La bioaccumulation des métaux lourds dans les ressources halieutiques est une réalité au Bénin. Un véritable danger pour la population, qu’évoque l’Environnementaliste-écotoxicologue et Consultant Roméo Adamou. Suivez l’interview
Qu’entend t-on par bioaccumulation ?
La bioaccumulation est un phénomène qui désigne la capacité des organismes à absorber et concentrer dans tout ou une partie de leur organisme, certaines substances chimiques, éventuellement rares dans l’environnement (oligoéléments utiles ou indispensables, ou toxiques indésirables). On distingue la bioaccumulation par l’individu ou bioconcentration et la bioaccumulation entre individus ou bioamplification. On parle de bioconcentration lorsque la concentration en polluant dans un organisme vivant est supérieure à la concentration de ce polluant dans le biotope de l’organisme. La bioamplification ou biomagnification désigne le processus par lequel la concentration d’un polluant a tendance à augmenter le long d’une chaîne alimentaire.
Et pourquoi parlez-vous de bioaccumulation des métaux lourds ?
D’abord les métaux lourds sont des polluants chimiques toxiques non dégradables. Ce qui signifie qu’ils sont quasi-totalement indestructibles dans l’environnement. Ils sont donc très persistants et sont capables de pénétrer directement dans la chaîne alimentaire, exposant l’Homme à une intoxication lente mais certaine car en réalité, ils ont des caractéristiques de bioaccumulation. Et on peut citer entre autres le plomb, le mercure et le cadmium –les métaux lourds les plus toxiques- qui, tout au long de la chaîne alimentaire, se concentrent dans les organismes vivants et peuvent ainsi atteindre des concentrations très élevées dans certaines espèces halieutiques consommées par l’Homme.
Voulez-vous donc dire que les métaux lourds s’accumulent dans des espèces halieutiques ?
Exactement ! Il existe en fait des espèces dites bioaccumulatrices, c’est-à-dire capables de concentrer dans leur organisme des métaux lourds sans que cela ne les affecte gravement. Ainsi, plusieurs travaux scientifiques au Bénin ont révélé des concentrations élevées de plomb, de cadmium, de mercure, d’aluminium, d’arsenic, etc dans les poissons, les crevettes, les huîtres et autres ressources halieutiques. D’autres travaux ont même montré la tendance des crevettes à accumuler plus du plomb que les autres métaux lourds tandis que les huîtres semblent avoir la tendance à accumuler plus le cadmium que les autres métaux lourds. Ce qui justifie d’ailleurs que ces espèces halieutiques sont de véritables bio-indicateurs.
Qu’est-ce qu’un bio-indicateur ?
Un bio-indicateur ou indicateur biologique est une espèce qui reflète l’état du milieu dans lequel il vit. C’est-à-dire une espèce à la base de laquelle on peut déterminer l’état de pollution d’un milieu grâce à aux capacités de bioaccumulation de l’espèce. Donc il s’agit d’une espèce biologique qui indique l’état de pollution d’un milieu.
Quelles sont les conséquences de la consommation de ces métaux lourds sur la santé humaine ?
Les conséquences de la consommation de ressources halieutiques contaminées par les métaux lourds sont nombreuses. Déjà il faut que les populations sachent qu’en consommant les ressources halieutiques issues de cours d’eau ou plan d’eau pollués, ils peuvent ingérer des concentrations élevées de métaux lourds à cause du phénomène de bioamplification le long de la chaîne alimentaire. Alors, lorsque les quantités ingérées via les ressources halieutiques contaminées sont élevées, le plomb par exemple peut migrer jusque dans les alvéoles pulmonaires et passer dans le sang où il peut alors soit se fixer aux hématies, soit être stocké dans les tissus (os, foie, rein, poumon, cerveau). Les intoxications chroniques se traduisent par des effets sur le système nerveux central ou saturnisme : irritabilité, troubles du sommeil, anxiété, perte de mémoire, confusion…. Chez les enfants, le plomb peut avoir des effets sur le développement cérébral et les fonctions cognitives. Le plomb peut être aussi à l’origine d’effets hématologiques (anémie par inhibition de la synthèse de l’hème), d’atteintes rénales, d’hyperthyroïdie ou de troubles du système immunitaire. Selon l’IARC (International Agency for Research on Cancer), le plomb et ses dérivés sont classés dans le groupe 2B c’est-à-dire « substance potentiellement cancérigènes pour l’Homme ». Pendant que le cadmium et ses dérivés appartiennent au groupe 1 soit « agent cancérigène pour l’Homme ». Ainsi chacun de ces métaux toxiques a ses conséquences sur la santé humaine. Tout ceci justifie l’importance de veiller sur son alimentation.
Est-ce à dire que les populations ne doivent plus consommer les poissons et autres ressources halieutiques ?
Non, il ne s’agit pas de ne plus du tout consommer les poissons et autres ressources halieutiques car on a après tout besoin de leurs protéines. Une étude scientifique conduite ici au Bénin a démontré que lorsqu’on frit les poissons, les métaux lourds étant liposolubles migrent vers l’huile. Ainsi d’un point de vue toxicologique, il serait conseillé aux populations de préférer frire plus le poisson que de le bouillir afin de réduire la concentration de métaux lourds qui s’y seraient accumulés avant la cuisson. Il ne s’agit donc pas d’interdiction de la consommation des poissons et autres ressources halieutiques, mais plutôt de précaution scientifiquement prouvée à prendre pour se garantir une bonne santé.
Quel appel lancez-vous donc à la population béninoise ?
J’appelle la population béninoise à d’abord veiller sur son alimentation, ensuite à prendre l’habitude de consommer du poisson frit plutôt que du poisson bouilli et enfin à varier ses repas, tout ceci dans le seul objectif de rester en bonne santé.