Vendredi 23 novembre, le président français, Emmanuel Macron, a reçu le rapport sur la restitution à l’Afrique des biens culturels qui ont été pillés depuis 200 ans. A l’origine de cette démarche, il y a le président béninois, Patrice Talon. Homme de vision et de culture, le chef de l’Etat béninois, en patriote convaincu, vient de remporter une victoire historique qui fera date. Lire ci-après l’interview accordée à Rfi par son ministre des affaires étrangères, Aurélien Agbénonci et Marie-Cécile Zinsou.
Rfi : Le rapport est remis le vendredi 23 novembre 2018 après-midi, mais on en connaît déjà les grandes lignes. Il préconise une modification du code du patrimoine français afin de permettre la restitution définitive des milliers de biens culturels pillés en Afrique. Quelle est votre réaction ?
Aurélien Agbénonci : Ma première réaction c’est que, d’abord, une promesse a été tenue. C’est qu’il y ait une évolution du droit positif français. Cela va dans le bon sens.
Voilà plus de deux ans que vous militez pour ces restitutions. Vous avez lancé cette campagne du temps de François Hollande. J’imagine que vous devez vivre cela comme une petite victoire, non ?
Je ne dirais pas une victoire, je dirais que c’est une bonne avancée. C’est une victoire qui est commune aux partenaires, aux deux partenaires que nous sommes. Et il faut saluer le courage du président Macron, qui, le 9 novembre 2017, a osé dire une chose que je n’ai pas oubliée, lorsqu’il disait qu’il n’y a pas de justification valable, durable et inconditionnelle, que le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans les collections privées des musées européens. Je crois qu’il faut saluer ce courage-là et la démarche constructive qu’il a adoptée. Vous savez que c’est lors de la visite du président Patrice Talon à l’Elysée, le 5 mars 2018, qu’il a annoncé la création de cette mission-là, confiée à Bénédicte Savoy et FelwineSarr. Je crois que c’est une bonne chose.
Sur la méthode, le rapport préconise une restitution d’Etat à Etat, c’est-à-dire un accord bilatéral de coopération culturelle entre l’Etat français et chaque Etat africain concerné.
Est-ce que vous ne craignez pas des discussions interminables qui pourraient noyer le poisson ?
Non, ce que je peux vous dire, c’est que nous avons déjà reçu ici, à Cotonou, le président du musée du quai Branly. Stéphane Martin s’est rendu ici, il a pu se rendre compte de ce que nous avons prévu comme développement muséal dans le cadre de notre grand programme touristique. Et donc, je pense que la tonicité des deux présidents va influencer le processus pour ce qui concerne les échanges d’Etat à Etat. En tout cas, je reste confiant.
« La restitution des biens, c’est une bonne nouvelle. Mais attention, il faut les conditions, les infrastructures pour les accueillir ! » dit votre compatriote Didier Houénoudé, qui enseigne l’histoire de l’art à l’université de Cotonou. « Il y a des risques de vol, dit-il, des risques de disparition, de négligence ! »
Ce n’est pas tout à fait ce que dit Didier Houénoudé, mais je comprends cet aspect de la question. C’est pour cela qu’avant même de saisir le ministre français des Affaires étrangères de l’époque [Jean-Marc Ayrault], nous nous sommes assurés, au niveau du Bénin, de faire ce que l’on appelle notre home-work, notre travail, notre devoir de maison. Notre devoir de maison consiste à créer les conditions idéales de réception, mais aussi de conservation et de gestion. Nous avons sollicité les plus grands cabinets qui, dans ce domaine-là, savent comment créer des musées, comment créer les conditions de conservation. Il se trouve, par hasard, que les meilleurs que nous ayons trouvés étaient français. Et lorsque vous voyez ce qui est prévu en termes de développement muséal au Bénin, je peux vous dire que nous ne pouvons qu’être rassurés. Alors, s’agissant de la sécurité, la négligence et la mauvaise gestion ne font plus partie – ne font pas partie – du mode opératoire du gouvernement auquel j’appartiens.
En cas de vol, il est important de disposer d’un inventaire photographique complet, afin de rechercher l’objet volé et de le retrouver dans les ventes aux enchères. Alors, il y a dix-huit mois, vous avez dit à ce même micro à RFI que cet inventaire était en cours. Où est-ce que nous en sommes aujourd’hui ?
Nous avons beau essayer des recensements par la bonne volonté de certains acteurs, cela ne pourra jamais remplacer un inventaire qui sera décidé d’un commun accord. Et je pense que, dans le cadre de la commission mixte entre la France et le Bénin, nous allons déclencher un vrai inventaire. C’est une chose que nous prenons très au sérieux.
Selon le directeur du musée d’Abomey, il y a eu quelque 300 vols dans son musée ces dernières années. Alors, concrètement, est-ce que le musée d’Abomey va continuer de fonctionner avec seulement sept gardiens ?
Oui, j’ai déjà entendu cela. Vous avez bien dit tout à l’heure « ces dernières années ». Il ne vous a pas dit que cela s’est passé il y a quelques semaines ou il y a quelques mois. Des dispositions sont prises. Nous avons un comité de haut niveau qui est mis en place, présidé par un ancien directeur général adjoint de l’Unesco qui est Béninois, Nouréini Tidjani-Serpos. Donc, je peux vous dire que le musée d’Abomey tel que vous le voyez aujourd’hui va changer. Parce qu’il est prévu de bâtir un nouveau musée et c’est une priorité pour nous, dans cette démarche de restitution de biens et de coopération muséale.
Source: Rfi
« Un tournant majeur », selon Marie-Cécile Zinsou
Mari-Cécile Zinsou
Selon Marie-Cécile Zinsou, l’annonce de Macron est historique
Rfi: le président Emmanuel Macron a annoncé, lors de son discours à Ouagadougou, que d’ici cinq ans – donc d’ici probablement à la fin de son quinquennat – toutes les œuvres d’art qui appartiennent à l’Afrique et qui dorment dans des collections françaises – que ce soit dans des musées ou chez des particuliers – seront restituées au continent africain. Quelle est votre première réaction, après cette annonce ?
Marie-Cécile Zinsou: Je pense que cette annonce est historique parce que c’est le président de la République qui le dit publiquement, qui le dit dans son premier grand discours africain et qui le dit à la face du monde. Ce n’est pas un propos rapporté. Cela vient vraiment de lui. On était clair sur le fait qu’il questionnait la colonisation et qu’il avait déjà dit qu’il considérait que c’était un crime contre l’humanité. Il l’a répété hier que c’était un crime incontestable. Du coup, dire aujourd’hui – à partir de ce crime incontestable – que des collections ont été volées en Afrique et qu’elles vont être rapportées parce qu’on peut questionner ce patrimoine dans les collections françaises, cela change la donne.
Pourquoi c’est important ?
Parce qu’aujourd’hui une grande partie du patrimoine des différents pays africains se trouve dans des musées, à Paris ou dans la province française, ce qui est formidable pour les Parisiens et les Français mais ce qui est un tout petit peu gênant quand on veut expliquer, à la jeune génération, ce qui s’est passé en Afrique et quelle est notre histoire.
Sans musée et sans patrimoine, c’est toujours beaucoup plus compliqué d’avoir accès à son histoire et c’est vrai que notre histoire a tendance à disparaître et donc, aujourd’hui, avec cette déclaration, le président nous ouvre des possibles et des avenirs qui sont nettement plus intéressants que le passé qu’on a pu avoir en commun.
Quand on a fait la demande de restitution, en juillet 2016, on nous a répondu, en décembre 2016, « Non, merci ». C’est bien, mais c’est un peu court.
C’est tout ce que l’on vous avait répondu ?
On nous a répondu « Non, merci. Ces objets sont depuis plus de cent ans dans les collections nationales françaises, donc on ne peut plus les sortir. C’est terminé. Au revoir ». Donc, en gros, « passez votre chemin ». Là, on revient au respect, on revient à une façon de regarder l’Afrique les yeux dans les yeux et pas avec un regard supérieur qui descend sur l’Afrique.
Cette réponse qu’on vous avait faite et qui était de dire « cela fait plus de cent ans que ces œuvres font partie des collections françaises », c’est un écueil auquel le président Emmanuel Macron va se retrouver confronté, c’est-à-dire qu’au-delà de cette annone, il ne suffit pas de claquer des doigts, de le vouloir pour que les œuvres sortent des musées et retournent dans leurs collections originelles, en Afrique.
Quels vont être les écueils, justement, que va rencontrer le président Macron pour faire sortir ces œuvres et pour les rendre au continent ?
Evidemment, entre la déclaration de Ouagadougou – mardi – et aujourd’hui, les œuvres ne sont pas en caisse et ne sont pas en train de retourner vers l’Afrique. C’est évident. Il y a cette question de l’inaliénabilité du patrimoine français et, par conséquent, le patrimoine qui est devenu français ne peut plus sortir normalement des collections nationales. Il faut donc imaginer une loi d’exception pour dire que, devant la situation très complexe qu’était la colonisation, on peut la questionner et une partie des objets peuvent être, du coup, sortis du patrimoine français.
Ce n’est évidemment pas quelque chose qui va se faire en un instant. Je pense que c’est pour cela que le président Macron a précisé qu’il pouvait y avoir des retours temporaires ou permanents. Je pense en effet que l’usage du mot « temporaire » n’était pas de dire qu’on va tout envoyer et tout récupérer. C’était plutôt de dire que pour l’instant, on va pouvoir faire des prêts et c’est comme cela qu’on va pouvoir aller très vite. Je pense que le prêt temporaire c’est pour pouvoir permettre, entre-temps, de légiférer et de faire une loi d’exception pour les objets de la colonisation.
Evidemment, le président Macron ne peut pas décider seul mais il se trouve qu’il peut proposer de légiférer sur le sujet. Objectivement, il a une majorité politique. On peut donc tout à fait envisager d’avoir une loi d’exception sur les questions de patrimoine et de colonisation.
On oppose souvent, au retour des œuvres en Afrique, une question qui est celle de la conservation. Un argument qui est de dire que la plupart des établissements africains n’ont pas les moyens de conserver les œuvres d’art telles qu’elles devraient être conservées pour ne pas être dégradées par éventuellement le temps, par les conditions de conservation. Quelle est votre position sur cet argument ?
C’est très simple. La condescendance et le mépris ne font pas partie des choses qui m’intéressent dans la vie. Par conséquent, les gens qui pensent qu’on conserve mal notre patrimoine et ce genre de choses, j’ai envie de leur répondre « Passez votre chemin. Ce n’est pas notre problème. Vous n’avez pas à nous dire, en Afrique, comment on fait les choses ».
De la même manière que le Bénin ne se permet absolument pas de donner des conseils aux conservateurs de musées français pour leur indiquer ce qu’ils doivent faire dans leurs jobs, eh bien pareillement, les conservateurs français ou les journalistes culturels français n’ont pas à nous dire comment on va entretenir nos collections. Il faut juste accepter que ce patrimoine revienne là d’où il vient, là où il a été spolié, volé. On va l’entretenir et on va se gérer. Il n’y a aucun problème. On est grand, en fait. On n’a plus besoin de recevoir des conseils. On ne dépend plus de la France.
Source: Rfi
oeuvre 26 oeuvre d’art seront restitués au Bénin
La France va rendre « sans tarder » 26 œuvres d’art au Bénin
La décision, annoncée par l’Elysée, intervient suite à un rapport préconisant la restitution des œuvres arrivées en France pendant la colonisation.
Emmanuel Macron a décidé de restituer « sans tarder » 26 œuvres réclamées par les autorités du Bénin, prises de guerre de l’armée française en 1892, a annoncé vendredi 23 novembre l’Elysée, après la remise d’un rapport sur la restitution par la France d’œuvres d’art africain.Le président de la République a reçu dans l’après-midi l’historienne française Bénédicte Savoy, du Collège de France, et l’écrivain sénégalais Felwine Sarr, de l’université de Saint-Louis, au Sénégal, auteurs d’un rapport sur ce sujet, en présence des ministres de la culture, Franck Riester, et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Le chef de l’Etat, qui s’était engagé l’an dernier à étudier ces restitutions, propose aussi de « réunir à Paris au premier trimestre 2019 l’ensemble des partenaires africains et européens » pour définir le cadre d’une « politique d’échanges » d’œuvres d’art. Le Bénin, qui avait contribué à lancer le dossier en réclamant la restitution des statues royales d’Abomey, actuellement propriété du musée du quai Branly, s’était réjoui dès le début de la semaine que la France « soit allée au bout du processus ».Pour l’Elysée, la restitution des œuvres béninoises ne doit pas constituer un cas isolé ni purement symbolique. Le chef de l’Etat « souhaite que toutes les formes possibles de circulation de ces œuvres soient considérées : restitutions, mais aussi expositions, échanges, prêts, dépôts, coopérations », indique l’Elysée.Le rapport qui a été remis au président de la République propose une évolution de la législation afin de restituer aux Etats demandeurs des milliers d’œuvres d’art africain arrivées pendant la colonisation, qui se trouvent dans les musées français.
70 000 objets d’origine africaine à Paris
Quelque 5 000 objets provenant du Bénin se trouveraient en France, selon les autorités béninoises, qui ont fait une demande de restitution d’une partie de ce patrimoine en juillet 2016.Lors d’un discours à Ouagadougou en novembre 2017, Emmanuel Macron avait créé la surprise en souhaitant « que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain ». L’enjeu est immense – quelque 90 % des œuvres d’art africaines se trouveraient actuellement en Europe – et éminemment sensible tant la question du passé colonial reste délicate, notamment en France.A l’heure actuelle, quelque 70 000 objets d’origine africaine se trouvent au musée du quai Branly à Paris ; il y en a autant au British Museum, à Londres, et dans des proportions identiques dans les musées de Berlin, selon Bénédicte Savoy.