Au Bénin, la pratique de la pêche artisanale est une activité essentiellement masculine. La place réservée aux femmes se résume uniquement à la commercialisation du poisson et des fruits de mer. Les raisons sont nombreuses.
Plus qu’un constat, la quasi-absence des femmes dans le domaine de la pêche est une réalité.De la pêche en haute mer à la pêche lagunaire, les femmes béninoises n’existent quasiment pas car les coutumes ne leur permettent pas de pratiquer cette activité. «Nous avons vu des femmes de Lagos venir au port des pêches avec leurs enfants pour aller pêcher mais nous ne pouvons pas le faire » avoue Véronique Kpognon, revendeuse de poissons au port des pêches de Cotonou. Ces femmes s’intéressent juste aux activités de l’après-pêche. Elles sont nombreuses à se contenter de la vente des poissons. «Les femmes ne vont pas pêcher, nous achetons les poissons aux hommes quand ils reviennent pour ensuite les revendre » explique Elisabeth Medekou, revendeuse de poissons au Port des Pêches de Cotonou. Selon elle, seuls les hommes ont le droit de pratiquer cette activité.
Une activité inadaptée à la gent féminine
Depuis des lustres, les us et coutumes de certains peuples béninois, notamment ceux des ‘’Tofins’’, ne favorisent pas la présence des femmes dans le secteur de la pêche. C’est du moins ce que fait savoir Lucienne Ahonon, riveraine du village lacustre de ‘’Ganvié’’. Dans la plupart des localités lacustres, les femmes pratiquent surtout la pêche des crustacés dans les eaux douces. Pour la pêche en haute mer, c’est une autre histoire. Pour Elisabeth Mèdékou, c’est surtout une question d’aptitude physique. «Aller en mer n’est pas chose aisée, même certains hommes souffrent du mal de mer. Nous ne pouvons donc pas supporter toutes les contraintes physiques liées à cette activité » affirme-t-elle. Elle insiste en outre sur le fait que les femmes sont beaucoup trop bavardes et ne savent pas tenir leur langue. Elles ne pourront donc pas garder le secret de tout ce qui pourrait se passer au cours de la pêche. Or, un dicton des pêcheurs dit ceci : « ce qui se passe en mer, reste en mer ». Jérémie Mensah, propriétaire de bateau de pêche au Port des pêches de Cotonou, quant à lui, parle d’une question d’habitude et d’environnement. « C’est ce que tu vois faire que tu fais. La majorité de nos femmes ont grandi en voyant uniquement les hommes pêcher» constate-t-il. Il ajoute que cela n’est pas une interdiction formelle ou un totem mais juste une question d’habitude et d’aptitude physique.
L’exception ‘’Dogbo’’
Dans cet environnement très masculin de la pêche au Bénin, il y a tout de même une exception. Une légende vivante : Dame Dogbo. De son vrai nom Zounnon Aimée, elle est à la date d’aujourd’hui, la seule femme béninoise à avoir pratiqué la pêche en haute mer aux côtés des hommes. « Je suis plusieurs fois allée en mer à Lomé comme à Cotonou et j’ai commencé cette activité à l’âge de 18 ans » raconte-t-elle. La bravoure de cette dame ne laissait personne indifférent.« Tout le monde admirait mon courage et mon énergie et j’avais beaucoup de chance car quand j’allais en mer avec un bateau celui-ci revenait toujours chargé de poissons. J’étais donc très disputée dans le temps par les propriétaires de bateau qui voulaient m’avoir dans leur équipage » révèle-t-elle. Feu Président Général Mathieu Kérékou ayant entendu parler de cette femme atypique l’a rencontrée, pendant son règne et a décidé de l’accompagner dans cette activité. « Les agents de la marine étaient spécialement descendus au port des pêches de Cotonou pour monter mon propre bateau et tout le matériel qu’il fallait pour aller en mer » se souvient-elle. Selon ses dires, ce geste de générosité n’a pas été du goût de tous. « Les hommes qui pratiquaient la pêche depuis bien longtemps, en ont été jaloux car ils n’avaient jamais reçu l’aide des autorités jusqu’ici ». Ils étaient surtout mécontents du fait que ce privilège soit accordé à une femme. Elle explique : « J’ai reçu des menaces de toutes sortes, allant jusqu’à des menaces de mort. Ne me sentant plus en sécurité, j’ai tôt fait d’abandonner cette activité ».Après ses péripéties, elle a dû se tourner vers une autre activité : la vente des barres de glace, une activité qu’elle a découverte suite à un voyage dans un bateau sur Bordeaux. Au port des pêches de Cotonou, il se dit que Dame Dogbo est la première femme à commencer la vente de ces barres de glace destinées aux pêcheurs. « Ma maman est celle-là qui a initié ce commerce ici au port des pêches» relate Bahouin Romain, fils cadet de Zounnon Aimée. Aujourd’hui encore, cette dame, la soixantaine environ, reste une légende dans l’univers de la pêche artisanale au Bénin.