Malgré les nombreuses contraintes de son agenda particulièrement chargé, le ministre des Affaires étrangères et de la coopération, Aurélien Agbénonci a réussi à trouver un créneau pour se rendre au siège de la rédaction de l’Evénement précis. Invité par le journal à passer « Sous l’arbre à palabres », sa rubrique phare, le chef de la diplomatie béninoise a retenu la date du jeudi 22 novembre pour se prêter à l’exercice. A la surprise générale des journalistes qui craignaient un report de dernière minute, à cause justement de l’agenda serré du ministre. Arrivé dans les locaux du journal, sis à Mènontin à la tête d’une forte délégation des membres de son cabinet, Aurélien Agbénonci a passé en revue, sans langue de bois, les compartiments de la diplomatie dont il tient les rênes depuis avril 2016. Des réformes actionnées par le président Talon pour redynamiser la carte diplomatique au retour des biens culturels, cultuels et historiques réclamés par le Bénin à la France, en passant par la mobilisation des ressources, la rareté des visites de chef d’Etats étrangers au Bénin, la promotion des cadres béninois à l’international ou encore les relations avec la diaspora béninoise, toutes les grandes préoccupations ont été abordées. « Je fais le serment de servir cette république en toute probité », dira l’homme en réponse aux questions des journalistes sur son dynamisme et son engagement manifeste à faire du Bénin, une voix qui compte dans le concert des nations. Troisième ministre du régime Talon à passer dans cette rubrique après le ministre d’Etat Abdoulaye Bio Tchané et l’ex ministre de l’Agriculture Delphin Koudandé, Aurélien Agbénonci a tenu en haleine, pendant près de deux heures, les journalistes fortement mobilisés. Lisez-plutôt…
Et si on en parlait
La diplomatie béninoise depuis 2016 a pris un nouveau virage. Quelle en sont les caractéristiques et les grandes programmations ?
C’était déjà dans le programme du candidat devenu président que les grandes orientations de notre diplomatie ont été énoncées. Nous avons décidé que la diplomatie de ce pays sera un instrument de mobilisation de ressources et aussi un outil de rayonnement pour notre pays. Vous ne pouvez pas être attractif si vous ne rayonnez pas. Vous ne pouvez pas mobiliser des ressources pour votre développement national si vous ne présentez pas votre pays sous les atouts les plus positifs. C’est ce qui m’a été assigné comme mission et c’est ce que j’essaye de faire. Alors, la diplomatie béninoise c’est d’abord pour la défense de nos intérêts. C’est ça le plus important, défendre les intérêts, et nous devons nous inscrire dans les alliances les plus porteuses. Nous essayons de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour anticiper et pour être dans les dynamiques qui sont porteuses. C’est ça la diplomatie. Lorsqu’on parle de diplomatie économique, c’est tout ce qui peut nous permettre de mobiliser des ressources et servir les entreprises de développement.
Quelle est la différence entre le régime précédent et celui de Talon ?
Ce qui a été fait était grand, mais il y a certains positionnements qui ne sont pas porteurs. Il y a des expressions qui peuvent être pernicieuses, qui peuvent entrainer un pays dans des conflits qui ne le concernent pas. Il y a aussi des alliances qui n’ont aucun intérêt. Nous ne faisons pas des alliances pour des raisons de prestige. Nous ne participons pas à des initiatives qui n’ont pas d’impacts positifs pour le développement régional. C’est ça la grande différence, et nous ne nous engageons pas sans comprendre de manière très claire les tenants et les aboutissants d’une initiative. Nous avons retenu comme principe, depuis que j’assure les charges publiques, de regarder de l’avant. Si tout allait bien, le choix qui était proposé aux citoyens béninois qui n’était pas celui du candidat Patrice Talon aurait prévalu. Si nous avons décidé de nous engager, si nous avons décidé d’aller à la conquête du pouvoir d’Etat, c’est parce que nous nous sommes rendus compte que notre pays, à bien des égards, n’était pas respecté. Et je me suis fixé comme ligne de conduite de ne pas faire le bilan de ce que j’ai trouvé. Ça fait bientôt trois ans que nous sommes aux affaires et ce qui m’intéresse, c’est ce qui est fait et ce qui reste à faire. Donc, souffrez que nous ne transformions cette tribune en une tribune où on essaie de distribuer les points de vue des uns et des autres. Tout un chacun sait ici que ce n’est pas la même chose et vous êtes des observateurs bien informés et bien avertis pour faire la différence.
Quelle est la nouvelle carte diplomatique que vous avez à votre disposition actuellement ?
Lorsque je suis arrivé, nous étions à une quarantaine d’ambassades. Je fais de l’approximation parce qu’il y avait des ambassades qui ne fonctionnaient plus. Je prends l’exemple de la Lybie qui continuait par apparaitre sur notre carte diplomatique. La première mission qui a été la mienne a été d’évaluer avec mon équipe, chacune des missions, de voir en réalité, ce qui était important, ce qui en réalité pouvait servir des intérêts nationaux, ce qui, et c’est le plus important, était en consonance avec la vision de notre gouvernement. A partir de ce constat-là, j’ai proposé au président de la République et il l’a soumis au Conseil des ministres, un premier réaménagement de notre carte diplomatique. La carte diplomatique d’un pays, ce n’est pas une carte qui est figée. Cet outil en matière de diplomatie est un outil vivant, un instrument vivant. Vous remarquerez que certains pays attirent à un moment donné. Il faut être là où les choses se jouent. Je donne un exemple très simple : le Bénin ne faisait pas partie du G20 Afrique. Il a fallu faire du travail, il a fallu mobiliser, il a fallu améliorer les fondamentaux de l’économie, il a fallu montrer que nous pouvons être de ce club-là pour que les Allemands qui président le G20 en ce moment et qui vont passer la main aux Japonais, disent : « Ah oui, on peut évaluer le Bénin ! » Cette évaluation a été faite en lien avec les institutions de Bretton Woods pour que nous soyons désormais un des pays membres du G20 Afrique. Vous voyez, c’est quelque chose qui est vivant, qui est dynamique. Je dis souvent à certains de vos confrères qui ont parfois des affirmations péremptoires, que le temps de la diplomatie, n’est pas le temps des réseaux sociaux, ce n’est pas le temps non plus des analystes, des polémistes, mais c’est un temps qui répond aux intérêts, c’est un temps qui relève beaucoup plus d’une analyse mesurée, posée, et qui soupèse les avantages et les inconvénients pour nous permettre de faire le choix le plus judicieux pour notre pays. C’est un peu ça notre carte diplomatique. Donc nous en sommes arrivés aujourd’hui à trente-six ambassades et des missions consulaires. Dans notre carte diplomatique, nous avons des ambassades, des missions permanentes auprès des Nations unies, une à Genève, une à New York et des consulats généraux. A cela s’ajoute ce qu’on appelle le réseau des consulats honoraires. Ils ne sont pas rémunérés, ils n’ont pas une charge budgétaire, mais c’est des personnes qui ont l’aptitude et qui ont aussi le désir de servir nos intérêts à l’étranger, de protéger nos citoyens à l’étranger, de les accompagner, et ces personnes peuvent ne pas être béninoises. Donc, vous avez des consuls honoraires du Bénin qui sont Béninois. C’est le cas à Brazzaville ou à Pointe-Noire. Et vous avez des consuls qui ne sont pas Béninois. C’est le cas en Norvège, c’est le cas par exemple en Suède. Donc, il y a plusieurs configurations et nous essayons d’utiliser chacune des modalités d’une carte diplomatique pour servir les intérêts de notre pays.
On a assisté à votre arrivée, à la fermeture de certaines ambassades puis après, à la réouverture en douce de certaines, pourquoi ce rétropédalage ?
Le Ministre Aurelien Agbenonci dans sous l’arbre à palabre ce jeudi 22 novembre 2018.
Il ne s’agit pas de rétropédalage. Il n’y a pas eu de réouverture en douce. Bien évidemment, il y a eu des agitations à certains moments parce que notre pays a cette particularité que tout le monde croit savoir tout. Moi, je ne sais pas tout. Mais dans le domaine qui est le mien, j’essaie de m’informer pour pouvoir rendre le service aux citoyens et mériter la confiance du président de la République ainsi que celle de mes concitoyens. Une carte diplomatique, c’est un corps vivant. Lorsque les choses bougent, il faut bouger. Un ministre des Affaires étrangères regarde. Nous observons le monde. Lorsqu’on observe certaines réalités, on est obligé de prendre la décision de fermer et un peu plus tard de rouvrir. L’autre raison, c’est que ce gouvernement a décidé de ne pas vivre au-dessus de ses moyens. Nous avons réduit le train de vie de l’Etat de manière drastique. Il fut un temps où, pour une interview chez vous, je serais venu avec 5 voitures, chacun de mes directeurs sanglé à l’arrière de sa voiture. Pour arriver ici nous avons fait du covoiturage. Nous sommes plusieurs, mais nous sommes venus avec deux voitures. Nous avons réduit le train de vie de l’Etat parce que, quand nous sommes arrivés, vous vous souvenez, les caisses de l’Etat étaient exsangues. Il y a eu une gabegie qui a caractérisé la fin du gouvernement qui nous a précédés. C’est un syndrome que l’on connait dans les pays pauvres. Lorsqu’on veut partir, on grappille le maximum. Les Béninois ont vu les images des Zémidjans à qui on distribuait de l’argent. Ce n’est pas un secret. On sait aussi que pour le financement de la campagne, on a été chercher là où on n’est pas censé prendre de l’argent. Je ne veux pas faire du passé mais, de temps en temps, on doit faire des références. Donc, nous sommes venus et le président a dit : « Voilà, vous les ministres, il y a une fonction qu’on appelle attaché de cabinet : aboli ! Vous aviez 4 voitures à votre disposition, parfois 5. Désormais c’est deux, une qui vous transporte et une autre qui fait le travail de liaison. Vous aviez des cellules de communication. On va s’organiser autrement, on va mutualiser les moyens. On n’a rien contre la communication, on n’a rien contre les journalistes, mais chaque ministère ne peut pas s’amuser à avoir une grosse cellule de communication». On les a abolies. » On ne l’a pas fait de gaité de cœur. Il ne faut pas vivre au-dessus de ses moyens. Je signale souvent aux uns et aux autres le fait que l’année dernière, pour aller à l’Assemblée générale des Nations unies, nous avons battu le record. Pour la première fois depuis 1960 que nous sommes indépendants, je suis allé représenter le président de la République accompagné d’un seul directeur, alors que les délégations, c’est d’habitude 10, 20, 30 personnes. Ça ne sert à rien. Donc, il fallait fermer les ambassades parce qu’on n’avait pas les moyens et nous avons trouvé des situations où des diplomates n’étaient pas payés. Vous prenez des filles et des fils de ce pays, vous les envoyez en poste et le salaire est payé 3 mois, 4 mois, et même 6 mois après. Ce n’est pas responsable de la part de l’Etat. Après on se plaint, on dit que dans certaines ambassades ils ont piqué dans les recettes consulaires. Mais ils sont pères de famille, ils ont des enfants qui vont à l’école et on n’envoie pas de salaire parce que la gestion n’était pas rigoureuse. Nous avons beaucoup de raisons de réduire le train de vie, y compris au ministère des Affaires étrangères, et de fermer des ambassades parce qu’il n’y aurait pas eu mort d’homme en les fermant. Nous avons vécu comme ça pendant plus d’un an, presque 18 mois, sinon 24, et certaines dynamiques se sont imposées. Certains pays ont fait des ordres de coopération qui étaient plus intéressants. Nous avons réfléchi, et nous sommes allés vers ces pays. Entre temps, quand nous avons déroulé notre Programme d’actions, nous avons essayé de nous inspirer de ce qui a pu se passer, mais surtout de l’offre de coopération. C’est le plus important. On me dit qu’on a fait un rétropédalage en rouvrant Cuba. Nous avons redéfini notre programme en matière de santé publique. Et nos ambitions touristiques sont de telle nature qu’une ouverture vers cette partie du monde, l’Amérique latine, était intéressante et pouvait être soutenue par une coopération revue avec Cuba. J’ai eu l’occasion de rencontrer un envoyé spécial du ministre cubain des Affaires étrangères. Nous avons discuté et je me suis entretenu pendant presqu’une heure avec mon collègue de Cuba et nous sommes tombés d’accord de proposer à nos chefs d’Etat la réouverture de l’ambassade, parce que lorsque nous avons fermé, ils ont aussi fermé. Nous avons décidé d’ouvrir notre ambassade à La Havane et l’ancien ministre Cyr Koty a été nommé ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire. Il a présenté les copies figurées de ses lettres de créance et nous sommes dans une dynamique qui est porteuse. Il y a des endroits où nous avons fermé mais n’avons pas rouvert. Nous n’avions pas de mission commerciale avant. Cela n’existait pas. Nous avons créé trois missions commerciales pour voir un peu comment ça fonctionne, pour voir ce que ça va nous rapporter. Parce que ce sont les ressources du contribuable qui permettent de payer les diplomates à l’étranger. Nous avons ouvert une mission commerciale en Arabie Saoudite. Nous avons une mission commerciale à Shenzhen en Chine, parce que le commerce avec la Chine ne se fait pas seulement à Beijing, il se fait surtout dans la province du Guangdong et Shenzhen étant une ville stratégique, nous avons ouvert une mission commerciale là-bas. D’ailleurs, le bureau nous a été gracieusement offert par cette province. Ils ont saisi cette opportunité à l’issue de la visite que le président y a effectuée au mois de septembre 2016. Nous avons aussi une mission commerciale à Bruxelles pour capter un peu ce qu’on peut faire dans l’espace Union européenne.
Rationnaliser les dépenses alors que des travaux sont engagés au niveau des chancelleries?
Est-ce que vous accepteriez que l’on vous envoie dans un bâtiment où votre vie est en danger ? Lorsque je vais dans une ambassade qui a reçu l’avertissement de l’administration municipale, et je parle de New-York, qui dit : « N’eût été votre statut diplomatique, ce bâtiment aurait été évacué parce qu’il est impropre à la vie humaine, à l’hébergement d’êtres humains, au travail », nous décidons de déménager notre mission permanente de ce bâtiment-là, pour aller dans un autre bâtiment qui répond aux normes et standards de sécurité. Lorsqu’à Paris, lors de ma première mission d’inspection, je rentre dans l’ambassade, je monte au 3e étage, je rencontre un officier supérieur qui aujourd’hui est l’un des chefs d’état-major d’un des corps de notre armée, qui était attaché à la Défense, et que son bureau coule et qu’il y a une bassine qui recueille l’eau, le Béninois que je suis n’est pas fier. C’est une insulte à la République. C’est un manque de respect pour un officier supérieur de notre pays et c’est une dégradation de notre dignité. J’ai un souci très important : la dignité de mon pays, moi je ne la marchande pas. J’ai fait ce rapport. Immédiatement j’ai informé le président de la République qui a eu les mêmes réactions et nous avons mis les ressources à disposition immédiatement pour réfectionner partiellement, et ensuite intégralement, l’ambassade à Paris. C’est un peu cela. Parfois c’est la sécurité qui nous y oblige, parfois c’est les économies. Il vaut mieux acquérir, comme nous l’avons fait à Rome, une résidence, que de payer des loyers dont la somme, au bout de 18 ou 24 mois, équivaut au prix d’achat d’une résidence. Une diplomatie, c’est aussi quelque chose qu’il faut conduire en étant futé, et c’est ce que nous essayons de faire.
Retour du patrimoine béninois en France. Où en sommes-nous ?
Le président Emmanuel Macron a annoncé, après son discours du 5 novembre 2017 dans lequel il avait affirmé son intention d’être celui qui ferait les restitutions partielles ou définitives de nos biens culturels, qu’il commanditerait un rapport à un groupe d’experts, Madame Bénédicte Savoy et Monsieur Felwine Sarr, qui pourraient lui dire comment cette décision annoncée en novembre 2017 à l’université de Ouagadougou, pourrait être mise en œuvre. C’est au mois d’août 2016 que j’ai écrit à mon homologue français (à l’époque c’était l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault qui était le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères) pour lui dire que j’estime que les biens qui ont été soustraits frauduleusement de notre patrimoine, les biens qui ont été pris pendant des razzias, les biens qui ont été achetés pour une bouchée de pain et qui ont été emportés, les biens qui ont été parfois saisis par le clergé sous-couvert de la conversion, qui étaient à la fois dans des collections publiques et des collections privées devraient être restitués, selon une procédure qui restait à définir. Je ne suis pas le premier responsable qu’on voit, il faut rendre justice à d’autres personnes qui s’étaient mobilisées avant. Vous avez quelqu’un comme le professeur Jean Roger Ahoyo qui a travaillé avec des associations comme le CRAN et bien d’autres, pour mettre sur la table cette réalité-là. Mais la différence que nous, gouvernement, nous apportons, c’est que nous voulons que ce soit dans un esprit de coopération, dans un esprit de partenariat. C’est pourquoi le président Patrice Talon a lu l’expression qui est désormais consacrée, d’«une coopération muséale et patrimoniale ». Nous avons, bien sûr, applaudi la déclaration du président Macron à Ouagadougou et nous avons doublement applaudi, lorsqu’il a annoncé à l’Elysée, le 5 mars 2018 qu’il demanderait à Madame Bénédicte Savoy qui connaît bien le Bénin, et à Monsieur Felwine Sarr, de lui proposer un rapport. Lorsque j’ai été interrogé par Christophe Boisbouvier sur Rfi, j’ai dit ce qui suit : « D’abord, nous saluons le fait que la promesse qui a été faite de demander une étude ait été tenue. Le rapport Savoy-Sarr existe. Je ne l’ai pas encore, donc je ne peux pas le juger. Il faut être rigoureux mais je sais, à en croire les extraits dont s’est fait l’écho une certaine presse, qu’il recommande une restitution définitive. Nous, nous avions une position de coopération un peu plus modérée. Les faits historiques qui ont conduit au déplacement de ces biens-là font que c’est une histoire qui nous appartient à nous tous. Le gouvernement de Patrice Talon n’est pas dans la revendication pour la revendication.
Nous sommes un gouvernement qui privilégie la démarche de coopération. Au mois de décembre 2017, lorsque le président de la République a rencontré la dernière fois officiellement le président Emmanuel Macron, ils sont tombés en accord qu’une commission mixte puisse travailler sur le sujet. C’est la première étape. La deuxième est celle que j’ai mentionnée à l’Élysée. Et entre temps nous, au niveau du Bénin, nous avons fait ce qu’on appelle notre devoir de maison. Notre devoir de maison, c’est de créer le cadre institutionnel qui permet d’avancer sur ce chantier-là. Le président a donc créé par décret une commission qui est présidée par le professeur Nouréni Tidjani Serpos qui n’est pas un ignorant dans ce domaine et qui comprend aussi quelqu’un comme Monsieur Alain Godonou, ancien directeur de l’Ecole du patrimoine africain à Porto-Novo. ll y a aussi une sommité comme celui qui a été un peu comme le secrétaire d’Etat en charge de la Culture au Vatican, Monseigneur Barthélémy Adoukonou et bien d’autres, le professeur Adandé. Ils sont nombreux, qui ont été sélectionnés et qui sont membres d’une commission qui travaille pour la coopération patrimoniale et le retour de nos biens. Nous avons informé la partie française. Donc c’est ce groupe qui est conjointement supervisé par mon éminent collègue et ami, le ministre de la Culture Oswald Homéky et moi-même. C’est une commission qui a une double supervision ou une supervision bipartite. Ce groupe-là est au travail et donc ayant fait cela, nous attendions que ce rapport soit publié pour pouvoir tirer un certain nombre de conséquences et nous savons déjà ce que nous devons faire. Une des choses que nous avons envie de faire, c’est créer un espace d’échanges autour de ce rapport. Un colloque international qui va réunir les sachants, des personnes qui savent de quoi elles parlent, pour voir comment les propositions qui sont faites dans ce rapport pourraient être exploitées et nourrir l’action de coopération que nous avons avec la France. Mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un rapport commandité par le président français et qui doit lui permettre à lui, Emmanuel Macron, de prendre des décisions. Mais dans la mesure où nous sommes tombés d’accord pour travailler ensemble sur ce concept, nous sommes persuadés que c’est ensemble que nous allons décliner cette affaire pour ce qui concerne le Bénin. Alors, la dernière chose que je vais dire sur ce plan, c’est que notre pays a décidé de répondre de manière concrète aux critiques qui ont été soulevées ici et là, et que Monsieur Boisbouvier n’a pas manqué d’évoquer en disant : « mais est-ce que vous pensez, si vous recevez tous ces objets, qu’il n’y aura pas d’incendie ou de vol surtout ? » Je lui ai dit que depuis que nous sommes là, la sécurité des Béninois d’une manière générale a été améliorée. Et, s’agissant plus particulièrement de nos biens culturels, que ce soit au musée de l’épopée des rois et de l’épopée des amazones d’Abomey qui va être construit, mais aussi au musée qui sera construit à Ouidah, nous avons prévu des unités spécialisées pour l’entretien et la restauration de ces biens-là. Donc nous créons les conditions idoines dans tous les musées, parce qu’il y aura un musée des arts Vodoun à Porto-Novo et il y aura le musée Toussaint Louverture à Allada. Et c’est plusieurs milliards qui ont déjà été mis à disposition, qui ont déjà été mis de côté pour pouvoir réaliser ces œuvres-là et il est clair que nous n’acceptons plus ces critiques disant : « c’est vrai que c’est à vous, mais est-ce que vous avez les moyens de les garder ?» Nous ne sommes pas dans l’affrontement. Nous sommes vraiment dans une démarche constructive et nous avons l’écho positif à ce combat. Et lorsqu’on m’a demandé aujourd’hui si c’était une victoire que les deux experts aient recommandé la restitution pure et simple, j’ai dit que je ne parlerai pas de victoire parce que quand on est en coopération avec quelqu’un, on n’a pas besoin d’avoir une victoire sur lui. C’est une avancée.
Vous organisez régulièrement des rencontres périodiques avec le corps diplomatique. Quel est le but que vous recherchez à travers ces rencontres ?
Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai écouté mes clients. Mes clients sont les ambassadeurs, les consuls, ce sont les représentants des organisations internationales qui sont présentes dans notre pays. Je les ai écoutés pour leur demander : « comment puis-je mieux vous servir ? » Ils m’ont répondu : « nous, on est là pour vous aider. On travaille avec vous. Quand il n’y a pas des programmes ou des choses avec vous, on ne sait pas dans quelle direction vous allez. On ne sait pas ce qui se passe. C’est ce qui se passait avec les anciens gouvernements. » Donc, l’ancienne gouvernance n’avait pas utilisé un outil de communication. Lorsqu’on a des diplomates qui sont accrédités dans un pays, il faut leur parler, il faut leur dire où on veut aller et où on ne veut pas aller. Et lorsqu’on rencontre par exemple le roi Salmane, il faut revenir leur dire pourquoi on a vu le roi Salmane. Quand moi je vais à Moscou et que je vais rencontrer Lavrov, il faut que je puisse leur expliquer ; ou bien, quand le président va en Chine, il faut leur dire pourquoi cela a été fait. Donc pour ce faire, j’ai mis deux outils. D’ailleurs, avec mes équipes nous avons pensé au concept qui était important pour nous. Nous avons instauré ce qu’on appelle l’ouverture et la clôture de l’année diplomatique. Ce sont des outils et des instruments de communication. Nous ouvrons l’année, l’espace dans lequel les choses doivent se passer. C’est-à-dire, nous devons être actifs et eux et nous. Et la veille des vacances, nous clôturons. C’est un espace qui dure trois mois maximum, au cours desquels il ne se passe pas grand-chose. Ça correspond à la période estivale à l’extérieur. Maintenant, les rencontres bimensuelles sont une rencontre par laquelle nous venons leur dire ce que nous faisons. Nous venons leur dire quelles sont nos orientations et quels sont nos choix. Nous venons aussi les informer des progrès que nous faisons en matière de mise en œuvre du programme d’actions du gouvernement, les progrès que nous faisons dans un agenda qui est important pour nous, l’intégration africaine, le travail qui est en train de se faire au niveau de l’Union africaine, mais aussi certains positionnements sur le plan international. Et nous l’exécutons aussi. C’est d’abord des rencontres d’information, d’échanges de bons procédés. C’est des rencontres par lesquelles, nous rendons capable le diplomate accrédité chez nous de donner la version officielle de ce qui se passe chez nous. Sinon, ils vont regarder dans deux ou trois petits canards et puis écrire des choses. C’est pour mieux orienter leurs fiches. C’est pour leur dire notre vérité. C’est pour leur dire ce que les Béninois font désormais de leur interaction, du rapport des Béninois avec l’étranger.
Vous avez déjà effectué combien de missions depuis votre prise de fonction ?
Difficile de le dire. Je ne peux pas vous donner de chiffre, mais c’est énorme. Je ne me déplace que lorsque cela est strictement nécessaire. Je ne me déplace que lorsque les intérêts de mon pays sont en jeu. Il y a beaucoup de rencontres pour lesquelles nous ne nous déplaçons pas. Et ce qu’il y a de nouveau dans notre diplomatie, c’est de responsabiliser l’ambassadeur qui est sur place. Pourquoi voulez-vous par exemple que pour une session ordinaire de l’Organisation de la coopération islamique, je me déplace ou que j’envoie un directeur, alors que j’ai un ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire qui a tous les pouvoirs ? Pourquoi voulez-vous que sur un forum somme toute normal qui a lieu à Paris, je ne donne pas des responsabilités à l’ambassadeur d’y aller ou une réunion importante à Genève, je ne demande pas à notre ambassadeur de me représenter ? On ne peut pas se déplacer tout le temps. Mais malheureusement le monde est aujourd’hui un monde de compétition. Il faut être là où ça se passe. Ce qui explique que le ministre des Affaires étrangères se déplace souvent.
D’aucuns estiment que vous êtes difficile d’accès. Des députés par exemple. Est-ce que votre place est entre deux avions ?
C’est faux. Les députés m’ont félicité pour mon accès facile. Je crois que ce que me reproche même mon équipe, c’est d’accepter trop de rendez-vous externes. Mais pourquoi j’accepte les rendez-vous ? Ce pouvoir-là, il appartient aux citoyens. C’est un pouvoir de la nation. Il faut accepter de parler aux citoyens. Evidemment, on ne peut pas passer sa vie à parler et à parler, et à recevoir tous azimuts.
Des ambassadeurs disent que vous avez une manière d’accélérer le traitement des relations diplomatiques. Quel est votre secret ?
C’est la simplicité. Je crois que la première chose en matière de gouvernance, c’est d’abord de se dire qu’on n’est pas au-dessus de ses concitoyens. Excusez-moi de le citer, il y a un ecclésiastique latino-américain qui disait une chose que j’ai toujours aimée : « Pour faire des choses avec les hommes, il faut être avec eux, pas au-dessus d’eux.» Et donc, lorsque l’envoyé d’un pays étranger, d’une puissance étrangère ou d’une organisation internationale est accrédité dans mon pays, la première chose que je dois lui montrer, c’est le visage positif de mon pays. C’est de créer cette relation qui nous permet d’abord de nous faire une certaine confiance et de travailler. Et cette alchimie là, vous l’obtenez quand vous êtes humble, quand vous êtes simple et quand vous essayez de parler à l’homme et que vous parlez en tant qu’homme, quand vous ne faites pas parler seulement la fonction. C’est peut être ça le petit secret.
Monsieur le ministre, la promotion des cadres béninois à l’extérieur fait toujours objet de critiques. Est-ce qu’en votre temps, ces critiques se poursuivent ?
Vous n’entendez plus beaucoup ces critiques. Moi je suis serein. Je suis un cadre qui vient de l’extérieur. Je suis rentré en avril 2016 alors que j’étais un fonctionnaire des Nations unies, avec des responsabilités pas négligeables. J’ai fait mon parcours peut-être seul. Je n’occupais pas des fonctions qui revenaient à mon pays. J’ai fait une carrière. Il y a deux manières d’être présent dans une institution. Il y a les postes auxquels vous accédez en faisant une carrière à l’intérieur de l’institution. Il y a les fonctions électives qui sont les postes dont on dira qu’ils peuvent venir au pays si la diplomatie est assez habile, si on s’organise bien. Sur ces deux fronts là, une diplomatie doit être organisée et doit pouvoir soutenir les citoyens et les citoyennes. C’est pour cela que, non seulement j’ai créé une direction qui est en charge de cette question, mais j’ai nommé un conseiller technique qui a le même background que moi, un fonctionnaire international qui sait un peu comment ça se passe à l’intérieur. Et depuis, nous avons eu quelques succès. Nous ne faisons pas beaucoup de bruits. Le Bénin a quand même aujourd’hui un juge à la Cour pénale internationale, Madame Alapini Gansou. Le Bénin aujourd’hui est dans le comité de la gouvernance de l’Unesco, et nous avons de nombreux exemples. Vous savez, il est des richesses qu’il ne faut pas trop révéler, parce que ça peut être contreproductif. Il y a des dynamiques qui sont en cours en ce moment. Il y a des postes pour lesquels nous nous sommes battus et pour lesquels nous avons emporté le trophée. Mais c’est un domaine dans lequel nous avons encore beaucoup à faire. Il ne faut pas seulement viser les sommets. Il ne faut pas avoir peur de soutenir des Béninois de niveau P3, P4, P5 qui essaient de monter progressivement. Cette semaine, je peux vous dire qu’à l’Asecna, le directeur des finances a été nommé grâce à une action que nous avons menée de manière patiente et discrète, parce-que c’est un cadre de la maison et que, si le gouvernement n’était pas intervenu, ce cadre n’aurait pas accédé à cette fonction. Donc c’est un domaine dans lequel on a fait des progrès. Je voudrais signaler une chose très importante que je souhaite voir relayée. Le président de la République a arrêté un principe, il dit : « Je n’ai pas besoin de savoir que cette personne est partisane ou non de mon gouvernement. Si elle a le profil, si elle est béninoise et vous pensez qu’elle est capable de gagner le poste, mettons les moyens.» C’est pour cela que vous allez remarquer que chaque fois, en Conseil des ministres, lorsque quelqu’un a le profil pour accéder à une fonction et que nous sommes sûrs de notre fait, le gouvernement approuve, met les moyens à disposition, nous menons la campagne discrète et la personne gagne. J’ai un de mes directeurs qui va partir prochainement à New York parce qu’il a été élu, d’abord il a eu l’endos de l’Union Africaine, il a été élu comme membre de ce qu’on appelle la Commission sur les questions administratives de l’Organisation des Nations unies. C’est Eric Yves Ahoussougbèmè qui est actuellement le directeur Afrique et Moyen-Orient au ministère. Il y a des avancées. Je ne fais pas beaucoup de bruit sur ses choses-là, parce que plus vous faites du bruit, moins vous gagnez. Je préfère ne pas faire trop de bruit et gagner.
Pourquoi les visites des chefs d’Etat étrangers sont rares sous Talon, contrairement à ses prédécesseurs ?
Vous savez, si on met à la disposition des Béninois ce qu’on dépense pour une visite de chef d’État, vous n’allez pas croire. Tout le monde connait la générosité du chef de l’État mais aussi sa rigueur et son attachement à l’image de notre pays. Lorsque vous passez le long de la clôture de la présidence, vous verrez qu’il y a des travaux. Sans trahir un secret d’État, je vous dirais que bientôt, il y aura des grilles afin que les passants puissent voir à l’intérieur de la présidence car c’est la maison de tous. J’ai entendu certains politiciens dire oui mais nous avons eu le pape et d’autres. Mais des histoires existent autour de ces questions qu’on ne saurait évoquer ici, concernant cette visite. Le président Talon a un goût pour les choses. Mais on a reçu également des personnalités, comme la présidente de la Fédération Suisse, la Directrice Générale du FMI. Et dans quelques jours, on va recevoir la présidente de l’Estonie, probablement avant la fin de cette année. Nous faisons les choses de manière rationnelle et faire de nos édifices des édifices dignes. Dès la fin des travaux à la présidence, on va recevoir beaucoup de Chefs d’État mais de manière rationnelle, car la première chose à faire en priorité, c’est d’abord de redresser l’économie. Avoir un pays propre, avoir un pays où les travailleurs reçoivent ce qui leur est dû, c’est ça les priorités, ce n’est pas le prestige pour le prestige. Ma fierté est que les gens saluent la gouvernance de notre pays et disent que le Bénin est un pays sérieux qui se respecte et qui se fait respecter. C’est en cela que je voudrais trouver les bons mots pour le faire. Je veux que vous compreniez qu’il faut faire des sacrifices afin d’avoir une ville belle. C’est vrai qu’il faut penser au social mais restaurer l’autorité de l’Etat. Nous avons préféré que les rentrées scolaires et universitaires se passent bien, que les gens prennent leurs salaires, que dans les hôpitaux aient de nouveaux équipements, de nouveaux produits, que de donner des grands banquets pour des chefs d’État étrangers. Comme exemple, lors de la fête nationale le président s’est sacrifié et a décidé qu’il n’y aura pas de banquet à la présidence. À la place, un concert a été organisé au profit de la jeunesse sur sa demande.
Avec l’exemption de visa aux Africains, c’est une porte ouverte à un déferlement des autres Africains sur le territoire béninois. En a-t-on vraiment eu depuis cette décision ?
C’est une décision qui a été prise mais présentée à Kigali pour montrer notre proximité avec ce pays. Nous les rejoignons dans le peloton de tête. Il faut ouvrir l’Afrique aux africains. L’Union africaine doit être la manifestation concrète d’actes qui sont posés. On parle d’unité africaine mais on ne peut pas se déplacer librement, ce n’est pas une unité ça. Nous avons décidé d’exempter tous les Africains de visa. Nous avons même anticipé sur l’un des protocoles économiques et sociaux qui prévoit l’exemption de visa. Nous sommes avec le Rwanda à la pointe de ce combat et nous l’avons gagné. Vous a- t- on jamais dit qu’on a arrêté une horde de terroristes qui sont rentrés dans notre pays depuis août 2016? Vous a-t-on dit que des criminels sont venus depuis l’abolition des visas? Non. C’est seulement que nous sommes allés dans le sens de l’histoire et avons anticipé. Cela se passe bien et a une influence sur la fréquentation du pays, et nous assumons. Il suffit que votre pièce d’identité soit à jour pour rentrer. Si vous voulez rester plus de trois mois, vous faites les formalités pour avoir un titre de séjour. Donc ce n’est pas de la gabegie ni de désordre. Lorsque l’année dernière, le Président s’est rendu à Addis-Abeba et que cette question a été évoquée, il a été fortement applaudi. J’étais là et j’ai été témoin.
Combien d’investisseurs avez-vous déjà fait venir au Bénin ?
Ils sont nombreux. Dans divers domaines, nous avons des investisseurs qui sont là. S’il n’y avait pas eu d’investisseurs, ça se saurait. L’argent ne fait pas du bruit et l’argent n’aime pas le bruit, le bruit ne fait pas du bien à l’argent. J’aurais pu vous communiquer des chiffres, mais je préfère ne pas le faire. Mais il y a de nombreux investisseurs qui sont installés dans notre pays, il y a des créations d’emplois. Nos allées et venues, que ce soit le Chef de l’État, le ministre de l’économie et des finances ou moi-même, nous ménageons toujours du temps pour convaincre et amener les uns et les autres à investir des ressources ici. J’ai une fibre plutôt sociale, nous sommes l’un des rares pays de l’Afrique de l’ouest à n’avoir pas un hôpital de référence. L’hôpital de référence qui sera construit à Calavi est financé totalement. Et c’est une banque privée qui s’est engagée à nos cotés, à ce sujet.
Combien votre ministère a déjà ramené au pays ?
Je ne suis pas un grand footballeur mais je comprends le foot. Un numéro 10 tout seul ne marque pas de but. Il faut une distribution de balles pour qu’il y parvienne. Vous verrez que souvent dans les déplacements du Président de la République, s’il y a le ministre de l’économie et des finances, le ministre des affaires étrangères, ce n’est pas qu’il aime leurs têtes, mais c’est parce que ces fonctions-là sont utiles. Il y en a un qui va ouvrir la porte, l’autre qui va discuter et les choses vont être bonnes. Vous aurez des oui sectoriels, vous aurez des étapes de oui, on va faire des options, on va discuter avec des acteurs et ces acteurs là vont dire « ah ça me parait intéressant, on va le faire, donc c’est un travail d’équipe ». L’équipe produit des résultats et des résultats positifs. Dans l’asphaltage qui a commencé à plusieurs endroits, nous avons des cas où l’investisseur est venu avec ses propres ressources et sera payé sur le mécanisme qui a été bien identifié, des taxes qui seront recouvrées de manière professionnelle, pour pouvoir répondre au service de la dette. Nous empruntons mais nous empruntons en ayant en face un mécanisme de remboursement qui est très clair. C’est ce qu’il faut savoir.
Il y a un sujet de mécontentement. C’est à propos des passeports diplomatiques qui ne se délivrent plus comme avant. Comment ça se passe ?
Je signe des passeports tous les jours, mais la seule différence qu’il y a entre les autres et nous, c’est qu’il y a un texte qui fait la liste de ceux qui ont droit aux passeports diplomatiques. Le problème du Bénin pendant plusieurs années, c’est que le texte est là mais on fait autre chose. C’est pour cela que les Béninois n’ont pas été très contents. Lorsque j’ai pris mes fonctions, deux représentations diplomatiques importantes que les Béninois chérissent, m’ont dit : « monsieur le ministre vous savez bientôt, on ne va plus accorder le privilège du passage aux détenteurs de passeport diplomatique parce que vraiment, trop c’est trop et puis on retrouve les gens dans des activités qui ne sont pas compatibles avec le rang de quelqu’un qui a un passeport diplomatique ». Le président Talon, lors d’une réunion, a été très simple, il m’a dit : « nous donnerons des passeports diplomatiques à ceux qui y ont droit et nous en sommes tenus à cette mesure-là. Il y a un article qui permet au président de manière très exceptionnelle et dérogatoire de désigner un bénéficiaire. C’est nos textes qui le disent, ce n’est pas lui. Pour délivrer les passeports diplomatiques, je peux vous dire que le président fait recours très strictement aux textes. Je suis allé une fois le voir pour demander un passeport diplomatique pour quelqu’un dont je pensais, compte tenu de la notoriété de la personne, que ce serait bien qu’on lui donne un passeport diplomatique. Mais le président m’a demandé s’il y a droit selon les textes. J’ai dit « non monsieur le Président de la République. » Et il a dit : « non monsieur le ministre, vous ne ferez pas de passeport diplomatique à ce monsieur. C’est mon ami, mais vous ne lui ferez pas de passeport diplomatique. » C’est ça la République exemplaire.
Parlez-nous un peu des passeports biométriques, ça a été l’un de vos chevaux de bataille.
Les passeports biométriques diplomatiques permettent d’accéder à l’espace Schengen sans visa ; tous les pays qui ont signé cette convention avec la France jouissent de cet avantage. Seul le Bénin ne l’a pas fait parce que nous avons mis en place un système qui ne permettait pas jusque-là d’émettre des passeports biométriques diplomatiques. Maintenant, cette affaire est pratiquement réglée, nous avons maintenant mis en place un mécanisme qui nous permet d’avoir cette clé d’identification. Donc nous sommes en passe d’arriver à l’émission des passeports diplomatiques biométriques qui pourraient permettre aux ayant droits de faire des missions rapidement sans se fatiguer pour les visas. Ce sera au cours de l’année 2019 ? Oui je peux vous le confirmer nous sommes tout près de la réalité.
Le ministre Aurélien Agbénonci lors des échanges…
A propos du hadj, monsieur le ministre, qu’avez-vous fait pour faire taire toutes les formes de contestations dans l’organisation de ce pèlerinage ?
Deux choses : transparence et inclusivité. Transparence parce qu’un nos concitoyens m’a dit : « tu vas être aussi le coordonnateur du hadj. Tu sais là-bas, c’est juteux ». Cela a fait un tic dans ma tête et je me suis fait expliquer dans les détails, toutes les étapes et comment ce processus se passe, ce que l’Etat doit ou ne doit pas faire là où les choses n’ont pas fonctionné. On s’est rendu compte qu’il y avait de la mauvaise gouvernance qui conduisait à la soustraction des recettes de l’état. Le serment que je me suis fait c’est de servir cette République en toute probité. Qu’on me croit ou pas, c’est ma conviction et c’est ce que je fais. Donc avec mon équipe, nous avons décidé que pour le hadj, premièrement nous parlerons avec toutes les parties et on mettra tout le monde autour de la table. On a fait un appel d’offre et le dépouillement devrait se faire devant les faîtières et toutes les associations islamiques étaient dans la salle. Ils ont dit: « ils sont fous, c’est là où on fait des affaires ». Mais on ne fera plus d’affaires donc, on a fait le dépouillement et on a choisi la compagnie. La deuxième chose, c’est le choix en ayant des quotas fixes et équilibrés, pas de privilège. Cette année, la République saoudienne a dit que nous ne pouvons que recevoir 4 000 pèlerins. Mais il faut partager équitablement ce quota entre les faîtières qui sont dans un même pèlerinage. Si vous restez dans votre bureau pour faire des zones d’ombres. Lui, je lui donne 2500F, l’autre je ne l’aime pas je lui donne tel pour qu’on me fasse un retour. Je trouve que d’abord, vous péchez et vous commettez un crime économique et sabotez quelque chose qui devrait permettre à votre pays de rayonner. Je vous remercie d’avoir mentionné cela parce que même mon collègue ministre des affaires étrangères de l’Arabie Saoudite m’a félicité pour la manière dont notre hadj s’organise maintenant. Donc le secret c’est la transparence, l’inclusivité, être à l’écoute. Je ne dis pas que c’est un fleuve tranquille, parce ce que les organisations sont habituées à s’affronter. Mais, il faut les écouter, les calmer, les abriter, il faut faire le bon choix. C’est ce que nous avions fait pour le Hadj.
Quelle est l’implication de la diaspora dans la réalisation du PAG ?
Je peux vous dire qu’à la présidence actuellement, il y a beaucoup de jeunes cadres qui ont pris leur sac à dos et qui ont rejoint le Président Talon. Ils sont à des postes stratégiques et travaillent. Vous ne les voyez pas mais ils contribuent. Il y a du savoir-faire béninois qui est infusé dans ce que nous faisons. De nombreux compatriotes sont fiers de ce que ce PAG peut être. Souvenez-vous que lorsque ce PAG a été présenté, même les opposants ont dit : « là, vous avez fait fort. Si vous y arrivez vraiment, on va vous rejoindre. » C’est vrai qu’ils ne nous ont pas rejoints parce qu’ils ont leur raison. Ce que je vais vous dire, c’est que la diaspora est engagée. Moi, lorsque je suis à l’étranger et particulièrement lorsque le Président visite un pays, je fais tout mon possible pour exécuter l’instruction qu’il m’a donnée. Celle de lui créer un espace pour qu’il puisse parler à ses compatriotes. Je sais qu’il aime avoir le contact avec les siens. Parfois, sa sécurité veut le limiter et il dit non, ce sont les miens. La diaspora est engagée. Je me souviens de la rencontre qu’il y a eue au mois d’octobre 2017 à Paris. J’ai senti quelque chose de fort, que les enfants, ils ont envie de s’identifier à ce que représente le Bénin. Ce n’est pas une démarche partisane. Mais ce que nous essayons de faire, c’est de faire en sorte que les services leur soient rendus. A l’époque, les gens déposaient leurs dossiers de passeport ordinaire et attendaient quatre mois ou six mois. Le président a exigé qu’en quinze jours, s’il fait sa demande à Paris, si toutes ses pièces sont là, on lui fait son passeport. Et donc rendre service à la diaspora et la protéger est une mission aussi du ministère des affaires étrangères. Nous sommes en train de prendre des mesures avec le garde des sceaux pour que les Béninois ne soient plus obligés de perdre leur nationalité lorsque le pays d’accueil vous accorde leur nationalité.
On constate que le Rwanda est devenu un modèle pour le Bénin. Il y a des influences positives que nous constatons. Pourquoi avoir fait le choix de mettre les deux chefs d’états en contact ?
Mes parents m’ont appris à fréquenter les premiers quand j’étais à l’école. Regarde comment ils font pour être premier. Il faut tout faire pour tendre à la perfection. Il faut aller dans la direction de peloton de tête. L’une des économies performantes en Afrique aujourd’hui, c’est celle du Rwanda. Un des systèmes de gouvernance qui fonctionnent bien, des services sociaux qui fonctionnent bien, c’est le Rwanda. Je sais qu’on raconte beaucoup d’histoires sur le Rwanda. Je sais que l’histoire du Rwanda dont les Rwandais sont seuls les responsables, fait que certaines approches d’interaction sociale ne sont pas celles que nous avons connues. Mais pourquoi le Rwanda ? Parce que les taux de croissance du Rwanda sont ce qu’ils sont. Parce que les succès du Rwanda sont visibles et que ces succès sont salués par le monde. Ce n’est pas seulement l’Afrique qui salue cela. C’est le peloton de tête donc, nous avons décidé de fréquenter ceux dont la fréquentation nous aiderait à bien faire. Le Rwanda fait partie de ces pays-là, Singapour aussi. Le Président est allé en Suisse un pays qui est aussi bien géré. C’est un peu ça. Le Rwanda c’est quelque chose d’important pour nous. C’est un pays qui a connu un génocide et qui s’est repris et dont la transformation sociale est visible. Nous pensons que coopérer avec le Rwanda et même avec d’autres pays africains, est une chose importante.
Est-ce cette proximité entre les Présidents Talon et Kagamé qui ont conduit à l’élection de votre homologue du Rwanda à la tête de l’OIF ?
C’est vrai.
C’est un gros coup pour le Rwanda ?
Non. En quoi c’est un gros coup. Le Rwanda depuis des années est membre de l’OIF. Ils n’ont jamais quitté l’OIF bien qu’ils aient tourné dos au français. Ils ont ajouté l’anglais aux langues qu’ils parlent. Ils n’ont jamais interdit aux Rwandais francophones de s’exprimer en français. J’ai vécu au Rwanda et j’ai parlé le français avec les francophones que je connais et l’anglais avec les anglophones. Ils ont leur histoire. Ce que vous pouvez évoquer, c’est le fait qu’on s’est retrouvé à un moment donné avec cette candidature qui est intervenue alors que madame Michaëlle Jean avait déjà obtenu certains engagements de soutien. Mais, la doctrine du Bénin, c’est que nous allons toujours sur ce que, ensemble, les pays africains ont décidé.
Qu’est-ce que le Bénin gagnera à la suite de cette victoire ?
Une organisation bien gérée. Une organisation qui va prendre une orientation qui certainement lui permettra d’atteindre ses objectifs. Michaëlle Jean et Louise Mushikiwabo sont deux personnes de grande qualité. Mais le temps était venu qu’il y ait ce changement. Il faut en prendre acte et avancer. C’est la première fois que les pays africains ont parlé d’une seule voix et ils ont pu placer leur candidat. C’est une leçon aussi. Il faut tirer cette conséquence-là. Michaëlle Jean n’a pas démérité.
Vous voulez dire que vous n’attendez pas des placements avec l’élection de votre homologue rwandaise ?
Il y a des choses sur lesquelles je ne me prononce pas à l’avance. J’ai des idées. Mais je n’en dirai pas plus.
Quelles sont les grandes réformes auxquelles le corps diplomatique doit s’attendre dans la coopération aussi bien bilatérale que multilatérale?
Vous savez que nous avons assigné désormais aux ambassadeurs du Bénin à l’étranger, sur instruction du Président de la République, l’obligation de travailler selon une lettre de mission, avec des missions précises et des résultats précis. Nous avons estimé que, cette manière organisée de faire les choses, est pour que les gens ne soient en divagation diplomatique, géographique ou touristique. Nous avons estimé qu’au niveau des ambassadeurs présents dans notre pays et des ambassadeurs non-résidents, il y avait une chose à mettre en place. C’était ce qu’on appelle l’approche matricielle du suivi de la coopération. Donc, une des grandes réformes, c’est d’identifier avec une ambassade, au moins un résultat concret, si non, deux. Si on veut on peut aller à trois. Mais nous acceptons même un seul en disant, vous et nous allons produire ce stylo pour le 31 décembre 2018. Et avec les équipes on fait la feuille de route. Donc, cette approche part de l’identification d’un objectif à atteindre. Un accord de volonté sur les différentes étapes, la recherche de solutions lorsqu’il y a des difficultés et enfin le produit final. Si on ne fait pas ça, l’ambassadeur est là, il tourne en rond. Moi je voyage tout le temps, mes collaborateurs seront dans les papiers, et s’ils ne font pas attention, on ne fera rien. Le président Talon a estimé que les ambassadeurs sont envoyés pour atteindre avec nous des objectifs. Donc, nous nous mettons d’accord avec eux.
Je suis exigent vis-à-vis des ambassadeurs du Président Talon mais je dois être aussi exigeant vis-à-vis des ambassadeurs qui sont accrédités auprès de nous, qu’ils soient résidents sur le territoire national ou non. Donc, c’est une manière différente de faire les choses.
Et si on s’amusait à connaitre votre salaire au sein du gouvernement …
(Rire). De la même manière que vous ne révélez pas votre salaire, je ne dirai rien. Mais sachez que les chiffres qui vous ont été annoncés pour des raisons politiciennes sont des chiffres fallacieux. Le président de la République l’a dit. Vous savez, au Bénin on a cette particularité. Même quand le président dit une chose, mais que cela a été nourri d’une rumeur, il est difficile de le croire. Vous avez entendu le président dire : «aucun ministre ne gagne ces montants-là au pays». Pour moi, c’est la parole suprême. A partir du moment où le président de la République lui-même l’a dit, cela me suffit. Tout ce qui est dit après, ce sont des mensonges. Ce sont des énormités. Notre budget ne peut pas soutenir ce niveau de rémunération. Il m’est arrivé d’ailleurs de rencontrer une des personnes qui portaient ces paroles totalement irresponsables pour leur dire ma manière de penser.
Carte d’identité: DE L’ONU au MAEC
Aurélien Agbénonci laisse l’image d’un diplomate chevronné pétri d’expériences. Du haut de ses 60 ans, ce fonctionnaire onusien est un véritable globe-trotter. Mais en fait, il est entré dans le moule de l’ONU dès la fin de sa thèse de doctorat soutenue à l’Université de Nanterre en France. Il entre en effet au PNUD par ce qu’on appelle le Mtp (Management training program), un concours ouvert aux jeunes désireux de faire carrière à l’international. Amoureux de l’anglais depuis le collège, c’est cet avantage qui lui a permis d’être sélectionné pour le Programme des nations unies pour le développement (PNUD) où il a exercé pendant quelques années. Mais il a fallu pour cela aussi qu’il fasse un passage par la Suisse et un crochet par le Bénin où il a dirigé le Centre panafricain de prospective sociale avec le professeur Albert Tévoédjrè. New York, les Comores, le Burundi, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Congo Brazzaville…Il sillonne le monde et surtout l’Afrique pour le PNUD à l’intérieur duquel il gravit patiemment les échelons. Du Congo, il atterrit au Rwanda où il a été représentant résident du Pnud, puis Coordonnateur résident. Le diplomate y a tissé de solides liens d’amitié avec un certain Paul Kagamé, Président du Rwanda devenu le modèle de gouvernance qu’adopte le président Patrice Talon. Après un retour à New York, l’ONU le choisit pour être nommé au Mali comme Coordonnateur humanitaire, Coordonnateur résident du Pnud, dans un contexte où la guerre et les coups d’Etat aggravent l’instabilité du pays. Nommé plus tard Coordonnateur des Nations Unies et représentant du Pnud en République Centrafricaine, c’est de Bangui qu’il dépose ses valises à Cotonou pour être ministre des affaires étrangères depuis avril 2016. Mais qui donc est cet homme ?
Aurélien Agbénonci naît le 20 octobre 1958 à Porto Novo d’un père fonctionnaire au ministère des finances et d’une mère couturière. « J’ai appris de mes parents, la rigueur, la discipline, dit-il. Comme un exemple, le dernier poste que mon père a occupé est la direction du garage central administratif, mais je n’ai jamais été à l’école dans une voiture administrative. Il a pourtant occupé ce poste pendant plusieurs années. » C’est à Porto-Novo qu’il obtient son CEP et son BEPC, périple durant lequel il est camarade de classe avec un certain Patrice Talon, notamment au collège de Davié et après au Lycée Toffa 1er. Ce qu’on ne lui connait pas beaucoup, c’est qu’il fut 1er responsable du collège d’enseignement secondaire de Davié puis du Lycée Toffa 1er. « J’ai toujours été porté vers l’action de leadership et le service à la communauté », dit-il. De fait, il était tout jeune militant de l’Union générale des élèves et étudiants du Dahomey (Ugeed), très engagé dans le processus révolutionnaire. A ce titre, il fut sélectionné, pendant qu’il était encore élève pour participer à une campagne de reboisement en Somalie pour planter des cactus en solidarité avec ce pays, victime d’un phénomène d’envahissement de sa capitale par des dunes de sable. Mais il a fallu partir pour le Sénégal où il décroche son Bac littéraire et s’engage dans des études de droit. Maitrise en Droit des affaires, DEA en sciences de l’environnement à l’Université de Dakar, il s’envole pour l’université de Nanterre pour un troisième cycle en Droit du commerce international. Sa thèse porte notamment sur les investissements en Afrique et particulièrement au Bénin. Son stage se passe au Centre de commerce international de Genève, avant que s’emballe la machine onusienne. C’est un parcours de patience et d’abnégation.
Quand on lui demande quels conseils il peut donner aux plus jeunes, il affirme : « La réussite ne tient qu’à trois choses. Ne pas se mentir à soi-même, savoir où on veut aller et se donner les moyens d’y arriver. Et un des moyens est le travail. » Et d’ajouter : « Lorsque vous êtes déterminé et que vous avez une personnalité forte, les gens vous font confiance. Parce qu’on sait qu’on peut vous envoyer au front. »
Intimité: Sensible à la solidarité
Aurélien Agbénonci est marié, père de deux garçons dont l’ainé a embrassé comme son géniteur une carrière internationale et le cadet une carrière d’entrepreneur. Son épouse, une pharmacienne béninoise, est au centre de sa vie. « Je ne suis rien de ce que je suis sans elle », avoue le diplomate. Si vous voulez être son ami, vous devrez être ouvert d’esprit, sensible à ce que l’autre ressent. « Je crois beaucoup à la solidarité. Car, l’homme est un remède pour l’homme », dit-il, sentencieux. A table, il mange comme tout béninois, mais pas de pâte ni de féculents, et surtout beaucoup de légumes. Même s’il ne déteste pas l’alcool, il pense qu’il faut de la mesure en toute chose.