Ils sont des milliers d’Africains à braver le désert, l’océan et surtout de la clandestinité pour échouer sur les rives de la méditerranée ou en occident, à la recherche d’une vie meilleure. Dans l’actualité, la crise migratoire prend autant de place que les conflits. Auteur de ‘’Mémoire d’un voyage dans les méandres de l’absurde’’, un ouvrage dans lequel il confesse sa vie de migrant, Onésiphore Nembe se confie. Rencontré à Tunis, il y a quelques jours, le Directeur de publication de Afrique Progrès au Maroc partage dans cette interview, son vécu, ses ressentiments et fait des propositions.
Qui appelle-t-on migrant selon Onésiphore Nembe ?
D’après la définition traditionnelle, le migrant est une personne qui s’expatrie pour des raisons économiques ou qui participe à une migration. Mais la seconde définition me convient mieux. En réalité, je ne suis pas parti forcément pour des raisons économiques. Je suis parti parce que je ne me sentais plus en sécurité. J’avais des idées que je défendais mordicus. Du coup, je me sentais effrayé. J’avais d’ailleurs donné une conférence dans ma ville natale, dans le littoral Camerounais et avant la fin de cette conférence, j’ai été sommé manu militari de débarrasser le plancher en 30 minutes. Au bout de toutes ces choses, j’ai décidé de partir.
Quelles sont les difficultés rencontrées au cours de votre voyage pour l’inconnu ?
Sur la route, j’ai été confronté à beaucoup de difficultés. La première et la plus grande, c’est la peur. Vous avancez mais au fond de vous, il y a une peur que vous n’arrivez pas à dompter. Vous vivez dans un milieu qui vous est étranger, où vous êtes continuellement en transit. Vous vivez dans un milieu où vous n’avez pratiquement rien. A un moment donné, vous vous demandez ce qui adviendra le lendemain ou s’il ne valait pas mieux de rester chez soi. Dormir à la belle étoile n’arrange pratiquement rien. Il y a toutes ces choses qui se mélangent. Et quand votre argent finit en route, c’est le comble. Vous tremblez de tout votre être. Vous appelez des amis au secours. Quelques mains viennent à votre aide, mais ce n’est jamais suffisant. Vous repartez toujours avec une victoire d’étape, la peur au ventre pour la suite du voyage. Mes peurs étaient beaucoup plus liées à cette incertitude de l’avenir et surtout à l’argent qu’on n’avait pas puis au fait d’habiter un milieu où on ne connaissait personne.
Migrant, comment êtes-vous devenu Journaliste et auteur de 8 ouvrages, loin de votre terre natale ?
On ne se lève pas un matin pour devenir ce qu’on n’a jamais été. Il faut un processus. Ce que nous sommes aujourd’hui, nous pouvons l’être davantage demain. Je me débrouille. Je me bats dans la vie. Quand je suis arrivé au Maroc, il s’est agi, soit de devenir comme tous les autres, et donner l’impression de quelqu’un qui a démissionné du combat ou qui s’assoit sur son désespoir, soit de me battre pour donner un sens à ma vie. J’ai fait la deuxième option, bien qu’elle soit difficile. L’homme que je suis en train de devenir est le fruit de beaucoup de combats, de beaucoup d’endurance et de beaucoup de détermination. Afrique Progrès Magazine est une presse nationale marocaine mais portée par un étranger que je suis. Donc, elle est sans subvention jusqu’à présent du régime de la presse marocaine. Nous espérons que les choses changent.
Aujourd’hui, des milliers d’autres africains partent en aventure au péril de leur vie. Les Etats africains peinent à maîtriser les départs. La communauté internationale n’arrive pas non plus à trouver les réponses adéquates. Quelle est votre analyse de la crise migratoire ?
Les jeunes partent aujourd’hui parce qu’ils ne se sont pas sentis à l’aise dans leurs pays. Ils n’avaient pas, pour certains, une bonne situation de vie, notamment sur le plan économique. Certains ont été amenés à quitter leurs pays. D’autres ont été contraints à prendre la route de l’incertitude à cause des catastrophes et des guerres. Mais le véritable problème, c’est celui d’une Afrique qui forme ses enfants sans un objectif d’insertion professionnelle à la base. Nous formons des historiens, des sociologues dans des pays qui ont plutôt besoin d’ingénieurs et de techniciens. C’est un contraste assez frappant.
Quelle est la réponse idoine pour maintenir les jeunes dans leurs pays ?
Il est important de faire remarquer à nos dirigeants que l’orientation de l’enseignement dispensé aujourd’hui doit être revue pour qu’on commence à former de véritables techniciens. Il nous faut former les jeunes à devenirs des entrepreneurs. Cela fera en sorte qu’à l’avenir, lorsqu’ils seront confrontés à des problèmes d’emplois, ils pourront de par leurs formations entreprendre. Il faut amener la jeunesse africaine à se rendre compte de son rôle pour le développement. Quant aux Etats, s’il y a une gestion qui se fait de la crise migratoire, elle n’est pas bonne. Pour la plupart, ils fustigent ces départs et semblent accuser ces enfants qui eux se sont sentis oubliés. Nos dirigeants donnent l’impression que la migration est un tort que la jeunesse commet à l’endroit de l’Etat. Mais en réalité, les jeunes cherchent plutôt où ils se sentiront bien. Il faut que les gouvernants discutent avec la jeunesse africaine pour faire face à l’urgence. La solution est d’éviter ces départs. Et pour y arriver, il faut aménager des espaces pour les jeunes formés pour qu’ils puissent se prendre en charge et s’épanouir.
Quoi qu’on dise, il y a des jeunes qui voient en l’Occident le paradis et qui mordent à l’appât des passeurs. Que faire ?
Pour ceux qui rêvent de l’Occident, il n’y a pas de solution au départ. La solution est plutôt à l’arrivée. Il faut essayer de donner à ces personnes un cadre propice au démarrage de leur nouvelle vie. Puisque les textes internationaux disent que l’Homme est libre par essence, libre de résider là où il veut, même si le nationalisme montre aujourd’hui que traverser une frontière de façon irrégulière est un crime avec parfois des réponses qui violent le caractère de l’humain. Le migrant, loin d’être un fardeau pour son pays d’accueil est une richesse qui peut quelque part contribuer au développement de la Nation. C’est une richesse culturelle et économique. Il faut que cela soit pris en compte dans les politiques autour de la migration.
Propos recueillis par Fulbert ADJIMEHOSSOU