Porter la production d’ananas de 400 000 tonnes aujourd’hui à 600 000 tonnes et l’exportation à 12 000 tonnes par an dès 2021, telle est l’ambition du gouvernement. L’accès au crédit et aux terres agricoles, la transformation sur place, l’amélioration de la rentabilité et de la compétitivité et d’autres facteurs d’exportation restent des défis à relever pour profiter de toutes les potentialités qu’offre cette filière en termes de résorption du chômage des jeunes et de contribution à l’économie nationale.
Si les producteurs voulant avoir des variétés à la chair colorée sont tombés dans le panneau des overdoses d’éthéphon et ont vu dans un passé récent leurs stocks de fruits rejetés, le Bénin remonte tout doucement la pente en matière de culture d’ananas. La production nationale avoisine aujourd’hui les 400 000 tonnes, faisant de ce fruit exotique le troisième produit agricole en termes de contribution au produit intérieur brut (Pib), après le coton et l’anacarde, selon le ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche (Maep). En effet, l’ananas contribue à hauteur de 4,3 % du Pib agricole et 1,2 % du Pib global.
Le pays montre ses atouts pour le développement de cette spéculation depuis les années 70, 80, avec le climat et le sol du Sud-Bénin qui concourent à la qualité exceptionnelle de l’ananas (Ananas comosus) dont les variétés vedettes restent ‘’le pain de sucre’’ et la ‘’Cayenne lisse’’. La filière lancée à Sékou en 1972 par la Société dahoméenne des fruits (Sodaf) remplacée plus tard par la Société nationale des fruits et légumes (Sonafel), a connu son essor grâce aux sociétés privées telles que Fruitex Industrie, Agrimax, Fruit d’or, Gie Atlantique et autres partenaires tels que la Banque béninoise de développement (Bbd), la Coopération française, l’Union européenne à travers le Comité de liaison Europe-Afrique-Caraïbes-Pacifique (Coleacp), la Coopération suisse. Leurs actions s’inscrivaient dans le cadre du projet Relance de l’ananas en Afrique de l’Ouest et du Centre qui a permis la mise en place d’un Centre technique de l’ananas, la construction de deux centres de tri et de conditionnement à Allada et Glo, mais qui sont hors d’usage depuis un bon moment.
La filière, quoique marquée par une certaine léthargie, a servi de tremplin pour l’auto-emploi et a vu naître en son sein des micro, petites et moyennes entreprises dans les domaines de la production, de la transformation et de l’exportation. Mais une crise a affecté la filière avec le rejet des stocks béninois par les Européens pour overdose d’éthéphon, un pesticide auquel ont eu recours les producteurs pour accélérer la croissance des fruits et accentuer leur coloration jaune. Cela a amené le Bénin à suspendre de son propre gré de décembre 2016 à août 2017 l’exportation des ananas colorés par cette substance nuisible à la santé dont les résidus dans les fruits dépassaient les normes admises par l’Union européenne (Ue).
Le Projet de transformation de l’ananas pour l’exportation (Pinex) de Partners of development (Pfd) appuyé par le Coleacp, et avec le soutien des acteurs professionnels et autres assistants à la filière, a permis d’élaborer une stratégie de sortie de la crise. Une fiche de levée de l’auto-suspension des exportations de l’ananas éthrélé a été conjointement présentée par les ministres en charge de l’Agriculture et du Commerce en Conseil des ministres qui l’a adoptée lors de sa séance du 2 août 2017. Ainsi, les exportations d’ananas coloré à l’éthéphon ont été autorisées à reprendre, neuf mois après l’interdiction suite à des recherches sur les bonnes pratiques de culture et de conditionnement d’ananas au Togo, au Ghana et sur place. Le Laboratoire central de sécurité sanitaire des aliments (Lcssa) a été équipé pour contrôler les quantités de résidus de la substance dans l’ananas en vue de répondre aux exigences du marché international.
Rentabilité et opportunité d’investissement
La culture de l’ananas rapporte assez de revenus pour le producteur. Avec le respect des itinéraires techniques et l’apport convenable des intrants, le rendement peut aller jusqu’à 60 ou 65 tonnes à l’hectare pour le moment. Le producteur peut espérer 3 millions F Cfa à l’hectare au bout des 18 mois que dure la production et peut ainsi en tirer un bénéfice de plus de 1 million F Cfa en moyenne voire plus. Le revenu est plus consistant et peut même doubler si l’ananas est exporté. Car, le marché le plus bénéfique pour l’ananas du Bénin est incontestablement celui de l’Europe où le ‘’pain de sucre’’ béninois reste un label prisé. Mais il convient de diversifier les champs d’exportation en saisissant les opportunités du marché régional sur lequel le plus grand consommateur de l’ananas béninois est le Nigeria voisin. Le Niger, le Burkina Faso, le Togo sont également consommateurs des fruits et des jus en cannettes ou en bouteilles provenant du Bénin.
Toutes choses qui font dire à Jean-Xavier Satola, président de l’Association nationale des exportateurs d’ananas du Bénin (Aneab), que l’ananas est un gisement d’emplois et de valeur ajoutée pour l’économie nationale. « Nous pouvons faire de l’ananas l’un des leviers les plus importants pour le développement du pays ; il peut offrir des paquets de solutions au problème récurrent de chômage auquel se trouve confronté le Bénin », souligne l’ex-enseignant des sciences de la vie et de la terre (biologie-géologie) qui a abandonné la craie pour se consacrer à la production et à la commercialisation de l’ananas.
Ambitions et défis
Porter à 600 000 tonnes par an à l’horizon 2021 la production d’ananas, c’est l’ambition du gouvernement qui a identifié, dans son programme d’action, l’ananas comme une filière phare de concentration de ses efforts de développement, selon
Gaston Dossouhoui, ministre de l’Agriculture. Mais la production se trouve confrontée à un lotissement sauvage et un urbanisme anarchique des terres agricoles. « Il est bon de faire des lotissements raisonnés et intelligents, de limiter l’occupation de l’espace pour des constructions pour laisser aux agriculteurs les terres favorables à leurs cultures», conseille-t-il. « On peut faire la politique de gestion de l’espace en érigeant les bâtiments en hauteur et non de façon latérale», suggère le ministre.
En matière de commercialisation, il est question de porter la quantité exportée qui tourne actuellement autour de 4500 tonnes environ à au moins 12 000 tonnes l’an, poursuit-il. Mais, le Plan stratégique de développement du secteur agricole (Psdsa 2025) du Programme d’action du gouvernement (Pag) met la barre plus haute : 24 000 tonnes d’ananas à exporter vers l’Union européenne, tout en améliorant les rendements de 60 à 80 tonnes par ha.
Pour Jean-Xavier Satola, atteindre les 12 000 tonnes d’ananas exporté par an n’est pas un vœu pieux. « C’est une ambition qui peut être réalisée avec la détermination de tous les acteurs de la filière », assure-t-il. Pour ce faire, il importe de trouver une solution au manque de scanner qui empêche d’envoyer de gros volumes vers l’Europe, préconise le président de l’Association nationale des exportateurs d’ananas du Bénin. Jusqu’à présent, le scanning se fait par carton alors qu’il y a la possibilité de le faire par palette afin de ne pas détériorer les cartons avant même la destination. Mais en plus du scanner à palette, il faut un hangar d’attente pour les fruits (quai fruitier) à l’aéroport, ajoute-t-il.
Même à 12 000 tonnes l’an, la quantité exportée resterait insignifiante (2 %) par rapport à la production nationale. Il est question de porter à au moins 20 à 30% dès 2021 la quantité de la production transformée sur place qui est à peine à 10 ou 15 % actuellement, souligne le ministre Gaston Dossouhoui. Aussi, importe-t-il de trouver d’autres chaînes de valeur ajoutée qui valorisent le fruit telles que l’ananas séché, les découpes d’ananas, et d’autres transformations agroalimentaires comme la confiture, afin de saisir les opportunités du marché.
Loin d’une chimère
Pour aller à la production record dont rêvent les acteurs de la filière, il convient de jouer sur les facteurs de production et sur les itinéraires techniques. « Le rêve de 600 000 tonnes d’ananas par an ne pourra être atteint que lorsque les producteurs ont un accès facile aux intrants spécifiques (sulfate de potasse, urée) et aux conseils agricoles », précise le ministre Gaston Dossouhoui. Outre les engrais spécifiques suivant les formules appropriées, des bâches biodégradables devront être à proximité des exploitations pour permettre aux paysans d’avoir un accès physique et économique plus facile. C’est en ce sens que l’inauguration en février dernier de quatre centres communautaires au profit des producteurs du plateau d’Allada, est salutaire pour rendre disponibles les facteurs de production au niveau des exploitations.
Implantés dans quatre villages à savoir Avazounkpa et Ahouannonzoun dans la commune d’Allada, à Tandahota (Tori-Bossito) et à Zanzoun (Zè), ces centres dénommés « Community-based centers » comportent chacun un magasin de stockage d’engrais, une salle de formation et un module de toilettes à deux cabines. Leur première vocation est l’acquisition de connaissances techniques pour améliorer la productivité de l'ananas. L’autre utilité de ces centres, c’est qu’ils constituent des cadres d’acquisition d’intrants agricoles (engrais, matériels de culture) nécessaires à la production des ananas de qualité. Les autres zones de production, notamment les communes d’Abomey-Calavi, Ouidah, Kpomassè, méritent également l’implantation de ces centres pour booster la production.
L’autre frein à l’essor de la production d’ananas, comme c’est le cas de l’ensemble des spéculations agricoles, reste l’absence de lignes de crédit spécifique dont ont besoin les jeunes et petits producteurs pour se lancer ou développer leurs exploitations. En effet, peu d’entre eux ont facilement accès aux intrants pour la fumure (Npk, urée), l’hormonage (carbure, diuron, hyvar X) et le déverdissage (éthrel), à défaut des engrais chimiques spécifiques. Pour lever quelque peu cette contrainte majeure à la production, le gouvernement a récemment mis sur le marché un stock de près de 4 000 tonnes de sulfate de potasse à prix subventionné au profit des producteurs d’ananas. Ils pourront donc obtenir ces engrais au prix de 6000 F Cfa le sac de 50 kg (120 F/kg) au lieu de 13 000 F le sac (260 F/kg), soit une réduction de plus de 50 %, auprès des Agences territoriales de développement agricole (Atda). Il est ainsi question d’assurer l’accessibilité physique et économique des producteurs à ces engrais. Des mesures pour faciliter l’accès des professionnels aux intrants et au financement de leurs activités sont prévues dans un avenir proche, annonce le ministre. En sus, les producteurs espèrent la mise à disposition de films polyéthylènes qui les soulagent en termes de lutte contre les adventices, de rendement, tout en réduisant le cycle de production (14 mois pour les variétés améliorées au lieu de 18 mois habituellement).
Après la mise en place de l’Association interprofessionnelle de l’ananas béninois (Aiab) présidée par Bertille Marcos Guèdègbé, le suivi et l’accompagnement technique des producteurs, le contrôle de qualité des produits, les actions de promotion du pain de sucre sur le marché européen, sont nécessaires pour assurer un avenir radieux à la filière.
Pinex : l’espoir !
L’espoir des producteurs, exportateurs et transformateurs repose depuis peu sur le Projet de transformation de l’ananas pour l’exportation (Pinex) mis en œuvre depuis octobre 2016 par l’Ong américaine Partners for development (Pfd), sur financement du département américain de l’Agriculture (Usda). Selon Cynthia Taha, représentante résidente de Pfd au Bénin, ce projet vise trois objectifs: améliorer la productivité de l’ananas dans le département de l’Atlantique, renforcer la transformation de l’ananas en jus et autres produits dérivés et augmenter la commercialisation et l’exportation de l’ananas et ses dérivés. «C’est un projet de cinq ans (2016 à 2020) qui va impacter 4 000 producteurs d’ananas, 60 entreprises de transformation et 6 entreprises d’exportation d’ananas et ce, dans le but de renforcer l’exportation des ananas du Bénin et ses dérivés vers les marchés africains et de l’Europe », précise-t-elle.
A terme, Pinex entend contribuer à tripler les ventes d’ananas frais au-delà de 26,8 millions de dollars US soit environ 16 milliards F Cfa dont plus de 1 million de dollars US (570 millions F CFA environ) vers l’Europe ; augmenter les ventes régionales de jus d’ananas de plus de 3 millions de dollars soit 1,7 milliards F Cfa et augmenter les ventes en détail d’ananas séchés de plus de 150 %, soit à 273 000 dollars US (150 millions F Cfa) au moins.
Les ambitions sont nobles mais pas irréalisables. C’est dans ce cadre que le projet a réalisé quatre « Community-based centers » gracieusement mis à la disposition des organisations paysannes bénéficiaires à savoir le Réseau des producteurs d’ananas du Bénin (Repab), l’Association nationale des exportateurs d’ananas du Bénin (Aneab) et l’Initiative pour la relance de l’ananas (Ira). Deux jours après la remise des centres communautaires, le Pfd a procédé à l’inauguration d’une chambre froide, d’un coût de 158 millions F Cfa, alimentée par une mini-centrale solaire au niveau de la zone Fret de l’aéroport Bernardin Cardinal Gantin de Cotonou. A défaut d’une chaîne de froid à la disposition de chacun, c’est un rêve vieux de plus de trois décennies qui est réalisé pour le bonheur des exportateurs d’ananas. Désormais, leurs cargaisons destinées aux marchés d’Europe et d’ailleurs sont gardées dans de bonnes conditions dans cette unité de réfrigération d’une capacité de 18 tonnes d’ananas, pour préserver la fraîcheur et le goût et assurer l’hygiène et la durée de vie des fruits avant d’atterrir sur les marchés d’Europe et d’ailleurs