Comme annoncé, le procès Icc-Services a effectivement démarré le lundi 17 décembre dans les locaux de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme à Porto-Novo. « Association de malfaiteurs, escroquerie avec appel au public, complicité d’escroquerie avec appel au public, exercice illégal d’activités bancaire et de micro-finance, faux en écriture privée, corruption, recel d’escroquerie et vol de documents » sont les chefs d’accusation retenus contre les prévenus dont Guy Akplogan, président directeur général de Icc-Services, Tègbénou Emile, Agbonnon Michel, et bien d’autres responsables de cette structure illégale qui a spolié de milliers de Béninois entre 2006 et 2010.
La Cour qui connaît de cette affaire depuis lundi est présidée par le magistrat de haut rang, Edouard Cyriaque Dossa et des membres comme Chognon Richard Limoan, Adamou Moussa, Guillaume Lally, Cyprien Tchibozo, tous des assesseurs ; Ulrich Gilbert Togbonon, procureur spécial près la Criet représentant ici le ministère public et le greffier Oussou Léonce Adjado. Si l’audience a été suspendue une première fois, après que la Cour ait constaté l’absence de quatre autres accusés, elle sera reprise, une demie heure après, pour engager les débats, les interrogations, les dépositions et autres. Entre autres témoins ou sachants, également invités dans les locaux de la Criet, il y avait des ministres de l’ex-chef de l’Etat Boni Yayi au moment des faits, dont Pascal Koupaki, Armand Zinzindohoué, et Victor Topanou. A l’éclatement du scandale Icc-Services en 2010, Koupaki était ministre d’Etat chargé de la coordination de l’action gouvernementale, Victor Topanou, ministre de la Justice et Armand Zinzindohoué, ministre de l’Intérieur. Interrogés sur les chefs d’accusation retenus contre eux, les principaux accusés dont Guy Akplogan, Tégbénou Emile, Agbonnon Michel, ont tous plaidé non coupables.
Les premiers déballages de Guy Akplogan
Dans sa déposition Guy Akplogan, président directeur général de Icc-Services, a expliqué à la cour la genèse de leur activité. Tout a commencé le 15 décembre 2006, selon lui, où Il dit avoir eu une première rencontre avec ses partenaires. «Nous avions décidé de mettre en place une structure d’entraide pour nos fidèles», a-t-il précisé. Plusieurs rencontres suivront après à la présidence de la République, avec au cœur des échanges, l’exercice de cette activité en République du Bénin, sous le regard bienveillant de Boni Yayi. En 2008 fait-il savoir, les principaux responsables de la structure qu’ils ont créée et immatriculée en avril 2007 ont eu une rencontre avec Nestor Dako, alors directeur de cabinet du président Yayi. Ce responsable au haut niveau de l’Etat, poursuit-il, a également demandé qu’une agence de leur structure soit implantée dans son village. Sous les questions du ministère public, Guy Akpogan affirme également avoir rencontré l’ex-chef de l’Etat qui les a confiés à son collaborateur, le professeur Géro Amoussouga en 2010 pour aider à la régularisation de leur structure. Celui-ci aurait donné des instructions à un certain Ahizimè, ex-directeur général de la Centif pour les aider à obtenir un agrément. L’audience avec l’ancien chef de l’Etat, Boni Yayi, a eu lieu le 10 février 2010.
Guy Akplogan ajoutera que dans ses activités sur le terrain, Icc-Services a fait des dons au nom Boni Yayi. Accablé de questions, il admettra tout de même que les activités de Icc-Services se faisaient dans l’illégalité. Les démarches de régularisation entreprises ont trainé, selon lui. A la question de savoir si les autorités leur ont demandé d’arrêter les activités de collecte d’épargne, Guy Akplogan, fait savoir que non. «Personne ne nous a demandé de sursoir aux activités de Icc-Services».
Pascal Koupaki à la barre : « Je ne suis pas au début de cette affaire »
L’ancien ministre d’Etat chargé de la coordination de l’action gouvernementale au moment de l’éclatement de l’affaire, Pascal Irénée Koupaki affirme ne pas être au courant du début des opérations de Icc-Services. «Je ne suis pas au début de cette affaire», a-t-il dit. Informé tout de même au moment de l’éclatement de cette affaire, il affirme avoir été tenu au courant lors du Conseil des ministres du 9 mai 2010. A ce moment, «une crise de liquidité» était déjà en en train de conduire Icc-Services à sa perte. Entre temps, fera savoir le ministre Koupaki, la Bceao et les banques de la place ont tiré la sonnette d’alarme. Aussi, a-t-il dit, un rapport du Fmi et de la Banque mondiale a circulé sans qu’il ait pu avoir copie, en dépit de ses multiples démarches pour l’obtenir. «Le rapport du Fonds monétaire international existe mais je n’ai pas été destinataire», s’est-il défendu.
A propos de l’absence d’alerte, l’ancien ministre de Boni Yayi et actuel ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence sous Talon, admet qu’il y a eu une « défaillance dans les renseignements généraux ». Sur ce, a-t-il nuancé, les services de renseignement pourraient aussi avoir fait leur travail sans que les fiches ne lui parviennent à l’époque. S’agissant de la nature de l’activité de Icc-Services, pour Koupaki, c’est «une supercherie». Il soutient que la raison ne peut pousser personne à accepter ce que proposaient les structures Icc-Services. «C’est impensable!» a-t-il martelé. Pour lui, «la responsabilité première, c’est celle des déposants et Icc-Services».
Koupaki ne reconnaît pas, par ailleurs, avoir eu de contacts directs avec les responsables de Icc-Services avant l’éclatement du scandale. Il n’aura rencontré Emile Tègbénou, l’autre grand responsable de Icc-Services, que sur demande du président Boni Yayi qui a l’a sollicité pour cordonner le comité de crise et rechercher des solutions idoines.
« J’investissais dans des activités tangibles, notamment dans le Btp »
A la reprise de l’audience à 16h40 min, après une troisième suspension qui aura duré près d’une heure, c’est encore à Guy Akplogan, l’informaticien de formation et promoteur de ICC-Services, de répondre à nouveau aux questions du procureur spécial. L’homme affirme avoir été inspiré par des activités de placement en ligne en Côte d’Ivoire. Mais, pour leur part ils n’ont pas préféré ce type de placement. Alors, à propos de leur mode d’investissement, Guy Akplogan fait savoir que les avoirs des déposants étaient réinvestis dans des activités bien rentables. « J’investissais dans des activités tangibles, notamment dans le BTP », a déclaré l’accusé. Sa structure dit-il, possédait une ébénisterie, faisait des activités de dragage, le forage. Pour lui, il y avait de quoi payer les déposants si on les laissait continuer les activités. S’il sont passés de 5 ou 7% à 160% de taux d’intérêt, le responsable de ICC-Services trouve qu’il ne s’agit que de « placement à haut risque » comme on dirait dans le monde du placement en ligne. « Ce n’était pas le fonctionnement bancaire qui était notre objectif », argumente-t-il.
De question en question, Guy Akplogan, alors qu’il était déjà en détention à la prison civile de Cotonou, dit avoir été sorti pour une rencontre nocturne. La rencontre, selon Guy Akplogan, s’est déroulée dans une maison appartenant au ministre Akoffodji. L’homme indique que le Chef de l’Etat aussi devait le rencontrer avant que cela ne soit avorté. Le ministre Akoffodji, apprend M. Akplogan, lui a également suggéré quelque chose à dire en face du président alors que lui voulait juste lui faire savoir que sa structure est en mesure de payer les déposants si on lui accordait du temps.
Le technicien Biaou
Nouveau déposant à la barre, ce cadre de la Cellule nationale du traitement des informations financières (Centif) a été amené à parler entre autres, de ce qu’il est advenu des biens saisis et des recettes des ventes aux enchères. «Je ne pourrais dire avec exactitude…», a répondu le technicien avant d’ajouter qu’une partie des fonds est sur un compte au Trésor.
Des millions distribués à des autorités et autres faits dévoilés
Des noms d’autorités ayant reçu des commissions ou autres pourboires des mains des responsables d’Icc-Services ont été dévoilés hier à la Criet. Il s’agit des anciens ministres Victor Topanou, Nicaise Fagnon et autres.
• Victor Topanou : ancien ministre de la Justice de Boni Yayi. Guy Akplogan confie à la cour, lui avoir donné 2 millions
• Le roi d’Akassato, Guy Akplogan déclare lui avoir donné un véhicule, retiré plus tard.
• Nicaise Fagnon : actuel maire de la ville de Dassa-Zoumè et ministre des Transports et des Travaux publics de Boni Yayi au moment des faits. Guy Akplogan affirme lui avoir offert 5 millions par semaine durant 2 mois, donc 40 millions pour le maire Fagnon dans cette affaire
• Aboumon Salomon Yayi: Oncle de Boni Yayi, il était directeur d’exploitation de la Snab (Société nouvelle alliance du Bénin), créée grâce aux revenus issus des activités d’Icc-Services. Ladite société avait un marché de location de véhicules avec le ministère des Finances, qui reste leur devoir à la date d’aujourd’hui 27 millions. C’est Aboumon Salomon Yayi qui gérait la société et lui rendait compte, a déclaré Émile Tègbénou à la barre.
• Boni Yayi : Guy Akplogan affirme que ses hommes sont allés chercher avec un hélicoptère, 27 milliards 50 millions entassés dans des conteneurs dans la maison de Tègbénou Émile pour une destination inconnue. Tègbénou a confirmé les propos de Guy Akplogan. Aussi affirment-ils avoir fait des dons aux populations dans les revenus d’Icc-Services pour la campagne électorale des Fcbe et de leur leader Boni Yayi.
• Monsieur Ahizimè: Dg Centif avait reçu 230 millions pour donner un agrément aux responsables d’Icc-Services. Ledit agrément n’a jamais pu aboutir, avant l’éclatement de l’affaire.
• Le colonel Robert Sewadé et le procureur Gbènameto: Les deux sortaient régulièrement Émile Tègbénou de la prison civile de Cotonou les nuits pour l’écouter chez l’ancien ministre de la Justice au moment des faits, Grégoire Akoffodji. Il s’agirait pour le ministre d’avoir la promesse que le prévenu Tègbénou n’allait pas citer le nom du Président Boni Yayi devant la justice. En contrepartie, on l’aiderait à sortir de la prison. Mais Tègbénou répondait que tout le monde l’a vu avec Yayi et qu’il ne saurait nier. Il a donc été retourné en prison.
De graves révélations de l’ex procureur Amoussou contre Koupaki et Yayi
L’ex procureur Georges Constant Amoussou
Entamé depuis lundi 17 décembre dans les locaux de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) à Porto-Novo, le procès Icc-services s’est poursuivi hier mardi avec de nouvelles révélations non moins graves. Elles ont été faites par l’ex- procureur de la République près du tribunal de première instance de Cotonou, Constant Amoussou à l’encontre du ministre d’Etat Pascal Koupaki et de l’ex-chef d’Etat Boni Yayi. « Les affaires comme Icc-Services sont comme un pacte entre Monsieur Pascal Iréné Koupaki et Boni Yayi pour s’enrichir et garder à tour de rôle le pouvoir pour 10 ans » a-t-il dévoilé à la barre en sa qualité de témoin. C’est palpitant. Lisez plutôt.
Lire des extraits de sa déposition ce mardi à la Criet
« ……J’ai interpellé par un rapport le ministre de la Justice Victor Tokpanou sur la situation en dénonçant le ministre des Finances sur la légèreté avec laquelle il gérait le dossier. J’ai été surpris par sa réaction qui, en substance, défendait son camarade des Finances. À la faveur d’une rencontre, j’ai informé le président Boni Yayi de la situation et il me répond: «la ministre de la microfinance va vous appeler parce que c’est elle que le dossier concerne». Effectivement, elle m’a appelé par la suite et a promis régler la situation, rien n’y fit.
Selon les renseignements que j’ai reçus, seul Monsieur Akplogan ou sa fille Guyonne pouvait payer les déposants et j’ai ouvert une enquête officieuse avec le parquet de Calavi. Par la suite, le procureur de Calavi m’informa qu’il a joint Monsieur Akplogan. J’ai rencontré Guy qui a promis commencer par payer à partir du 10 mai 2010, ce qui n’a été respecté. Suite à l’émeute qu’il y a eu le 17 mai, j’ai ordonné deux enquêtes sur la société Icc-Services et 47 autres structures de placement.
Les deux enquêtes ont fait immédiatement objet de compte rendu au garde des Sceaux. Sa réaction est: je vous approuve et vous donne le pouvoir de continuer; ce qui m’a d’ailleurs étonné.
Bien que les activités des promoteurs de ICC-Services n’étaient pas légales selon la loi bancaire, le ministre des Finances d’alors, Soulé Mana Lawani disait avec insistance, après l’alerte de la Bceao, qu’il voulait régulariser la situation de la société et permettre à Icc-Services de poursuivre ses activités.
J’ai été officiellement informé du dossier Icc-Services le 08 février 2010 par une dénonciation publique de l’association professionnelle des banques et établissements financiers au cours d’une formation périodique qu’elle donnait aux magistrats sur les activités bancaires. C’est donc après cette séance de formation que j’ai interrogé le procureur Gbenamèto, s’il y a une plainte concernant Icc-Services et il m’a répondu « oui », que c’est Maître Ali Yerima qui a amené la plainte et qu’à cause du caractère urgent de la plainte il a dû la régler très vite.
C’est vrai que j’ai été incriminé dans ce dossier, mais si cette incrimination devrait prospérer, entraînerait une infraction commune entre les promoteurs de Icc-Services, c’est la Cour suprême qui devrait régler cela. J’avais à l’époque écrit un mémorandum pour expliquer le dossier Icc-Services et la connaissance que j’ai du dossier était claire. Le promoteur de Icc-Services est bel et bien Monsieur Thomas Boni Yayi avec la complicité de ses collaborateurs. Mme Séverine Lawson a été un des principaux artisans de la tentative de coup d’Etat contre la justice dans ce dossier.
J’ai été invité au palais de la République et le président Boni Yayi me disait qu’il allait me prendre comme bouc émissaire dans ce dossier. J’ai réagi violemment en disant que je n’ai rien bouffé dans cette affaire et donc je ne peux pas être bouc émissaire.
Après de longs échanges, je suis sorti bien trempé de sueur. Après, on m’a envoyé une commission autonome d’enquête et j’ai dit à l’Opj Saké s’il ne connaît pas les conditions dans lesquelles on auditionne un magistrat. Ils sont venus à la maison m’auditionner et suite à mon refus, on m’a demandé de les suivre ce que je fis après que le ministre Kassa ait dit à ma fille de les suivre, sinon ils vont me tuer. En cours de route, le directeur général de la police ordonne à mon garde du corps de m’abandonner et ce dernier a refusé automatiquement.
Le 16 juillet 2010 sur la base d’un rapport, on me transporte à la Cour suprême autour de 17h. Nous sommes restés là jusqu’à 4h du matin. In fine, ils sont allés me déposer à la prison de Missérété et mes parents m’attendaient déjà là-bas. Comment je n’ai pas été tué, je ne pourrai pas le dire.
Icc ne m’a jamais construit une maison. Mon domicile est la propriété de ma femme et moi. Nous avons commencé par la construire en 2003 et nous l’avons fini en 2006; Icc Services n’existait pas en ce moment. Les affaires comme Icc-Services sont comme un pacte entre Monsieur Pascal Iréné Koupaki et Boni Yayi pour s’enrichir et garder à tour de rôle le pouvoir pour 10 ans….. »