(Une analyse du Juriste, Analyste politique Djidénou Steve Kpoton)
Le vendredi 1er février 2019, la Cour constitutionnelle du Bénin a rendu une décision (Décision EL 19-001) concernant les partis politiques qualifiés pour participer aux élections législatives du 28 avril 2019. Dans le dictum de sa décision, la « Cour de Ganhi » (pour emprunter l’appellation du Professeur KPODAR) a clairement jugé que les partis politiques doivent présenter un « certificat de conformité » à la loi n°2018-23 du 17 septembre 2018 portant charte des partis politiques en République du Bénin. Cette décision est vraisemblablement problématique voire inquiétante. D’une part, elle est discutable en droit (1) et, d’autre part, inconsistante sur le plan politique (2).
(1) Une décision discutable en droit
La décision EL 19-001 pose deux problèmes majeurs en droit. Le premier concerne l’ordre constitutionnel béninois qui semble être méprisé par la Cour et le second a rapport avec le droit en général.
Dans sa décision, la Cour a constaté que « Les partis politiques dûment enregistrés avant la promulgation de la loi n°2018-23 du 17 septembre 2018 portant charte des partis politiques en République du Bénin ont jusqu’au 16 mars 2019 à minuit pour accomplir les formalités de conformité à la charte ». On peut en déduire que juridiquement ces partis politiques existent encore. En conséquence de cette qualité de parti politique et au regard du droit positif béninois, ils jouissent librement de droits au nombre desquels il y a la participation aux élections.
Or dans la même décision, la Cour a jugé que « Les partis politiques qui envisagent de présenter des candidats aux élections législatives doivent se conformer aux dispositions de la loi n°2018-23 du 17 septembre 2018 portant charte des partis politiques en République du Bénin à la date fixée pour le dépôt de la liste des candidats par la production d’un certificat de conformité aux dispositions de la charte des partis politiques délivré par le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique ». Il est clair que la Cour, par sa décision, a créé une nouvelle pièce, le « certificat de conformité », qui n’est ni prévue par la nouvelle loi elle-même, ni requise par le code électoral comme condition de participation des partis politiques aux élections dans la période transitoire de six (06) mois.
Au demeurant, il y a lieu de constater que le juge constitutionnel, sur le fond, s’est substitué au législateur. Ce qui constitue un mépris de l’ordre constitutionnel béninois par la Cour du fait de cette décision.
Deuxièmement, la Cour s’est fondée sur sa qualité du juge du contentieux des élections législatives (voir les articles 81 alinéa 2 et 117 alinéa 3 de la Constitution). S’il est vrai qu’un juge peut, dans son office, palier le silence ou l’insuffisance de la loi, il est évident que nous ne sommes pas en présence d’un silence ni d’une insuffisance de la nouvelle loi sur les partis politiques et du code électoral. Car, comme la Cour même l’a constaté, les partis politiques régulièrement constitués gardent toujours leur vie juridique jusqu’au 17 mars 2019. Dès lors, pourquoi la Cour crée-t-elle du flou dans une situation aussi claire ?
D’ailleurs, la nouvelle loi est entrée en vigueur le 17 septembre 2018, alors que le ministère de l’intérieur (en charge de l’enregistrement des partis politiques) a encore délivré le 18 novembre 2018 des récépissés aux partis FCBE et USL au regard de l’ancienne loi. Pour faire court, si l’on reste dans la logique juridique de la Cour, dans ses compétences de juge du contentieux électoral, les règles du jeu peuvent être modifiées en pleine compétition par elle. Ce qui serait un scandale sur le plan du droit.
(2) Une décision insuffisante et inconsistante sur le plan politique
Au terme de l’article 114 de la Constitution, la Cour constitutionnelle est « l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ». Par cette disposition, le constituant a donné pleins pouvoirs, de façon discrétionnaire peut-on dire, à la Cour constitutionnelle béninoise. Par cette prérogative, le juge constitutionnel béninois peut décanter d’éventuelles voire de potentielles situations pouvant entraîner un blocage du fonctionnement des institutions, par conséquent de notre système démocratique.
La décision en débat fut rendue alors que la CENA a déjà publié le calendrier électoral. Le dépôt des listes de candidatures est prévu du 21 au 26 février 2018. Jusqu’à la date du 10 février, le ministère de l’intérieur n’a délivré aucun certificat de conformité à un parti. Cette situation au niveau du ministère est compréhensible dans la mesure où le dépôt des dossiers de conformité n’a réellement démarré qu’en décembre (fin décembre précisément) 2018. Avec 1155 dossiers au minimum par parti, pour environ 09 partis qui se sont annoncés, la direction des affaires internes du ministère de l’intérieur pourrait se retrouver avec environ 10395 dossiers à traiter et vérifier.
La proximité des réformes politiques et électorales avec la date des législatives est un fait incontestable. Dans un tel contexte, la Cour devrait se fonder sur sa fonction d’organe régulateur du fonctionnement des institutions et des pouvoirs publics pour enfermer le ministère de l’intérieur dans un délai. Ainsi en exigeant la présentation d’un certificat de conformité pour que les dossiers de candidatures soient acceptés au niveau de la CENA, en dehors du récépissé, la décision de la Cour aurait été consistante et conséquente si elle avait ordonné une date butoir pour le traitement des dossiers au niveau du ministère de l’intérieur. Ce faisant, elle aurait joué son rôle d’organe régulateur du fonctionnement des institutions et des pouvoirs publics.
Selon la nouvelle loi portant charte des partis politiques (article 19), le ministère de l’intérieur dispose d’un délai de deux (02) mois pour traiter les dossiers de conformité. Les partis politiques disposent d’un délai de quinze (15) jours pour saisir la chambre administrative du tribunal d’instance en cas d’une notification de non-conformité. Vu que la Cour vient d’écarter les anciens récépissés, preuve de l’existence juridique de certains partis, si une telle situation se présente surtout pour un parti se réclamant de l’opposition, quel que soit son bien fondé, la décision du ministère entrainera de vives tensions politiques.
Il est évident que, par cette décision, la Cour Constitutionnelle vient de complexifier une situation pourtant simple et aussi claire comme l’eau de roche. Sur le plan politique, la décision de la Cour ne règle aucun problème. En revanche, elle en crée davantage. Ajouter au flou qui entoure l’article 242 du code électoral, on peut se demander si la Cour sera à la hauteur des enjeux démocratiques et politiques liés aux législatives du 28 avril 2019 ?
Pour conclure, le protocole de la CEDEAO sur la Démocratie et la Bonne gouvernance interdit toute modification des règles électorales à six mois des élections, sans un consensus des parties prenantes. La Cour vient de modifier les règles électorales de façon unilatérale. Mais jusqu’où ira la Cour dans cette logique ? Comme l’a dit André Malraux, les questions les plus intéressantes sont celles pour lesquelles l’on n’a pas soi-même de réponses.
Djidénou Steve KPOTON
Juriste Analyste Politique.g