La survie et le développement des enfants de 0 à 24 mois dépendent du respect de certaines pratiques essentielles en matière d’alimentation et de nutrition. Ignorantes ou impatientes, toutes les mères n’arrivent pas à les suivre, rendant leurs enfants vulnérables.
Dans les rayons de la cuisine de la maison familiale, la petite Mery s’est créée un espace de jeu. En cet après-midi du mercredi 5 décembre, elle joue allègrement. Avec des gestes répétés, elle tripote les seins de sa mère un moment, s’amuse avec son frère aîné, et s’intéresse de temps à autre aux objets qui l’entourent. Depuis sa naissance, ce bébé de 12 mois n’est jamais tombé malade. Cette robuste santé, Mery la doit à sa mère, Bernadette Okou-Ola qui s’applique à respecter les pratiques alimentaires essentielles pour la survie et le développement de son enfant.
« Les femmes qui suivent les bonnes règles en matière d’alimentation et de nutrition de leur bébé en tirent toujours un bénéfice », indique la sage-femme à la retraite, Antoinette Houndékon Ayilara.
La discipline de dame Bernadette lui est bénéfique. C’est avec sourire aux lèvres qu’elle témoigne: « Après l’accouchement, j’ai suivi rigoureusement les conseils du médecin en ce qui concerne l’allaitement maternel exclusif pendant les six premiers mois. Après cela, j’ai respecté les autres consignes sur le plan nutritionnel jusqu’à ce jour. Mon enfant se porte bien», se réjouit-elle.
Selon la sage-femme, les mères ont tout à gagner en suivant les différentes étapes nutritionnelles en faveur de leurs enfants. Les avantages pour les bébés de 0 à 24 mois sont indéniables. « Le bébé nourri au lait maternel exclusivement pendant les six premiers mois, et sevré dans les meilleures conditions est toujours bien développé. Il s’assoit et marche plus vite et surmonte plus facilement la période de la dentition que celui ayant été soumis à l’alimentation mixte », explique-t-elle.
Mais tous les bébés n’ont pas les mêmes chances que Mery. En matière de nutrition et d’alimentation, certaines femmes, les moins patientes, se donnent d’autres libertés. Dans ce cas, intervient l’alimentation complémentaire précoce et improvisée.
Sidoine, la mère d’Alphonse fait partie de ce lot. Elle explique avoir intégré à partir du quatre mois, les mets de substitut dans l’alimentation de son bébé afin de mieux s’occuper de ses activités professionnelles. Il a fallu des signes d’amaigrissement de celui-ci pour qu’elle se rende compte de son mauvais agissement. Au bout de cinq mois, Alphonse a connu une croissance à peine remarquable : environ 4 kg. Maigrelet et chétif, il faiblit sous l’effet de la diarrhée. Dans les conditions normales, il devrait peser au moins 7 kg.
Sans vouloir heurter les sensibilités, la sage-femme à la retraite déplore tout de même certaines pratiques traditionnelles dans les modes d’alimentation et de nutrition des enfants. « Il faut décourager les belles-mères qui induisent leurs belles-filles en erreur en les orientant très tôt vers les aliments de substitut et éduquer les mères à faire un bon sevrage à leurs enfants », insiste-t-elle. Le bon sevrage, selon elle, concerne l’introduction de l’alimentation complémentaire dans la nutrition de l’enfant au moment indiqué.
Le colostrum, une mine d’or
Au-delà de ces pratiques, certaines familles ignorent également tout des bienfaits du colostrum, et le jettent tout simplement. Pourtant, cet aliment est une mine d’or pour la survie de l’enfant. « L’Oms a baptisé le colostrum comme le premier vaccin de l’enfant. Malheureusement, à cause de sa couleur jaunâtre et de sa consistance, les gens le jettent sous prétexte que c’est mauvais », explique Ambroise Nanéma, nutritionniste à l’Unicef.
Ces pratiques portent un coup au bien-être de l’enfant. « Les mères qui ne respectent pas les consignes vivent un stress permanent ; elles doivent courir tout le temps vers la pédiatrie pour gérer les cas de maladie de leurs enfants », déplore Antoinette Houndékon Ayilara. Elle poursuit : « Lorsque vous prenez deux bébés du même âge dont l’un a été nourri au lait maternel et a bénéficié de l’alimentation complémentaire suivant les règles, il est plus en forme et grandit vite que l’autre dont les parents ont opté précocement pour des aliments de leur choix ».
La pratique crée également des problèmes de santé publique. Dr Ambroise Nanéma explique: « 5% des enfants de moins de 5 ans sont atteints de malnutrition aiguë au Bénin ».
Prévenir vaut mieux que guérir. En attendant une prise de conscience générale dans le rang des mères, les agents de santé anticipent. « Nous mettons l’accent sur les activités d’information, d’éducation et de communication (Iec) pour aider les mamans à promouvoir les bonnes pratiques nutritionnelles et alimentaires pour leurs bébés », explique la sage-femme à la retraite.
Toutefois, le pari en ce qui concerne l’allaitement maternel exclusif et les pratiques alimentaires essentielles n’est pas encore gagné. On enregistre des résistances. D’où l’implication des relais communautaires.
« Nous rencontrons beaucoup de cas où les femmes s’opposent à nos sensibilisations. Dans ce cas, nous usons de méthodes et de patience pour les convaincre », explique Antoine Djihouan, relais communautaire à Dogo-Adankomey. Entre autres messages, détaille-t-il, « nous conseillons aux mamans de bien prendre soin de l’alimentation des enfants; nous insistons également sur l’hygiène et leur expliquons comment intégrer l’alimentation complémentaire aux enfants à partir de six mois», développe-t-il.
Assurer la transition dans les règles de l’art
Concernant la nutrition et l’alimentation, la phase de transition de l’allaitement maternel vers les aliments de substitut est une autre paire de manches qui requiert de la méthode. Ambroise Nanéma évoque la toute première étape. « A la naissance du bébé, on recommande qu’il soit mis aussitôt au sein maternel pour provoquer la production du lait chez la mère », souligne-t-il.
La phase de transition doit être faite dans les règles de l’art. « Quand le bébé grandit, la mère n’a plus suffisamment de lait dans ses mamelles pour le nourrir. Elle est obligée de faire des rajouts pour favoriser le développement de l’enfant. A ce moment, il y a des compositions de bouillie qu’elle peut faire », précise la sage-femme. « La bouillie enrichie au soja doit contenir trois parts de céréales pour une part de soja. On fait torréfier le mélange de ces céréales avant de le préparer à l’enfant ; les femmes peuvent y mettre du sucre ou du lait en fonction de leurs moyens », poursuit-elle.
Elle indique quelques conduites à tenir pour assurer une croissance harmonieuse de l’enfant. « Le bon sevrage se fait progressivement ; on ne peut pas donner à un bébé de trois mois, une bouillie non fluide. Entre six et neuf mois, c’est la bouillie moyenne et entre neuf et douze mois, la bouillie épaisse parce qu’à partir de cet âge, l’enfant ne se rassasie pas vite », explique-t-elle.
Selon le nutritionniste, l’aliment de complément doit se faire en fonction de la demande de l’enfant. « On commence l’aliment de complément, à partir du moment où l’enfant lui-même manifeste l’envie de découvrir autre chose en matière de nourriture », explique-t-il.
Le complément des autres aliments suppose dès lors, la diversification des repas. « L’introduction de la bouillie se fait à partir de six mois. Plus l’enfant grandit, plus on augmente la fréquence de sa bouillie en veillant également à la qualité ». L’alimentation ‘’quatre étoiles’’ est fortement recommandée. « Il faut faire en sorte qu’il y ait quatre différents aliments dans le repas qu’on donne à l’enfant. Ce qui est nécessaire pour former ses muscles, pour lui donner de l’énergie, les vitamines et les sels minéraux », développe-t-il.
Moins exhaustive sur la question, Alida Adjilé, coordonnatrice régionale du Secrétariat permanent du Conseil de l’alimentation et de la nutrition (Sp/Can), détaille en sept points les considérations fondamentales de l’aliment de complément. Elles tiennent compte de l’âge de l’enfant, de la fréquence et de la quantité des aliments. A cela s’ajoutent la variété des aliments, leur texture, leur adaptation aux besoins de l’enfant et l’hygiène. « Après six mois d’allaitement maternel exclusif, le nourrisson doit recevoir des aliments complémentaires diversifiés tout en continuant d’être allaité jusqu’à deux ans et plus. Pour que les besoins nutritionnels de l’enfant soient satisfaits, il faut que les aliments complémentaires soient adéquats, sûrs, apportés au bon moment et correctement administrés », enseigne-t-elle.
Les conseils, oui. Mais davantage de sensibilisations en ce qui concerne les pratiques alimentaires et nutritionnelles essentielles pour le développement des enfants, contribueraient à mieux engager les femmes à la cause.