Le procureur spécial près la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), Ulrich Gilbert Togbonon, assurant le rôle d’avocat général dans le procès criminel de l’affaire des structures de collecte d’épargne et de placement d’argent dite Icc-Services a requis, ce lundi 4 février, ses peines à l’encontre de chacun des accusés du dossier. Les regards sont tournés, après la plaidoirie des avocats de la défense, ce jour, vers la cour de céans à qui revient le dernier mot.
Encore quelques heures et les accusés de l’affaire Icc-Services seront définitivement fixés sur leur sort. La Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) en charge du dossier devra rendre sa décision. Le ministère public dont le fauteuil est occupé par le procureur spécial près la Criet, Ulrich Gilbert Togbonon, a requis ce lundi ses peines à l’égard de chacun des dix accusés dont deux bénéficiant de liberté provisoire n’ont pas pu comparaître depuis le début de l’audience le 17 décembre 2018.
Lors de ses réquisitions qui ont duré 1 h 54 min, l’avocat général fait le rappel historique de l’affaire Icc-Services. Selon lui, celle-ci révèle les tares de la société qui pense qu’on peut gagner sa vie sans efforts et en croyant aux vendeurs d’illusions. Puisque les promoteurs ont monté un système à la Ponzi qui leur a permis de collecter facilement une recette de 156 milliards soit 5% de taux du Produit intérieur brut (Pib) avec 149 139 victimes, selon un recensement du 3 septembre 2010. La gravité des faits a amené le ministre de l’Economie et des Finances d’alors à déposer une plainte contre les concernés.
Guy Athanase Akplogan, Pdg d’Icc-Services, Ludovic Pamphile Dohou, directeur général d’Icc-Services ; Emile Tégbénou, ex-directeur départemental d’Icc-Services de l’Ouémé/Plateau, Etienne Tchihoundjro, ex-directeur financier d’Icc-Services et Clément Sohounou, ex-chef d’agence d’Icc-Services Lalo, sont poursuivis pour association de malfaiteurs ; escroquerie avec appel au public et exercice illégal d’activité bancaire et de microfinance. Michel Agbonon, ex-chef d’agence Icc-Services de Bazounkpa, Brice Kouton alias Louba, ex-collaborateur d’Emile Tégbénou et Murielle Kouton, ex-secrétaire particulière de Guy Akplogan sont poursuivis pour les faits de complicité d’escroquerie avec appel au public. L’ex-coordonnateur de la Cellule de surveillance des structures financières et décentralisées, Grégoire Cocou Ahizimè et le pasteur Justin Dimon, conseiller spirituel d’Emile Tégbénou sont poursuivis pour les chefs d’accusation de recel d’escroquerie avec appel au public et corruption.
Démonstration juridique
Dans une longue démonstration juridique, l’avocat général a fait connaître chacune des infractions avec les éléments du dossier et de l’instruction à la barre. Gilbetrt Ulrich Togbonon a estimé que le chef d’accusation de malfaiteurs dont le siège se retrouve au niveau des articles 265 et 266 du Code pénal retenu à l’encontre des accusés Guy Akplogan, Emile Tégbénou, Ludovic Pamphile Dohou, Etienne Tchihoundjro et Clément Sohounou n’est pas constitué. En ce sens que Guy Akplogan est l’unique concepteur d’Icc-Services. Il a recruté les autres à travailler avec lui. Le processus décisionnel n’est pas collectif. Mieux, les titres donnés par Guy Akplogan à ses ex-collaborateurs n’ont pas de contenu en réalité, note le ministère public qui se base sur l’instruction du dossier à la barre. Ce qui amène Ulrich Gilbert Togbonon à conclure que Guy Akpolagn est la seule tête pensante de la structure Icc-Services qu’il a créée le 15 décembre 2006. En revanche, le ministère public retient les cinq accusés dans les liens de l’infraction d’escroquerie avec appel au public prévue à l’article 405 du Code pénal. Car, ils ont collecté les fonds sans aucune formalité et avec publicité en abusant de la crédibilité des victimes à qui ils ont fait miroiter des taux d’intérêts mirobolants. Le procureur spécial a noté, par ailleurs, à l’aune des débats, que l’activité de placement en ligne annoncée par Guy Akplogan et qui lui servait à fluidifier les fonds collectés n’existe que de nom. Les fonds collectés ont été utilisés à des fins personnelles. Il en veut pour preuve les biens meubles et immeubles acquis et recensés auprès des accusés à l’éclatement de l’affaire. 150 biens immeubles ont été marqués comme appartenir aux inculpés. 10 biens immeubles pour le compte de la Fédération Icc-Services ; 81 biens immeubles au titre de Guy Akplogan ; 4 pour Ludovic Pamphile Dohou ; 14 pour Emile Tégbénou ; 13 pour le compte de Clément Sohounou et 14 biens immeubles concernant Etienne Tchihoundjro.
Il découle des débats que des charges suffisantes existent pour l’infraction de l’escroquerie avec appel au public. Il en est de même pour le chef d’accusation d’exercice illégal d’activité bancaire et de microfinance. Ici, l’avocat général reproche aux promoteurs d’Icc-Services de s’être donné l’apparence de banquiers sans jamais l’être. L’exercice de l’activité de microfinance ou de banque suppose l’autorisation préalable du ministère des Finances ou de l’autorité compétente. Les promoteurs ont exercé leur activité sans cet agrément. Ce faisant, ils ont enfreint les dispositions de la loi bancaire ainsi que de la loi portant règlementation des activités de microfinace au Bénin.
Diverses fortunes
Gilbert Ulrich Togbonon retient Michel Agbonon, Brice Kouton alias Louba et Murielle Kouton dans les liens de l’accusation de l’infraction de complicité d’escroquerie avec appel au public. L’examen des faits a montré qu’ils ont participé et coopéré activement avec les responsables d’Icc services. A titre illustratif, l’avocat général fait remarquer que Murielle Kouton recrutée le 4 octobre 2007 comme secrétaire particulière de Guy Akplogan a déclaré devant le magistrat instructeur qu’elle a drainé une multitude de clients à Icc-Services. Elle dit avoir bénéficié entre 30 millions à 35 millions comme prime de parrainage alors que son salaire mensuel n’était que de 100 000 F Cfa. Ainsi, de 2007 jusqu’à l’éclatement de l’affaire en juin 2010, le ministère public note que Murielle Kouton a eu le temps de savoir que l’opération de charme de Icc-Services était des manœuvres frauduleuses pour appâter le public.
Revenant au cas de l’ex-coordinateur de la Cellule de surveillance des structures financières décentralisées, Grégoire Cocou Ahizimè, poursuivi pour recel d’escroquerie avec appel au public et corruption prévu à l’article 560 du Code pénal, le ministère public a conclu à son égard que l’infraction n’est pas constituée. Ulrich Gilbert Togbonon requalifie les faits plutôt en blanchiment de capitaux contre Grégoire Cocou Ahizimè qui a reçu par tranches successives la somme de 223 millions F Cfa chez Emile Tégbénou puis, 5 millions F Cfa chez Guy Akplogan pour aider ces promoteurs dans la procédure d’obtention de l’agrément. Grégoire Cocou Ahizimè ne reconnaît qu’avoir reçu trois millions chez Emile Tégbénou et cinq millions auprès du Pdg d’Icc-Services. Qu’à cela ne tienne ! Pour le procureur social près la Criet, l’ex-coordonnateur de la Cellule de surveillance des structures financières décentralisées avait pleinement connaissance de l’origine délictuelle des divers fonds qu’il percevait auprès des promoteurs d’Icc-Services. Il y a lieu de qualifier les faits de recel d’escroquerie avec appel au public en blanchiment de capitaux, prévu à l’article 2 de la loi 2006-14 du 31 octobre 2006 portant blanchiment de capitaux.
Mais relativement à Dimon Justin également poursuivi pour des crimes de corruption et de complicité de recel d’escroquerie avec appel au public, l’avocat général dit n’avoir pas tous les éléments suffisants pour établir la culpabilité de celui-ci. En dehors de la voiture, le pasteur Justin Dimon évalue à 10 millions ce qu’il a pris chez Emile Tégbénou à qui il a fait beaucoup de travaux spirituels dans le cadre de sa Société nouvelle alliance du Bénin (Snab) spécialisée dans les activités de forage. Aucun élément dans le dossier ne montre qu’il avait connaissance de l’origine délictuelle des fonds qu’il recevait auprès de Tégbénou.
Boni Yayi bientôt poursuivi ?
A l’arrivée de sa démonstration, l’avocat général requiert à la cour de céans de condamner Guy Akplogan, Pdg d’Icc-Services à 10 ans d’emprisonnement ferme et au payement de 150 millions F Cfa d’amende ; Emile Tégbénou, directeur départemental Icc-Services de l’Ouémé/Plateau à 10 ans d’emprisonnement ferme avec 125 millions F Cfa d’amende ; Pamphile Ludovic Dohou à 10 ans d’emprisonnement ferme et 100 millions d’amende ; Etienne Tchihoundjro, directeur financier Icc-Services à 10 ans d’emprisonnement dont 9 ans ferme et 75 millions d’amende ; Clément Sohounou, ex-chef agence Icc-Services de Lalo à 10 ans d’emprisonnement ferme dont 8 ans ferme et 75 millions F Cfa ; Michel Agbonon, ex-chef agence de Bazounkpa à 10 ans d’emprisonnement dont 8 ans ferme ; l’ex-coordonnateur Grégoire Cocou Ahizimè : cinq ans d’emprisonnement dont 30 mois ferme et cinq millions d’amende. Ulrich Gilbert Togbonon requiert contre Grégoire Cocou Ahizimè le remboursement des cinq millions F Cfa que lui a remis Guy Apklogan dans le cadre de la procédure d’obtention de l’agrément. Ce qui fait dix millions F Cfa requis contre lui. Le ministère public requiert contre chacun des accusés Brice Kouton alias Louba et Murielle Kouton, 5 ans de prison ferme et 5 millions d’amende à payer individuellement. Il a requis également que mandat d’arrêt soit décerné à leur encontre. Ulrich Gibert Togbonon requiert l’acquittement au bénéfice de doute à l’égard du pasteur Justin Dimon. Il demande à la cour de céans de condamner les accusés au payement d’un franc symbolique à titre de dommages et intérêts. Il faut préciser qu’il ne s’agit que des réquisitions de peines qui ne lient pas forcément la cour de céans qui peut suivre ou ne pas suivre.
L’avocat général requiert à la cour d’aller plus loin dans la décision qu’elle aura à prendre. Car, selon lui, certaines autorités du régime au moment des faits ont failli. Il dit de prendre des mesures idoines pour poursuivre devant les instances compétentes l’ancien président de la République, Thomas Boni Yayi, les anciens ministres Grégoire Akofodji et Armand Zinzindohoué, dame Rebecca Abou Yayi et le sieur Roger Djoba qu’il considère comme des co-auteurs ou complices de cette affaire.