parlez n’est pas rendu public non pas parce que nous voulons empêcher le contenu d’exister. Il existe et c’est la position de l’Ordre. Cette position a été portée à la connaissance de l’interlocuteur. Qu’est-ce qui empêche que nous fassions jouer régulièrement nos institutions ? Maintenant, si vous pensez qu’il y a une quelconque proximité qui puisse empêcher l’Ordre d’exister ou de s’exprimer, je dois vous dire deux choses. La première c’est que je ne suis membre d’aucune chapelle politique. Je ne suis dans aucun mouvement politique. Ma fonction m’assujettit à une totale objectivité et c’est dans cette objectivité que je travaille. Eviter tout parti pris, toute manipulation. Eviter qu’on m’entraîne sur un terrain qui ne soit pas juridiquement celui de la défense des libertés. Dans cet ordre, j’ai pris toutes mes dispositions à titre personnel, familial pour qu’à aucun moment, quelque acte, quelque parole puisse être utilisé dans ce sens-là. Mais il y a des choses qu’il faut que je dise très clairement. L’une d’elles c’est que le ministre de la justice est après tout un avocat. Peut-être que certains estiment que parce qu’on passe ministre de la justice, il faut estimer que c’est un adversaire et qu’il faut automatiquement exprimer toutes les acrimonies envers cet adversaire. Je suis responsable d’un Ordre et le ministre de la justice est encore membre de cet Ordre. On prête serment pour aller dans un Ordre, on en reste membre jusqu’à la radiation. Il n’en est pas radié aujourd’hui. La belle preuve, l’Ordre peut encore parler de sa discipline. Dans nos règles, il y a ce qu’on appelle la confraternité. Et ceux qui sont dans l’ordre sont liés par la confraternité. Ce sont ces rapports qui unissent le ministre et qui unissent tout avocat qui est dans l’Ordre des avocats du Bénin.
Oui mais la particularité de ce confrère est qu’il est ministre de la justice et que l’étude porte sur la Criet qui est une institution installée par cette même autorité. Comment attendre que le ministre vous donne son accord avant que vous ne publiez un rapport dans lequel vous dénoncez une institution qu’il a installée ?
Je n’attends pas l’accord du ministre avant de diffuser le contenu du rapport. J’attends que le préalable de courtoisie, de bienveillance, la démarche institutionnelle respectable et digne de l’Ordre soit faits. Ce n’est pas que le ministre peut mettre le rapport sous boisseau. Le ministre également doit une réponse à l’Ordre des avocats du Bénin parce qu’il est le ministre de la justice. Il n’est pas le ministre de la Criet ni d’un gouvernement. Il est le ministre de la justice de la République. Il doit la convenance institutionnelle à l’Ordre et j’attends qu’il la respecte. S’il ne le fait pas, l’Ordre constatera l’échec du dialogue et en tirera les conséquences dans un délai raisonnable que le Conseil de l’Ordre appréciera. Parce qu’il faut que nous puissions dire dans chaque circonstance voilà ce qui est fait. Voilà ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Voilà ce qui est conforme aux textes et voilà ce qui ne l’est pas. Voilà ce qui est respectueux de nos lois en matière de procédure pénale, civile et ce qui ne l’est pas. Voilà ce qui est respectueux des principes de notre législation. Mais cela ne peut être fait dans le désordre, au nom d’un quelconque activisme politique. Si nous abandonnons le cadre de notre action et que nous commençons à devenir une cellule, une association politique, un syndicat, alors nous ne sommes plus l’Ordre des avocats. L’Ordre n’est pas un syndicat, ni un mouvement politique. C’est un Ordre d’avocats. C’est une institution de défense des personnes. Et cela passe par des canaux et des règles bien précis. Il faut que nous restions dans ce cadre-là qui est le nôtre. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas parler. Nous parlons en tant qu’Ordre. Et cela commandait que nous ayons une étude complète sérieuse qui justifie notre expertise. J’ai commandé l’étude, on a eu une discussion à l’interne, nous avons constaté des choses. J’ai demandé à des personnes de réfléchir plus amplement sur des questions données. Le Bénin n’est pas le seul à mettre en place une Cour de répression des infractions économiques. Il y a une Crie qui a été mise en place au Sénégal. Il était nécessaire de comparer, aller au-delà de la simple analyse d’apparence pour dire juridiquement ce qui est et ce qui n’est pas et en tirer toutes les conséquences. Et analyser par voie constitutionnelle, cela implique une étude sérieuse. C’est ce que j’ai fait. Elle existe aujourd’hui et ne peut pas disparaître. Elle doit porter la position de l’Ordre et permettre d’affirmer, pousser l’évolution des règles.
Au-delà des canaux de diffusion, est-ce que le contenu est quand même fidèle à ce que l’étude a révélé ?
Je répète que nous avons un rapport. Une réflexion existe. Cette réflexion est pour l’instant restée interne à l’ordre. Ce n’est pas encore le moment de confirmer ou d’infirmer le contenu du rapport. Nous le ferons. Ce qui est clair, c’est qu’à plusieurs circonstances nous avons commencé à dire qu’il y a des aspects sur lesquels la Criet n’est pas conforme à nos principes. Nous l’avons dit à la rentrée solennelle de la Cour suprême. A la rentrée des Cours et Tribunaux, nous l’avons dit. Il faut ensuite que nous puissions arriver à la table de discussion pour confronter les arguments et en tirer les conclusions nécessaires. Ce que je dois également dire par rapport à la Criet, quand j’affirme que l’Ordre des avocats a des constats précis de ce que ce n’est pas conforme à des principes qui guident notre législation, double degré de juridiction, juge et partie, en disant cela je ne dis pas, l’Ordre ne dit pas qu’il ne doit pas y avoir une répression des infractions en matière de blanchiment d’argent, en matière de lutte contre les transferts illégaux, en matière de terrorisme. L’ordre dit qu’il faut le faire dans le respect des textes. Et lorsque vous m’avez écouté récemment par rapport à ces éléments, j’ai retracé les paradoxes qui minent notre procédure aujourd’hui et cette tendance à créer des juridictions d’exception qui, pour moi, n’est pas conforme aux principes et résolutions de la Constitution, qui déstructurent entièrement notre système judiciaire. Ce sont des choses sur lesquelles nous allons discuter avec le gouvernement, l’Assemblée nationale. Il y a des orientations qu’on a prises qui ne sont pas aujourd’hui uniquement du fait de la Criet. Elles ont été prises depuis un bon bout de temps. Et il faut les ramener dans notre système. Ce sont des choses sur lesquelles il faut discuter. Tout le monde est à cheval sur la Criet mais elle n’est que la suite d’un ensemble de choses qui ont commencé depuis très longtemps.
Est-ce que pendant ce temps, bon nombre de citoyens ne seront pas condamnés devant cette Cour à de lourdes peines ? Est-ce que pendant ce temps des avocats ne se retrouveront pas devant cette Cour et se voir refuser la parole ? Est-ce qu’en cela vous ne pensez pas qu’il était opportun de diffuser le rapport pour mettre la pression ?
La question n’est pas celle de la diffusion du rapport mais la manière dont nous décidons à l’interne de veiller au respect des libertés. Et ça il faut discuter à l’interne pour savoir quelles sont les décisions que nous prenons. Il n’y pas de précipitation dans l’action. Il y a à avoir une action réfléchie, responsable. Si toutes les personnes sont capables de cesser toutes diligences pour prêter uniquement leur service à l’Ordre, là nous irons très vite. Mais il se fait que nous avons également nos diligences ordinaires. Il faudra y veiller parce que nous sommes à la disposition de nos justiciables.
On a senti depuis peu un certain nombre d’avocats vous mettre la pression pour que vous révéliez le contenu du rapport. Est-ce que toutes ces pressions n’amènent pas l’opinion à vous soupçonner d’être proche de votre collègue ministre de la justice ?
Je ne peux pas empêcher les soupçons. Et comme on dit lorsqu’on est en position de direction, il faut accepter les divergences de points de vue. Il faut accepter les insultes. Ce qu’il faut, c’est que les insultes ne soient pas des manipulations, que les pressions ne soient pas des manipulations. Ce qu’il faut, c’est garder l’objectivité. J’espère encore que je garde l’objectivité.
Pourquoi avoir cité nommément votre consœur Me Nadine Dossou alors que vous reprochez à vos confrères d’avoir diffusé un rapport dans des canaux qui ne sont pas ceux souhaités ?
Pour la simple raison qu’il faut rappeler les principes. Il y a un acte qui a été posé, qui n’est pas respectueux de nos règles, qui n’est pas acceptable dans le cadre de nos règles de gestion de l’Ordre. Il faut avoir le courage de le dire. Je ne jette de l’opprobre sur personne. Je dis simplement que l’acte qui a été posé n’est pas conforme. Et je dis très clairement que le document qui a été diffusé de cette manière, n’est pas un document officiel. Je m’en suis arrêté là. Ceci dit, je n’irai pas plus loin par rapport à tel ou tel avocat. Les questions de l’Ordre resteront dans l’Ordre. Ces questions seront réglées à l’interne.