Citoyens du Bénin, aux urnes, le 28 avril 2019 ! Le devoir républicain nous appelle ! Pour choisir nos représentants : les députés de la 8èmelégislature de notre Parlement depuis les premières élections du Renouveau démocratique en 1991.
Depuis quelques mois déjà, les « blocs » politiques se forment, se déforment, se reforment et se réforment. Les passions montent. De même, il y a de l’espace et du temps pour toutes sortes d’initiatives.
Le Civic Academy for Africa’s Future (CiAAF),un jeune think tank – c’est-à-dire un centre de recherches indépendant – a mobilisé un groupe de jeunes intellectuels, experts et citoyens béninois autour de l’initiative Lettres aux Futurs Députés. Ce sont des lettres qui adressent publiquement des préoccupations et des questions de fond, en marge des passions, aux candidats aux législatives du 28 avril 2019. En cela, notre initiative, Lettres aux Futurs Députés, n’a rien d’original. Avant nous, pareille œuvre avait déjà été entreprise avec succès par de respectables aînés – l’Abbé André Quenum, de vénérée mémoire, Mathias Hounkpè et Francis Lalèyè – : Lettres aux présidentiables de 2011[1]. L’originalité de notre initiative se trouvera, peut-être, dans les techniques et les stratégies qui la portent avec les outils d’aujourd’hui.
Mais pourquoi avons-nous décidé d’écrire ces Lettres ?
D’abord, parce qu’il s’agit de notre pays, notre pays à nous tous. Et en tant que citoyens de ce pays, nous avons le droit et même le devoir de débattre publiquement des problèmes qui concernent l’avenir et le devenir de notre pays. L’emploi des jeunes ; l’état de notre système éducatif ; la situation de nos hôpitaux et la gouvernance du personnel médical ; le glyphosate ; la rémunération des emplois publics ; le droit d’accès à l’information, la qualité du travail de nos institutions, la recherche scientifique, bref, l’état de santé de notre Etat.
Le futur député n’a pas encore de visage ou du moins, pour l’heure, il n’a qu’un seul visage : celui du citoyen. Donc, adresser des Lettres aux Futurs Députés, c’est parler avec des citoyens comme nous, c’est échanger « entre nous », entre ceux qui ont le « droit de choisir » et ceux qui peuvent être « dignes d’être choisis ». Et entre nous, on peut discuter en toute franchise de ce qui nous concerne, nous préoccupe, nous inquiète, et surtout sans peur. En plus, les candidats aux élections sont comme nos futurs employés, puisque ce sont nos impôts qui vont payer leurs salaires et/ou indemnités. Donc, vouloir échanger avec les candidats aux élections, c’est à peu près leur faire un entretien d’embauche.
Ensuite, parce qu’il s’agit de l’Assemblée nationale, une institution centrale de notre démocratie. Pendant longtemps, nous avons célébré, peut-être à l’excès, la trop grande puissance du Président de la République. Mais ces dernières années, on a pu observer que le Parlement est en vérité un pilier de notre démocratie sous-estimé, méconnu. Le parlement est un fort qui, selon les circonstances, affiche figure de faible. En dehors de la Constitution, nous oublions bien souvent que toutes les lois, controversées ou non, qui permettent au Président de la République de gouverner sont prises sans exception par l’Assemblée nationale. Même la Constitution, quand vient le moment de la réviser, c’est le Parlement qui tranche. Et sur ce point précis, on a bien vu, dans l’histoire très récente de notre démocratie, combien le Président de la République peut être impuissant de sa toute-puissance. C’est le Parlement qui désigne en majorité les membres (4 sur 7) de la Cour constitutionnelle. Le Parlement fait donc la Cour, sauf dans les cas où la « majorité présidentielle » coïncide avec la majorité parlementaire. Et on peut multiplier les exemples où le Parlement a des pouvoirs très importants mal appréciés de beaucoup d’entre nous, comme par exemple le pouvoir de contrôler l’action du Gouvernement. Quand le Parlement est fort, l’exécutif reste dans sa juste mesure. Quand il est faible, l’exécutif est hyperpuissant. En vérité, sans le Parlement, le Président de la République est un épouvantail. Tous les présidents, les anciens comme l’actuel, peuvent le confesser. C’est pourquoi, tous cherchent à le contrôler. Il est donc important qu’on s’intéresse voire qu’on se préoccupe de savoir qui va, comment et pour faire quoi dans cette institution charnière de notre Etat.
Enfin, parce que les futurs députés vont décider les quatre (4) prochaines années de notre avenir individuel et collectif. Nous sommes, presque tous, dans l’angoisse de demain, les jeunes encore plus. Si nous sommes parents, il suffit de regarder nos enfants et nos derniers neveux, et de songer, en silence, à leur avenir… On est inquiet… On a même peur… L’horizon n’est pas clair… Les signes avant-coureurs ne rassurent guère…Or, à la fin de cette 8èmelégislature, dans quatre (4) ans, en 2023, nous serons à deux ans de la fin de Alafia-2025.Or encore, les législatives d’avril 2019 inaugurent un nouveau cycle électoral : en 2020, les locales ; en 2021, la présidentielle. C’est dire si la législature 2019-2023 est un tournant décisif et sensible dans notre histoire… Les enjeux de fond, de développement, de survie et de vie sont immenses.
Si donc, nous nous résignons à engager le débat sur les préoccupations de fond entre nous et avec ceux qui souhaitent nous représenter à l’Assemblée nationale, nous aurons ainsi démissionné et nous n’aurons aucun moyen conséquent de leur demander des comptes demain. Et après, nous serons irresponsables de nous plaindre. Malheur à ceux qui, face aux enjeux décisifs de leur patrie, détournent, par indifférence ou égoïsme, le regard : « Ça ne me concerne pas », croient-ils. Car, en tous les cas, pour certains d’entre eux, ils ont les moyens de partir… Mais, ils ont tort. Si le pays est mal gouverné, personne n’est épargné, à l’intérieur comme à l’étranger. Si notre pays tombe dans le mal, son ombre maléfique peut nous suivre et nous poursuivre partout, dans la tombe et même outre-tombe. Voilà pourquoi, nous devons nous battre, nous débattre pour débattre de qui gouverne, comment et jusqu’à quand notre pays ? Ceux qui se sont battus pour que nous ayons ce pays tel qu’il est aujourd’hui avaient mille et une raisons d’être fatigués et d’abandonner voire de partir… Et pourtant, ils ne l’ont pas fait. Pour toutes ces mille raisons et pour l’avenir de ceux qui viennent après nous, nous devons continuer à nous battre pour le Bénin. Car, sile pays n’est pas, nous ne sommes pas.
Nous écrivons ces lettres pour quoi faire ?
Pour contribuer à instaurer le débat approfondi et dépassionné sur la qualité de notre Assemblée nationale et de ses futurs membres. Nous ne sommes pas naïfs pour croire que ces lettres vont être absolument déterminantes dans le choix de nos futurs députés. Mais, les candidats doivent nous dire ce qu’ils pensent des problèmes centraux du pays, des lois déjà prises, des lois non prises, des lois qu’ils vont prendre. Et nous, en citoyens éclairés, nous pourrons nous déterminer. Car, il faut que le débat ait lieu !
Si cette initiative devait avoir un mérite, ce serait celui d’installer dans les habitudes des citoyens, notamment les plus jeunes,la culture de la citoyenneté smart.Le citoyen smart, c’est le citoyenqui sait en profondeur, qui est intelligent, réfléchi, stratégique, critique, créatif, réactif et actif ; qui est éveillé afin de veiller. La citoyenneté smart offre au citoyen le réflexe de mettre à jour de façon constante l’ensemble de son système de participation politique ou, si besoin est, de le reformater de façon radicale.
Alors, chers concitoyens, les Lettres vous parviendront au fil des jours, deux à trois fois par semaine. Dès que vous les avez en mains, elles ne sont plus celles de leurs auteurs. Elles deviennent vôtres. Elles sont les Lettres de tous les citoyens. Elles sont très modestes. Elles sont juste une brève introductionau problème qu’elles évoquent. Prenez-les. Appropriez-les-vous, améliorez-les, mûrissez-les et faites d’elles ce qu’il vous semble utile d’en faire pour le bien de notre pays. Au marché, à l’école, à l’Université, au coin de la rue, dans les bureaux, sur la place publique, dans les espaces de paroles et d’actions, à des occasions avec les candidats potentiels, partout où l’esprit citoyen est présent. Les candidats voudront nous servir les réponses que nous aimerions entendre. Leurs réponses d’aujourd’hui ne suffiront point. Le plus important, ce sont les bonnes ou vraies questions que les Lettresposent et les actions citoyennes qu’elles peuvent susciter en chacun de nous. Pour aujourd’hui… ! Surtout, pour demain… !
En définitive, la vertu et la force de nos questions, c’est qu’elles donneront à nos futurs députés une idée de nos exigences citoyennes et de nos attentes rigoureuses sur la tâche républicaine qui sera la leur. Et, – qui sait ? – de la réaction citoyenne, smartet imprévisible, qui sera la nôtre.
Bonne lecture citoyenne !
[1]André Quenum, Mathias Hounkpè, Francis Lalèyè, Lettres aux présidentiables de 2011,Cotonou, Editions La Croix du Bénin/Friedrich Ebert Stiftung, 191 p.