La huitième législature s’est installée ce jeudi 16 mai 2019, sous la haute surveillance de l’armée et de la police. La tension électorale et postélectorale a profondément divisé les Béninois sur de nouvelles lignes de fracture qui n’avaient jamais existé par le passé.
Les divisions nées de ce vote historique ne sont pourtant pas claires. D’un côté, on note ceux qui soutiennent le gouvernement. Ils identifient le jeu de l’opposition comme attentatoire à l’ordre public. Je suis personnellement de ceux qui pensent qu’en dépit de tout ce qu’on peut lui reprocher, une loi votée et promulguée reste exécutoire, en attendant que de nouvelles dispositions voient le jour. Mais les députés de l’opposition, comptant sur un pseudo-consensus qui n’existe pas en politique, ont choisi de braver lesdites lois, après avoir échoué à se coaliser comme l’exigent les nouvelles lois. L’échec de leurs tentatives d’union, du fait de la guerre des égos et des logos, comme disait Candide Azannaï dans l’une de ses conférences de presse, constitue le point nodal d’une stratégie consistant peu après à diaboliser les lois votées pour permettre aux partis incapables de s’unir d’aller aux élections. Mais on ignore souvent qu’en politique tous les coups sont permis. Le refus de se conformer à la loi a fait prendre du retard à ces partis et permis au pouvoir de profiter des failles béantes que la loi lui donne le droit d’exploiter.
Je me rappelle qu’en 2008, MackySall était encore président de l’Assemblée nationale du Sénégal, lorsque la majorité présidentielle avec laquelle il ne s’entendait plus, avait décidé de réviser la Constitution. Son mandat de président de l’Assemblée avait été ramené de cinq ans à un an, l’obligeant à quitter le perchoir du parlement où il venait de faire justement un an. J’étais à Dakar en avril 2012 lorsqu’il prenait le pouvoir après tant de péripéties. Jamais il n’avait ameuté la foule ou opposé une quelconque résistance à l’application de la loi qui, visiblement, était ciblée contre lui. Ces révisions constitutionnelles successives qu’il était parvenu à présenter comme iniques à l’époque, vont au contraire servir à son inexorable ascension. Il ne saurait en être autrement. La démocratie est par essence la loi de la majorité. En opposant une résistance aveugle à la loi, même inique et arbitraire, l’opposition béninoise s’est trouvée à faire le jeu des extrémistes qui nourrissent toujours le dessein fou de renverser Patrice Talon. Une partie du peuple l’a bien perçu et a vu comment des médias et organismes internationaux ont été manipulés à cette fin.
Mais d’un autre côté, ceux qui sont convaincus du bien-fondé de la démarche de l’opposition ne comprennent pas comment ce sont seulement les deux partis d’émanation présidentielle qui ont fini par passer entre les mailles des nouvelles réglementations. Ils restent convaincus qu’au ministère de l’Intérieur, des manigances ont eu lieu pour empêcher l’opposition de compétir. Et là encore, peut-être qu’ils ont raison, sauf qu’en dernier ressort le président de la République a fini par demander à tous les camps de s’entendre sur un minimum à l’Assemblée nationale, seule habilité à résoudre la crise. L’opposition n’en a jamais voulu, demandant finalement l’impossible, c’est-à-dire l’abrogation de la loi et le retour aux anciennes dispositions. Il n’y a pas mieux pour des adversaires qui se savent en position de force. La mouvance ne s’est pas fait prier pour aller jusqu’au bout de sa logique. Et l’opposition, empêtrée dans ses propres contradictions et minée par une vision surréaliste du mandat présidentiel, est restée sourde à tous les appels qui lui disaient qu’un président ne peut jamais à lui seul, interférer dans le jeu électoral en annulant le processus ou en le repoussant à sa guise.
Nous sommes finalement arrivés à un carrefour où les divisions sont tranchées. Contrairement aux anciennes divisions sociopolitiques basées sur la région et l’ethnie, les césures actuelles empruntent beaucoup plus à une certaine conception de la politique, encore diffuse certes, mais remarquablement polarisée. Ces divisions pourraient se matérialiser au plan électoral si l’opposition parvient à rebondir comme Macky Sall, en se formalisant selon les nouvelles lois devenues incontournables, pour aller à la conquête du pouvoir, d’abord au plan local et ensuite à l’échelon national. Mais il s’agit forcément d’un défi de restructuration pour une opposition qui peine à s’entendre en son propre sein sur un minimum opératoire.
D’une manière ou d’une autre, la configuration qui s’actualise sous nos yeux s’arrache à l’ethnicisation de la scène politique. Elle a ses propres bénéfices mais aussi ses revers.