Invité de la rubrique « Sous l’arbre à palabres » du quotidien L’Evénement précis le mardi 02 avril, le tout premier ambassadeur du Bénin près la Turquie, Moïse Kérékou a fait un bilan élogieux de son passage au pays d’Erdogan, et surtout de la solide fondation des relations entre Cotonou et Ankara. Fils de feu le général Mathieu Kérékou et détenteur du prix Turgot du livre économique dans la catégorie Mention spéciale du forum francophone des affaires, Moïse Kérékou n’a pas manqué de donner son point de vue sur la gouvernance actuelle du pays, la situation socio-politique liée aux élections législatives et la polémique autour de la résidence ‘’Les Filaos’’ où vécut le général Mathieu Kérékou. Au sujet de la crise électorale, l’ancien ambassadeur s’est montré confiant : «Je fais confiance au génie béninois et je prie pour une solution rapide et inclusive», a-t-il déclaré. Sur la gouvernance du président Patrice Talon, il estime qu’« il y a assurément rupture dans le mode de gouvernance politique et économique » mais pense qu’ « on pourrait faire un bilan complet au terme des cinq années pour en dégager un solde positif ou négatif ». Il prend acte de la sommation du Gouvernement de libérer ‘’Les Filaos’’. Concernant le projet gouvernemental de transformer cette résidence en jardin, Moïse Kérékou estime que « … la famille Kérékou qui occupe et entretient les lieux pourrait normalement être associée et donnerait son avis avant la réalisation d’un tel projet du gouvernement ».
Et si on en parlait
Le 19 mars dernier à Paris, vous avez été primé lauréat du prix du livre économique de la francophonie. Que représente ce prix, et comment en êtes-vous arrivé là ?
En effet, le 14 mars dernier, j’ai reçu à Bercy, au ministère de l’Economie et des finances de la France, le Prix Turgot du livre économique dans la catégorie Mention spéciale du Forum francophone des affaires. Le prix Turgot est l’équivalent du prix Goncourt, mais dans le domaine de l’Economie. Il réunit chaque année, depuis 2008, le gotha de la finance française. Le prix Turgot s’est assigné une double mission : d’une part encourager les auteurs, les reconnaître et susciter des vocations dans le domaine de l’économie financière où les travaux d’écriture sont lourds et peu récompensés ; et d’autre part contribuer à la pédagogie économique en favorisant l’accès d’un public plus large à l’économie financière. Comme chaque année, la 32ème édition s’est déroulée sous le parrainage de Bruno Lemaire, ministre de l’Economie et des Finances de la France.
Pour quel ouvrage avez-vous été primé ?
L’ouvrage qui a été primé est intitulé Union africaine et processus d’intégration. C’est mon premier ouvrage qui est le fruit d’une recherche de Master en Sciences politiques. Il a été publié pour la première fois en 2009 dans sa version originelle en anglais par les Editions allemandes Dr Verlag Müller. C’est la version française sous la supervision du Prof. John Igué qui a été publiée en 2011 par les Editions françaises L’Harmattan. J’ai eu la chance cette année d’avoir au sein du jury des institutionnalistes, des Européens convaincus, des personnes qui croient en l’intégration économique à la fois comme facteur et levier de développement. Quand on parle de Michel Camdessus, c’est l’ancien directeur général du FMI. Quant à Jean Claude Trichet, il fut ancien gouverneur de la Banque de France et ancien gouverneur de la Banque centrale européenne. Le livre traite de la problématique de l’intégration au sein des institutions de l’Union africaine. C’est un livre qui dit grosso modo que les Africains n’ont pas encore compris les contours sémantique, idéologique et théorique de l’intégration. Par ailleurs, ce livre mentionne que l’Union africaine ne dispose pas de maquette de construction. En outre, seule l’intégration fournit une solution à l’équation de la globalisation. On n’a pas le choix, il faut être unis. Nous connaissons tous, le vieux dicton qui dit : « C’est l’union qui fait la force ». Nous sommes trop petits en tant qu’Etat pour faire face à la globalisation. Avec 10 ou 11 millions d’habitants comme au Bénin, vous ne pouvez rien faire face à des Etats comme la Chine avec plus d’1 milliard 300 millions d’habitants, ou l’Inde, 1milliard 200 millions d’habitants… Les Européens l’ont compris et c’est pour cela qu’ils ne vont plus en rangs dispersés. Ils sont unis au sein de ce qu’on appelle l’Union européenne.
Quels étaient en ce moment vos sentiments ?
Un sentiment de fierté, d’abord pour avoir été reconnu parmi les auteurs dans ce milieu très sélect de la littérature économique française. C’est aussi un sentiment de peine. J’étais peiné d’admettre à nouveau que les Africains font fausse route et tant que le sous-développement mental que je stigmatise dans mon deuxième ouvrage, Le manifeste de la relève, n’aura pas été vaincu, nous ne connaitrons jamais le développement. Figurez-vous que les réflexions que contient ce livre sont menées par un Africain et destinées à un public africain. Le sujet abordé est africain, puisqu’il s’agit de la problématique de l’intégration africaine. Malheureusement, depuis 2009, il semble que je prêche comme dans le désert. Il a fallu dix ans d’errance, mais de promotion aussi, pour qu’enfin les Européens, et non les Africains, reconnaissent l’auteur et célèbrent « l’exceptionnelle qualité de cet ouvrage » comme l’a dit Jean Claude Trichet. Ceci vient confirmer l’adage qui dit que « quand vous voulez cacher quelque chose à un Africain, mettez-le dans un livre ». Idem pour le vieux dicton qui dit « nul n’est prophète chez soi ». J’aurais bien voulu que ce soit les Africains qui reconnaissent et célèbrent l’ouvrage. Hélas.
Nommé ambassadeur du Bénin en Turquie en 2013, dites-nous le bilan qu’on peut tirer de votre passage à ce poste ?
Le bilan est globalement positif, à en croire les professionnels du milieu. Avant tout, je dois dire que j’ai été le premier ambassadeur du Bénin en Turquie. Ce qui veut dire que le poste n’existait pas. Je l’ai créé, je l’ai ouvert avec beaucoup de difficultés, car je n’ai eu en tout et pour tout que cinquante millions, au titre de PIP, et cinquante millions, au titre de BESA, contrairement à des postes qui ont été ouverts avec 3, voire 5 fois plus que ça. C’est comme si on vous mettait dans une forêt et qu’on vous disait : produisez ! C’est difficile, car il faut préparer le terrain d’abord. Ce n’est pas un champ prêt à la récolte qu’on vous donne. Mon successeur lui ne fera que récolter, car tout le travail préliminaire a été déjà fait. Une autre image que je pourrais donner, au figuré, c’est le travail de l’architecte qui doit construire un immeuble. Il lui faut préparer une bonne fondation qui pourra supporter le poids de l’immeuble. La résistance, la durée de vie de l’immeuble dépend de sa fondation. L’immeuble peut même s’écrouler si la fondation n’est pas bonne. Donc, en tant que premier ambassadeur, j’étais conscient de la lourde responsabilité que le président Boni Yayi mettait sur mes frêles épaules. J’avais 33 ans quand j’ai été nommé. Je ne me faisais pas l’illusion que le travail allait être rude, mais j’étais confiant en Dieu et en mes capacités, puisque c’est un terrain qui ne m’était pas inconnu. Pour en revenir au bilan, il est globalement positif. J’ai quarante points de réalisations en moins de 3 ans, tangibles, qu’on peut vérifier et qui constituent à la fois le socle et l’ossature de la coopération bénino-turque. On peut en retenir pêle-mêle quelques points. Premièrement, c’est la liaison aérienne entre la Turquie et le Bénin, avec Turkish Airlines qui reste depuis 2012, la plus grande compagnie européenne. L’ouverture de cette ligne a grandement favorisé les échanges entre les deux pays. En deuxième point, l’hôpital d’Adjohoun, d’une valeur de plus de 800 millions de FCFA. Je précise que ce n’est pas un prêt de la partie turque, mais un don que j’ai négocié. Troisièmement, on a signé une dizaine d’accords de coopération, dans pratiquement tous les domaines. Une chose est de signer les accords, une autre est de les mettre en œuvre. En un temps record, nous avons lancé la coopération économique avec trois forums réalisés à Istanbul, Cotonou et Izmir. La coopération humanitaire a été lancée, la coopération décentralisée, et même la coopération militaire, avec la présence dans nos eaux de navires de guerre turcs. En quatrième point, je voudrais mentionner le soutien de l’Agence turque de coopération et de développement dans le secteur agricole pour booster notre coton en termes de rendement et de productivité. Les turcs sont à 6, voire 7 tonnes l’hectare dans certaines zones de la Turquie. Au Bénin, nous étions à moins d’une tonne. Le président Boni Yayi avait voulu qu’on aille à au moins 2 tonnes l’hectare. Les turcs devaient nous aider dans ce sens. Cinquièmement, le Bénin a bénéficié de 26 forages d’eau dans les villes de Pahou et de Ouidah. Sixième point, nous avons élevé le quota de bourses d’étude de 5 en 2012 à 15 en 2013, 25 en 2014, 30 en 2015. Faudrait-il rappeler que la Turquie dépense par an près de 10.000 USD soit plus de 5.500.000 FCFA par étudiant béninois ? Last but not least, et je m’en arrêterai là, sinon on n’en finira pas, c’est l’accord de principe d’un prêt Eximbank Turquie d’un montant de 300 millions de dollars US, soit près de 175 milliards de FCFA obtenu et qui devait servir à la construction du barrage hydroélectrique de Dogo-bis (sur le fleuve Ouémé à Kétou, Ndrl). On m’a rappelé de poste et j’ai quitté la Turquie sans pouvoir réaliser ce prêt, et sans voir ce projet prendre corps. Je ne connais pas la suite qui a été donné à cela.
Comment arrive-t-on à réaliser tout cela quand on est ‘’allogène’’ aux affaires étrangères ?
Ceux qui nous traitaient d’allogène ne savaient pas c’est la maitrise du terrain que j’avais. Il n’en faut pas plus pour réussir dans ce milieu qui ne répond pas aux règles de la diplomatie classique. Je connaissais du bout des doigts la culture du milieu pour avoir vécu aux alentours pendant des années, voire une décennie. J’ai des relations dans la zone qui m’ont spontanément témoigné leur amitié et un bon carnet d’adresses que j’ai dû utiliser pour tisser ma toile.
Deuxièmement, j’ai eu la chance d’avoir eu une bonne formation en sciences politiques, avec une spécialisation en Relations internationales dans une bonne université américaine. Beaucoup ne savent pas que j’ai ce profil. Enfin, j’ai eu la chance d’avoir de bons collaborateurs. Il ne fallait que les motiver, et c’est ce que j’ai appris à faire en temps que manager. Au fait, ma formation de base est en business administration. Cela m’a beaucoup aidé, surtout dans les comptes et la finance de la chancellerie pendant les périodes de soudure, car l’administration financière au département ne suivait pas toujours et n’était pas réactive. Vous voyez que tous les ingrédients étaient là pour réussir. Du poste d’Ankara, j’en ai fait une bouchée, au grand dam des observateurs malins.
Quel est le niveau actuel des relations entre le Bénin et la Turquie depuis votre départ ?
Je dois avouer que je ne sais pas. J’ai fermé la page de la Turquie et je suis focalisé sur autre chose.
Ambassadeur de la paix distingué par Albert Tévoédjrè, comment assurez-vous cette fonction ?
Je l’assume avec toute l’élégance, le sérieux et la responsabilité qui vont avec cette fonction. En diplomatie, nous privilégions le dialogue et la paix. Nous ne sommes pas des hommes de guerre. Ce qui est intéressant dans le métier, c’est lorsque les peuples se disputent et se font la guerre, les diplomates issus des mêmes peuples se parlent et communiquent pour mettre fin à la guerre. Je voudrais profiter de votre tribune pour témoigner ma plus haute considération et mes respects au professeur Tévoédjrè pour sa qualité d’homme visionnaire. Malgré son âge avancé, il continue d’émettre des idées de progrès, et de prodiguer de bons conseils. Son aspiration à la Paix reste inassouvie. C’est ce dont nous avons besoin pour le développement de notre pays. Je pense que ma distinction est liée à ma contribution lors du symposium pour la paix qu’il a initié en 2015. J’avais fait venir une forte délégation de sachants turcs, ce qui a dû l’impressionner, car j’ai été saisi tardivement. Malgré cela, on a fait le nécessaire.
Pensez-vous que le Bénin peut toujours se considérer en paix vu sa position géostratégique dans la sous-région ?
Le Bénin est un havre de paix et nous avons le devoir de conserver cette position. D’une part, le Bénin est un pays qui n’a jamais connu la guerre. Vous verrez que tout autour, il y a eu beaucoup de conflits et de guerres sans que le Bénin soit touché. Nous remercions Dieu pour cela. C’est un acquis qu’il faut consolider. Si nous ne le faisons pas, notre quiétude peut être à tout moment menacée par le terrorisme international à nos frontières, et notre démocratie à l’épreuve des turbulences et instabilités de toutes sortes. On sait quand ça commence, mais on ne sait jamais quand ça finit. Nous devons aspirer à la paix intérieure, la paix dans nos foyers respectifs, la paix pour le voisin et la paix pour le pays entier. Les questions religieuses et les intérêts égoïstes ne doivent pas nous diviser. Maintenons, quel que soit le prix que ça va coûter, l’union et l’unité nationale. Enfin, dans la pratique démocratique, plus précisément dans l’organisation des élections, il faut éviter toute attitude ostentatoire et tensions qui pourraient mettre à mal la cohésion nationale.
Comment appréciez-vous la gouvernance Talon ?
Chaque homme imprime sa marque à ce qu’il entreprend. Le style de gouvernance a donc changé depuis 2016, avec l’arrivée du nouveau président. La rupture est effective au regard des reformes engagées, et d’un certain nombre de décisions prises. Mais comme toute gouvernance, la rupture n’est pas épargnée de contingences humaines et sociales.
Il y a donc des points forts et des points faibles à la gouvernance actuelle. Je constate déjà que les réformes sont des pilules difficiles à avaler et au goût amer, raisons pour lesquelles elles ne sont pas acceptées par tous. Au même moment, il y a certaines réalisations qui, quand même, impressionnent. En matière de mandat politique, le nombre d’années d’exercice qui est donné est cinq ans. Ce n’est pas comme dans les entreprises où vous avez une année. En matière de mandat politique, surtout au niveau de l’exécutif, vous avez cinq ans. C’est au bout des cinq ans que je pense qu’on pourrait faire un bilan exhaustif et dégager le solde positif ou négatif.
Que répondez-vous à ceux qui disent que c’est un style qui ressemble un peu à celui du général Kérékou, un style de gouvernance où on parle moins mais on agit ?
La gouvernance, il faut la prendre le plus largement possible. Quand on parle de gouvernance, il peut s’agir de la gouvernance politique ou de la gouvernance économique. Quand on parle de gouvernance dans un Etat, c’est toutes les institutions qui sont concernées. C’est l’exécutif qui exécute, le législatif qui légifère, et le judiciaire qui juge. On prend un pan de la gouvernance et on généralise. C’est justement ce qu’il ne faut pas faire. Je pense qu’il faut une analyse beaucoup plus large, globale et plus profonde. Je le disais tantôt, chacun imprime sa marque à ce qu’il entreprend. En cela, chaque homme est différent.
Le Bénin s’est engagé depuis peu dans un processus électoral pour le compte des législatives de 2019. Il y a des blocages, le consensus n’arrive pas toujours. Vous suivez certainement l’actualité sur ce plan. Que préconisez-vous actuellement face à l’impasse ?
Je voudrais déjà dire haut et fort que ce qui se passe aujourd’hui n’honore pas notre pays. C’est une honte nationale sur le plan international. Le Bénin a une longue tradition démocratique. Le Bénin, à l’issue de la Conférence des forces vives de la nation de février 1990, a choisi une option politique, la démocratie, et une option économique, le libéralisme économique. Il me semble qu’au niveau de la politique, les lignes ont bougé. Pour la première fois, les différents partis politiques, furent-ils de l’opposition ou de la mouvance, n’arrivent pas à s’accorder sur un certain nombre de points. Je pense qu’il faut remonter à la cause pour trouver la solution. Il faut d’abord identifier les causes avant de trouver la solution adéquate. Lorsque vous arrivez à identifier la cause d’un problème, vous pouvez facilement apporter la solution. Si la cause se trouve au niveau du législatif, la solution s’y trouve également. Si la cause est au niveau du judiciaire, il faut aller au niveau de nos institutions judiciaires pour trouver la solution. S’il se fait que la cause c’est l’exécutif, alors c’est au niveau de l’exécutif qu’il faut dénouer la situation. Je fais confiance au génie béninois dont je parle dans mon dernier ouvrage Le manifeste de la relève. Je fais confiance au génie béninois et je prie pour une solution rapide et inclusive.
Et le 28 avril, s’il y a élection irez-vous voter?
Je suis un citoyen, et un citoyen a le devoir et l’obligation d’aller exprimer sa position vis-à-vis des questions d’envergure nationale. Vous savez, les élections, ce n’est pas tout le temps que nous les avons. Le pouvoir exécutif, c’est tous les cinq ans. Quant au pouvoir législatif c’est tous les quatre ans. Mais avant tout, il faut s’assurer que les élections soient inclusives et que toutes les sensibilités et chapelles politiques soient dûment représentées.
Dans ces conditions, en tant qu’ambassadeur de la paix, est-ce que vous pensez que la paix est menacée ?
Lorsque la gouvernance politique est fortement contestée, la paix est forcément menacée.
Quel message avez-vous à l’endroit de la nation ?
Je n’ai qu’un message de paix. La paix ne peut pas se réaliser sans le dialogue, sans la compréhension mutuelle. Nous sommes tous les fils de ce pays. Nous avons tous des droits et des devoirs. Un parti politique représente une partie du peuple. Exclure un parti de la compétition, c’est exclure une partie d’un droit inaliénable. C’est dangereux. Mon message est un message de paix. Le Bénin est un pays de paix. Nous devons préserver cette tradition de paix. Nous devons tout faire, en tant qu’acteurs à divers niveaux, pour consolider cette paix pour notre propre bien-être, mais également vis-à-vis de la communauté internationale qui nous observe.
Dans un courrier, le directeur du cabinet militaire du président de la République a invité la famille Kérékou à libérer la résidence « Les filaos » le 1er avril 2019 au plus tard. Êtes-vous informé ?
Oui je suis informé.
Comment avez-vous accueilli la nouvelle ?
J’ai lu et je prends acte de ce qui est écrit dans le courrier.
Et que faites-vous pour répondre au message contenu dans le courrier ?
Je pense qu’un futur très proche nous édifiera beaucoup plus sur la question liée à la propriété ou à l’appartenance de la résidence. Il faut laisser le temps au temps pour résoudre certaines choses.
Est-ce qu’à la date d’aujourd’hui (mardi 2 avril, ndlr), vous continuez d’occuper cette maison ?
Oui, nous continuons de l’occuper et de l’entretenir.
Malgré l’ultimatum ?
Nous vivons là. Nous n’avons plus d’autre lieu dans Cotonou qu’on peut considérer comme maison familiale au sens propre du terme. Chaque Béninois, je pense, a ou reconnaît un lieu comme sa maison familiale. Chacun de vous a une maison familiale n’est-ce pas ?
Le ministre Oswald Homeky a indiqué la vision du Gouvernement d’immortaliser le général en valorisant ce site. Comment avez-vous accueilli ce projet gouvernemental ?
Nous avons un projet pour immortaliser le général. Notre souhait, une fois la succession terminée, c’est de transformer tout le domaine en musée car chaque bâtiment, chaque mètre carré a joué un rôle en son temps. Le Gouvernement a aussi un projet d’immortaliser le général à travers un jardin. Il me semble que ces deux projets ont un dénominateur commun : immortaliser l’homme du 26 octobre 1972. Il faut se donner la main alors.
Est-ce à dire que jusqu’aujourd’hui, la famille n’a pas été impliquée ?
Nous portons le nom Kérékou. C’est vrai c’est l’ancien président de la République, mais Kérékou a des enfants, il a une famille. Je pense que pour réaliser un tel projet, il est bien d’y associer la famille. Il est bien d’accompagner la famille aussi dans son souhait de faire du lieu un musée.
Mais c’est vous, Moïse Kérékou, qui étiez le représentant de la famille lors des obsèques du général…
Je n’étais pas le représentant de la famille. Vous savez, pour une famille de cette taille, être le représentant, c’est une lourde responsabilité. Je peux dire humblement que j’étais le porte-parole de la famille. Le général a beaucoup d’enfants biologiques et non-biologiques.
Certains estiment qu’il n’y a pas d’union au sein de la famille Kérékou
Est-ce que ces personnes qui l’affirment, ou la personne qui l’a affirmé a pu en donner la preuve ? J’étais comme beaucoup, surpris. On est au Bénin. Personne et aucun journal n’a parlé de désunion au sein de la famille depuis le décès du patriarche jusqu’à un passé récent. J’y vois une main invisible pour ternir l’image de la famille et souiller un nom qui ne le mérite pas, au regard des sacrifices énormes consentis par le général pour le bien-être du peuple. Vous êtes des professionnels. Vous pouvez faire vos enquêtes. Je pense que nulle part ailleurs vous entendrez que les enfants Kérékou sont divisés ou sont désunis. Je vais même vous faire une confidence : on est plus unis aujourd’hui qu’hier.
Certains pensent que le président Talon fait partie de ceux qui font la promotion de la famille Kérékou avec la nomination de l’un de vos frères au Gouvernement …
Nous avons un frère, vous le connaissez, le ministre Modeste Kérékou, mon frère aîné qui est ministre dans le Gouvernement. Lorsqu’on vous découvre des compétences et qu’on vous nomme, c’est une bonne promotion. Ce n’est pas parce qu’on se nomme Kérékou qu’on n’a plus droit à une promotion. Le ministre Modeste Kérékou avait déjà été nommé ministre de la jeunesse au temps du président Yayi et moi-même, conseiller à l’ARCEP et puis ensuite ambassadeur. La famille s’en réjouit.
La famille a aussi vécu récemment des événements très douloureux…
Oui, tous ces événements que sont la mort de papa, le décès de notre frère, le colonel Hervé, le décès de Yamoudé, sont des événements très douloureux. Mais ce genre d’événements unit encore plus la famille. Je ne vous apprends rien. Vous êtes aussi issu de familles et vous avez dû traverser des événements douloureux et très souvent lorsque cela arrive, la famille est plus soudée.
Depuis le décès du général, on ne voit plus du tout Marguerite Kérékou
Mais nous, nous la voyons. Elle n’est pas une femme politique. Pourquoi voulez-vous la voir ? Et même pendant l’exercice du mandat de son époux, notre père, pendant les dix ans, elle n’était pas une femme extravagante au comportement ostentatoire. Paraître n’était pas son genre. Vous savez, dans un couple, il y a toujours des affinités. Le général n’était pas quelqu’un qui aimait paraître, je pense qu’il en était de même pour son épouse. Aujourd’hui, elle mérite le repos.
Quel héritage moral avez-vous gardé du général Kérékou ?
C’est avant tout l’intégrité, ensuite le respect des valeurs morales et enfin la crainte de Dieu. C’est ce que je retiens de l’homme. Je le dis autrement dans l’oraison funèbre que j’ai lue au nom de la famille lors des obsèques : Mathieu Kérékou homme de sacrifice, de vertus et de foi. Il faut s’en inspirer dans l’exercice du pourvoir suprême, le pouvoir d’Etat.
Quelles sont vos relations actuelles avec le président Boni Yayi qui vous avait nommé ambassadeur en Turquie ?
Nos relations sont bonnes. Il fut un homme bon pour moi, un bon ancien patron et également un second père. Il a fait ma promotion d’abord en tant que conseiller à l’ARCEP, puis il m’a fait ambassadeur dans un pays et pas des moindres. J’étais le plus jeune ambassadeur du Bénin d’abord, ensuite le plus jeune ambassadeur accrédité en Turquie. Je lui serai reconnaissant. Et je profite de cette tribune pour le remercier à nouveau pour ces différentes promotions. J’espère que j’ai été à la hauteur de la tâche qu’il ma confiée.
Carte d’identité: Changer le mental de pauvreté du Béninois
Moïse Tchando Kérékou naît en 1979. Fils du général Mathieu Kérékou et de Amadou Nimata, il fait ses études primaires à l’Ecole publique de Donaten, dans le premier arrondissement de Cotonou. Au secondaire, c’est au CEG Akpakpa Centre qu’il décroche son BEPC en 1993. Et en 1996, il obtient son baccalauréat série G 3 au Lycée technique Coulibaly. Il fait alors la Gestion commerciale à l’Institut national d’économie (ex-INE), avant de décrocher une bourse qui lui permet d’obtenir un Bachelor (Licence) en Management and Business Administration, au Maroc en 2001. En reprenant ses études en 2004, le jeune homme qui ne voulait plus continuer dans sa filière originelle, opte pour un Master en Sciences politiques à l’Université américaine de Beyrouth. En fait, refusant d’être fonctionnaire et tenant à créer des emplois, il avait ouvert une entreprise, la Société africaine de pétrole et d’investissement (SAPIN). Et voilà qu’au cours d’un voyage d’affaires, il rencontre le Guide de la révolution Libyenne, le colonel Mouammar Al Kadhafi. Celui-ci le prend aussitôt en affection. « J’étais systématiquement invité à tous les sommets de l’Union africaine ». Il rencontre alors beaucoup de chefs d’Etats et enrichit son carnet d’adresses. Il participe par ailleurs aux travaux sur la construction de l’Union africaine. C’est de là que lui est venu le goût de l’intégration africaine et de la politique africaine. Le rêve de Kadhafi était la création des Etats-Unis d’Afrique. Au cours d’une discussion houleuse une moite nuit d’été dans le désert de Syrte sous une tente, Khadafi convainc Moïse Kérékou de poursuivre ses études en sciences politiques afin de lui apporter une réponse à la question de savoir pourquoi son rêve avait du mal à prendre corps. « Il n’arrivait pas à comprendre pourquoi, malgré tout les efforts et moyens mis, ça ne marchait pas », se souvient Moïse Kérékou. Les recherches qu’il effectue dans ce cadre, le mènent à comprendre que l’intégration africaine dépend d’une forte et tenace volonté politique et de la qualité des institutions mises en place. L’Université américaine de Beyrouth est l’université américaine la plus prestigieuse en dehors des Etats-Unis. Il y entre sur recommandation du Guide. C’est là qu’il achève son Master en Sciences politiques en 2007. Il entre ensuite en politique et fonde en 2009 le Mouvement pour la Relève ; ce qui lui vaut d’être nommé conseiller à l’Autorité de régulation en 2011 et par la suite en décembre 2012, premier ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Bénin en Turquie.
Moïse Kérékou est aussi un écrivain. En 2009, il transforme son mémoire de Master en un ouvrage intitulé Union africaine et processus d’intégration. En 2016, il publie son second ouvrage, Le manifeste de la relève, qui fait un diagnostic profond du sous-développement au Bénin. « Pour moi, la cause profonde du sous-développement, c’est la pauvreté mentale… Et comme un virus dans un système informatique, cette pauvreté, créée pendant l’esclavage a pénétré le corps humain de l’Africain et est allée se loger dans son système de commandement au niveau du cerveau», conclut l’écrivain. La thérapie qu’il propose passe par l’éducation, la morale et les bonnes pratiques pour vaincre cette aliénation mentale.
Intimité:Un homme de Lecture et de Méditation
Marié et père de 3 enfants, Moïse Kérékou apprécie son épouse pour sa compréhension et sa présence dans ses moments de difficultés. A table, il aime la sauce gluante « Asrokouin » accompagnée de la pâte « agbéli » et du poisson fumé. Il trouve également son bonheur avec la sauce légume « aman vivè » avec des crevettes gambas ou du poisson fumé accompagné de l’igname pilé. En termes de boisson, il aime bien le vin, mais prend de temps en temps de la bière, et quelque fois des jus de fruits. En termes de sport, il a fait du basketball, le football, le cyclisme, mais aujourd’hui il préfère la marche. Comme loisir, la méditation, la lecture et les voyages occupent ses temps libres.