Ancien Directeur technique du Masa et Directeur de l’Institut français de la Côte d’Ivoire, Zié Coulibaly a répondu à l’appel de Cotonou, pour le compte de la 14e édition du Fitheb. Il évoque dans cette interview les défis à relever par les acteurs de la chaîne pour un rayonnement du secteur.
Vous venez de prendre part aux échanges entre programmateurs et producteurs de festival. Qu’est-ce qu’on retient fondamentalement ?
Il y a deux ans nous avons émis les bases de cette discussion. Le constat est qu’on ne fait rien ensemble. Celui qui a son financement n’entend pas mettre une ligne pour permettre aux artistes d’aller jouer ailleurs. Il fait son festival et c’est tout. Alors que dans le budget de son festival, il peut prévoir prendre 4 ou 5 groupes pour aller à Lomé, Accra ou Abidjan. Tout le monde est dans la diffusion. On n’est pas dans ces genres de projets. Donc, à travers ces échanges nous sommes en train de mettre en place des mécanismes qui vont nous permettre de fonctionner, nous-mêmes en tant que structures, aux artistes également en tant qu’artistes.
Au cours des discussions, la problématique relative à la qualité des spectacles a été posée. Quelle est votre opinion sur la question ?
Que les programmateurs disent qu’on ne trouve pas de bons spectacles et que les producteurs de spectacles disent ce n’est pas notre faute que voulez-vous que je réponde. Moi je suis programmateur. Je cherche la qualité des spectacles pour plaire à mon public. Si l’artiste me dit ce n’est pas de sa faute parce qu’il n’a pas les moyens de produire, moi non plus je ne peux monter n’importe quoi à mon public. Je suis venu ici chercher des spectacles de qualité et il y en a. Indépendamment de la qualité technique et artistique, il y a beaucoup d’autres choses qu’un spectacle véhicule qui peuvent me plaire ou non. Et chaque spectacle a sa personnalité et sa ligne ’’ éditoriale’’ pour emprunter un vocable aux journalistes. Un spectacle peut ne pas plaire au Fitheb et être choisi par un autre festival.
Quels sont les goulots d’étranglement à cette symbiose dont vous rêvez entre les acteurs de la chaîne du théâtre.
Il y en a à tous les niveaux. Dans une profession, il y a des corps de métier. Par exemple, les artistes créent et jouent. Mais pour que le public voie leur production, il faut d’autres acteurs de la chaîne, chargés de prendre le produit et d’aller le montrer. Et pour qu’on en arrive là, il faut que le produit leur convienne. Ce qui nécessite une formation pour leur permettre de savoir comment aller prendre un produit et le montrer. Il y a aussi ceux qui ont des espaces et qui ont besoin de spectacles mais qui ne sont pas des artistes. Ainsi, pour moi il y a urgence. Il faut qu’on arrête de former que des comédiens et des metteurs en scène. Il faut qu’on forme aussi des gestionnaires de spectacles. Il y a suffisamment d’artistes aujourd’hui dans le monde entier. Ce qu’on veut, c’est qu’il y ait des gens pour gérer ces artistes-là. Aujourd’hui, les artistes eux-mêmes vont se convertir en gestionnaires de spectacles. Si tu es artiste et que tu laisses ton travail pour aller gérer, tu ne seras pas concentré et ça va se sentir sur scène. Donc, quand vous parlez de goulots d’étranglement, c’est qu’on s’étrangle soi-même en voulant tout faire. On me dira qu’on n’a pas les moyens. Quand on n’a pas les moyens, il faut avoir l’intelligence. Le Fitheb a commencé depuis 1991. Mais à chaque édition, on dit qu’on n’a pas les moyens. Les moyens ne sont finalement pas des choses qu’il faut attendre. Je vais vous donner l’exemple du Burkina Faso. Si vous connaissez la vitalité du théâtre là-bas, vous serez surpris. Mais l’État burkinabé ne donne 1F à personne. Au Burkina Faso la plupart créent. Au Bénin, certains créent. Pour moi, tant qu’on se dit qu’on n’a pas d’argent, on va se bloquer soi-même. Il faut inventer jusqu’à ce que l’argent vienne.
Vous avez suivi quelques spectacles. Lequel vous a le plus marqué ?
J’ai suivi 3 spectacles. Le ’’25 décembre’’ joué par les deux Béninoises m’a le plus impressionné. Il y a deux artistes qui savent qu’elles sont des artistes et qui savent que le public est venu pour les écouter. Quand elles jouent on entend tout. Et elles ne jouent pas des trucs faciles pour faire rire le public. Quand l’artiste croit qu’il va faire n’importe quoi pour faire rire, il va dans le décor. Or, ces deux comédiennes de la pièce ’’25 décembre’’ sont exceptionnelles. Elles ont fait un travail, et quand tu les écoutes tu entends tout le texte et le jeu va avec. À la limite, c’est quelque fois très poétique. Tu n’as même pas besoin de bien comprendre le sens de la pièce. Tu te laisses aller. J’aurais des spectacles à prendre que je prendrais celui-là.
Vous avez pris part à plusieurs rendez-vous du Fitheb. Si on vous demandait les forces et faiblesses de ce Festival.
Il y a de la qualité dans le Fitheb même si on ne voit pas tous les acteurs. Quand vous savez que les programmateurs seront là, les gens vont venir de partout, chacun doit aménager son programme pour être à chaque spectacle. C’est comme ça le Masa. Je pense aussi que le Fitheb a atteint un certain niveau, il ne faut pas qu’il recule. Avec les différentes difficultés on se retrouve en train de faire le Fitheb en fin d’année. Ça c’est un problème. Une grande manifestation doit être dans un calendrier. Qu’on sache que tous les mois de mars il y a le Fitheb. Si c’est après on ne peut plus le programmer. Mais si vous changez votre date, vous l’avez raté. La preuve, on n’est pas beaucoup à Cotonou.
Dites-nous ce qui nourrit en vous cet amour pour le théâtre ?
C’est la passion. Je suis enseignant à l’Institut national des arts d’Abidjan. Quand je rencontre les étudiants la première fois je leur dis qu’il y a deux choix fondamentaux dans la vie qu’il ne faut pas rater au risque d’être malheureux. Il y a le choix de ton travail et le choix de ton époux ou de ton épouse. Il faut que ton travail puisse te plaire parce que tu y passes le clair de ton temps. Ensuite, tu passes le reste de ton temps avec ta femme et tes enfants. Si elle ne te plaît pas parce que tu l’as prise pour faire plaisir à quelqu’un ou pour montrer aux gens que tu es fort, après tu es malheureux chez toi. Moi j’ai choisi à une période où choisir de faire le théâtre était une malédiction. J’ai commencé en 1975 et je suis là aujourd’hui et j’aime toujours le théâtre. Le théâtre m’a fait voyager dans presque tous les pays du monde. Le théâtre m’a permis d’être heureux. On peut avoir de l’argent et ne pas être heureux. Moi je ne suis pas riche, mais j’ose le dire, je suis heureux.