Le procès de l’affaire Icc services s’est poursuivi ce mardi, à la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet). Les accusés Guy Akplogan et Emile Tégbénou ont déposé à la barre ainsi que Georges Constant Amoussou, procureur général près la Cour d’appel de Cotonou, au moment des faits, et qui a été incarcéré dans cette procédure. L’on retient que la Cour est encore loin de la vérité.
A la reprise du procès ce mardi sur le dossier Icc services, le président de la Cour de céans, Cyriaque Dossa, président de la Criet, a remercié toutes les parties pour le calme, la discipline et le sérieux dont elles ont fait preuve lors de la première journée de la session criminelle de la Criet au titre de l’année 2018 ouverte la veille. Il a invité surtout les accusés à maintenir le cap en collaborant avec la cour pour la manifestation de la vérité. Sur ce, Cyriaque Dossa lance les débats. D’entrée de jeu, il donne la parole au ministère public dont le rôle est assuré par Gilbert Ulrich Togbonon. Il informe la Cour que conformément à ses recommandations, le parquet spécial près la Criet a fait diligence pour convaincre la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) à participer au procès pour éclairer la lanterne de la Cour en tant que sachant. Un représentant de cette structure était à l’audience d’hier. Le procureur spécial près la Criet dit avoir par ailleurs fait diligences pour adresser des convocations à certaines personnes dont la présence est nécessaire pour la manifestation de la vérité. Il s’agit de l’ancien ministre des Finances, Idriss Daouda, l’ex-conseiller technique aux affaires économiques du président Boni Yayi, Christophe Aguessy, l’ancien ministre de la Justice, Grégoire Akoffodji, l’ancien directeur général de la police nationale (Dgpn), Maiga Aiko Dosso, l’ancien ministre chargé de la Microfinance, Sakina Alfa Orou Sidi et l’ancien Agent judiciaire du Trésor (Ajt), Sévérine Lawson et présidente du comité de suivi de l’affaire Icc services et consorts. Sur la question, Me Alain Orounla, avocat du collectif des spoliés, salue ces diligences faites par le Parquet spécial pour faire comparaitre toutes les personnes pouvant faire jaillir la vérité dans ce dossier. Mais il invite le ministère public à aller loin en faisant venir de nouveaux témoins révélés par le procès. Il sera rassuré par la cour qui a promis que tout sera fait pour la manifestation de la vérité. Sur ce, le président de la cour poursuit le débat là où il s’était arrêté, lundi dernier. Il invite à la barre Guy Akplogan, président directeur général d’Icc services. L’accusé persiste et signe dans ses déclarations de la veille qu’aucune note administrative n’a interdit la poursuite de ses activités de placement et de collecte de fonds au moment où il cherchait à formaliser sa structure avec la demande d’agrément.
Guy Akplogan confondu
Mais il sera confondu à ce niveau par deux communiqués en date du 19 janvier 2009 et signés du ministre de l’Economie et des Finance d’alors, Soulé Mana Lawani, lus par le président de la cour. Le premier communiqué dénonçait la création et l’ouverture anarchique des Institutions de microfinance (Imf) et invitait les promoteurs de ces structures illégales à se rapprocher de la Cellule de surveillance des institutions financières décentralisées pour se conformer à la loi. Le même communiqué invitait les populations à la vigilance et à n’effectuer leurs opérations qu’auprès des structures légales. Le second communiqué, en date toujours du 19 janvier 2009, demandait à toutes les Imf à faire figurer sur les enseignes de leurs structures les références de leur agrément. Ces deux communiqués ont été diffusés par les médias. Guy Akplogan dit n’avoir pas eu cette information. Il insiste pour dire que sa structure Icc services n’était pas en situation de cessation de payement. Il menait des activités parallèles à travers les fonds collectés et investis qui lui procuraient de gros rendement. Selon lui, si l’activité n’avait pas été suspendue par le pouvoir d’alors, il est en mesure d’honorer tous les engagements avec les clients qui ont souscrit dans sa structure à un contrat de placement de fonds. Il s’agit d’une sorte de tontine à l’américaine, explique Guy Akplogan. Le système est simple. Un contrat est signé au départ : 150 000 F Cfa par exemple. Le client revient trois mois après pour retirer un intérêt de 60 000 F Cfa. Une mention est faite au dos du contrat que le client est passé retirer son premier intérêt. Trois mois après il revient prendre 60 000 FCFA. Il récupère encore 60 000 F Cfa une troisième fois après trois mois. Il prend encore 60 000 FCfa une quatrième fois. Mais cette fois-ci c’est la dernière. Il prend ici son intérêt de 60 000 F Cfa mais en plus du montant déposé c’est à-dire les 150 000 F Cfa. Il a ainsi fini son contrat. Ainsi, en un an le client qui a déposé 150 000 FCFA, gagne 240 000F comme intérêt et reprend son capital. Cette explication du Pdg d’Icc services a permis à la cour de comprendre le fonctionnement du système consistant à payer les premiers épargnants par les placements des derniers. Avec tant de taux d’intérêts, que gagne Icc services ? A cette question du président de la cour, l’accusé est resté évasif. Guy Akplogan dit qu’il investit les fonds dans plusieurs activités notamment de Btp, de forage et autres qui lui permettent de gagner de mirobolantes dividendes pour rembourser le client. Il menait ses activités avec la couverture du chef de l’Etat, Boni Yayi qui était en complicité avec son frère Emile Tégbénou. Ce dernier avait créé la Société nouvelle alliance du Bénin (Snab) qui avait comme directeur d’exploitation Salomon Abou Yayi, frère du chef de l’Etat.
Nicaise Fagnon accablé
Toutes ces relations lui permettaient de faire de gros chiffres d’affaires sur le terrain et de pouvoir payer ses clients, souligne Guy Akplogan. Il révèle avoir même donné cinq millions F Cfa chaque semaine sur deux mois à Nicaise Fagnon, alors ministre chargé des travaux publics afin de gagner le marché de l’aéroport de Tourou à Parakou. Il dit avoir été recommandé par le chef de l’Etat, Boni Yayi, pour gagner ce marché avec ses partenaires. Mais il n’a rien eu par la suite jusqu’à son incarcération. Selon lui, ce que gagne sa structure dépend du bénéfice engrangé sur la période. « Icc services ne fait pas un placement classique. On ne raisonne pas en termes de taux d’intérêt par rapport à celui pratiqué sur le marché formel mais de rendement issu des investissements », précise Guy Akplogan. Il martèle que si l’activité n’était pas bloquée, Icc services n’aurait jamais de problèmes pour payer ses déposants. Il déplore avoir tout perdu dans cette crise. Tous ses bureaux ont été saccagés. Il n’a plus retrouvé un seul document. La commission d’enquête judiciaire, à l’en croire, est rentrée chez son frère Emile Tégbénou pour aller éventrer les cinq coffre-forts cadenassés contenant 27,050 milliards F Cfa. Guy Akplogan était tellement émotionné qu’il a failli couler des larmes, regrettant tout ce qu’il a perdu et surtout les conditions de son interpellation, arrestation et détention à la prison civile de Cotonou puis transféré nuitamment à Kandi via Djougou. La gravité de la déclaration relative à l’affaire de 27,050 milliards Fcfa a amené la cour à inviter à la barre Emile Tégbénou pour apporter des précisions. Ce dernier confirme la déclaration avec la précision que la délégation ayant fait cette opération était composée du commissaire central de Porto-Novo d’alors, Pépin Adjovi, des sieurs Barnabé Adounsiba, le commissaire Dieudonné Lissagbé et le commandant Mohamed Saké. La délégation l’a amené dans la maison mais cagoulé. Elle a défoncé tous les coffres-forts et les conteneurs avec l’aide d’un soudeur du quartier. Une fois en prison, il a appris que la même commission d’enquête judiciaire est retournée dans la maison mais en hélicoptère cette fois-ci. Mais il ignore ce que cette dernière équipe est allée faire à l’intérieur au moment où il est en détention. Face à ces informations qui sont très troublantes, Gustave Kassa, avocat du collectif des spoliés d’Icc services, demande à la cour de convoquer à la barre tous les membres des différents comités et commissions ayant opéré dans cette affaire pour la manifestation de la vérité. Il faut que tout ce monde et leurs bras satellitaires soient mis à disposition de la cour. « C’est trop facile que les gens s’enrichissent illicitement et nous narguent en ville », plaide-t-il avant d’assurer la cour de ce qu’il ne souhaite pas le renvoi à nouveau du dossier. Mais il faut élargir la liste des personnes à convoquer. Me Gustave Anani Kassa sera appuyé par sa collègue Olga Anasidé, avocat de l’Etat béninois. Celle-ci a invité la cour à vite prendre les dispositions au niveau des frontières terrestres, maritimes et aériennes pour que les intéressés ne prennent pas le large. Surtout que le débat est retransmis en direct sur des ondes. Une fois encore, le président de la cour rassure les conseils que les diligences seront faites pour que les personnes citées et dont la présence s’avère nécessaire soient convoquées à la barre. « 27 milliards cherchés chez quelqu’un pendant que le dossier est sous-main de justice c’est grave. Il est important que les gens soient appelés pour que la vérité soit sue », insiste Me Gilbert Attindéhou, avocat de la défense. Poursuivant sa déposition, Emile Tégbénou qui se disait être très proche du président Boni Yayi, confie avoir plusieurs fois reçu en prison la visite de certaines personnalités dont Feu général Robert Sèwadé, le procureur de la République près le Tribunal de première instance de Cotonou d’alors, Justin Gbénamèto et le commandant du cabinet militaire le général Robert Gbian. Celles-ci viennent souvent la nuit pour lui faire des propositions devant conduire à sa libration. Il lui était demandé de ne citer aucun nom de personnalité une fois que le procès va s’ouvrir sur le dossier. Ces personnalités le rencontrent souvent dans le bureau du régisseur de la prison civile après avoir isolé ce dernier. Elles lui promettent en retour de faciliter sa libération dans un bref délai. Emile Tégbénou se rappelle avoir été également sorti nuitamment de la prison pour être conduit tantôt chez le ministre chargé de la Justice d’alors, Grégoire Akoffodji à Védoko à Cotonou, tantôt au palais de la Marina. Ces différentes rencontres nocturnes visaient toujours à le conditionner et à le préparer à ne pas citer de noms une fois qu’il sera devant le juge.
L’ex-procureur général accable
A la suite d’Emile Tégbénou, le procureur général de la cour d’appel de Cotonou, Georges Constant Amoussou, au moment de l’éclatement de la crise Icc services, a été invité à la barre. Le président de la cour l’a invité à déposer en qualité de sachant. Le ministère public n’y trouve aucun inconvénient tout comme la défense notamment Me Hervé Gbaguidi. Mais l’avocat du collectif des victimes, Me Alain Orounla observe plutôt que la qualité minimum que peut avoir l’ex-procureur général près la Cour d’appel de Cotonou dans le dossier est qu’il soit écouté en tant que témoin. Cela, au regard du fait que Georges Constant Amoussou a été mis en cause dans ce dossier pour lequel il a été incarcéré pendant plusieurs années. Il aurait bénéficié de beaucoup de générosité des promoteurs d’Icc services. Sur la préoccupation, le président de la Cour a décidé de l’écouter en tant que sachant avec la précision que cette qualité n’empêche pas la cour de l’écouter en tant que témoins lorsque l’utilité va se faire sentir au cours de l’instruction. Constant Georges Amoussou rappelle à Me Alain Orounla qu’il a bénéficié d’un non-lieu de la cour qui l’a lavé de tout soupçon dans ce dossier. L’ex-procureur général de la Cour d’appel de Cotonou a dit tout ce qu’il savait de l’affaire Icc services pour laquelle il a cru et convaincu son épouse à souscrire à un contrat de placement de 3 millions F Cfa en septembre 2009. A l’en croire, il était beaucoup plus pour un règlement anticipatif de la situation pour éteindre le feu qui couvait au regard du nombre des déposants et de la masse d’argent en cause. Il a suggéré que les promoteurs commencent par rembourser les petits épargnants qui étaient les plus nombreux. Georges Constant Amoussou a fait cette proposition suite à une plainte du ministre de l’Economie et des Finances, Idriss Daouda, par le biais de la Cellule de surveillance des institutions de microfinance l’invitant à arrêter les responsables d’Icc services qui exerçaient illégalement l’activité de collecte de fonds et de placement d’argent. Cette plainte date de janvier 2010. Il dit avoir trouvé cette plainte suspecte et les faits lui ont donné raison par la suite. Il a saisi son ministre de tutelle, le garde des Sceaux Victor Topanou de ce que la démarche du ministère de l’Economie et des Finances n’était pas pertinente. Ce que son supérieur hiérarchique semblait ne pas approuver. Dans la foulée, il a été reçu par le chef de l’Etat à qui il a fait part de sa proposition de voir les promoteurs démarrer le remboursement des épargnants pour limiter l’ampleur de la crise au cas où elle surviendrait éventuellement. Les responsables de Icc services se sont engagés à démarrer le remboursement le 7 mai 2010. Mais rien n’y fit à cette date. Celle du 17 mai 2010 a été également avancée mais rien ne s’est concrétisé. Pendant ce temps, les spoliés attendaient nombreux devant les bureaux de ces structures pour entrer dans leurs fonds. La situation a engendré une émeute à Abomey-Calavi du fait de la mauvaise foi des responsables de Icc services. Ce qui l’a amené à ouvrir une information judiciaire. Les promoteurs de ces structures ont été écoutés sur procès-verbal de la Brigade de gendarmerie d’Abomey-Calavi. Les informations recueillies par les enquêteurs l’ont convaincu davantage que ces promoteurs avaient des relations au sommet de l’Etat surtout au niveau du gouvernement d’alors et de la hiérarchie policière. Son opposition à ne pas soutenir l’arbitraire dans le dossier lui a coûté son poste en juillet 2010. Il a été relevé de ses fonctions par le président Boni Yayi qui l’a reçu en tête-tête à son bureau pour l’informer d’accepter qu’il le sacrifie comme bouc émissaire dans ce dossier. Ce qu’il n’a pas accepté d’autant qu’il ne connait ni d’Adam ni d’Eve les promoteurs de ces structures illégales de placement. Il sera jeté ensuite en prison le 16 juillet 2010. « Ils ont raconté ce qui leur passait par la tête pour me mettre en prison. C’est comme ça que fonctionne le système », dénonce Georges Constant Amoussou qui martèle n’avoir rien bénéficié comme don de ces promoteurs d’Icc services. A la question du ministère public de savoir si ces derniers ne lui ont pas construit de maison, il a clairement déclaré que c’est faux. Sa maison a été bâtie en 2003 avec son épouse qui y a mis la grosse part, bien avant la création d’Icc services, précise l’ex-procureur général près la cour d’appel de Cotonou. Sur ce, le président de la cour a suspendu l’audience pour la reprendre ce matin.
Encadré
Formation du jugement ce mardi 18 décembre 2019
Président : Edouard Cyriaque Dossa, président de la Criet
Assesseurs : Tchognon Richard Limoan ; Adamou Moussa ; Guillaume Lally et Cyprien Tchibozo
Ministère public : Ulrich Gilbert Togbonon, procureur spécial près la Criet
Greffier : Me SouahibouMagazi