Kilibo, 26 février : tirs à balles réelles par des chasseurs manipulés par nos gens-bien. Policiers blessés. Cotonou, 2 mai : tirs à balles réelles par les forces de l’ordre pour rétablir l’ordre. Des blessés et des gens élevés brutalement au rang de ‘‘mânes de nos ancêtres’’. Entre les deux séries de tirs, nos gens-bien ont tenu des propos incendiaires dans les micros, fait rédiger des textes enflammés dans les journaux, fait flamber les réseaux sociaux. Ils ont appelé les électeurs à ne pas aller aux urnes et n’y sont pas allés eux-mêmes. Héroïque. Et nos gens-bien, anciens patati et patata, doivent se réjouir d’avoir enrichi l’au-delà de Béninois, potentiels revenants. Oui, des trépassés reviennent parfois : velours chamarré, tam-tam déchaîné, danse endiablée. Sinon, nous avons droit désormais au silence éternel de ceux qui ont été envoyés ad patres le 2 mai à cause du noir désir de nos gens-bien.
Nos gens-bien se sont aussi habitués au silence des enfants de la rue. Ainsi nommés sans cynisme mais par pur réalisme. Ils sont la demi-douzaine par maman abandonnée sans moyen de revenu, la quinzaine par géniteur coureur parti sans adresse. Ils ne sont pourtant pas dits enfants de gens inconscients et irresponsables, ils sont dits enfants de la rue. Leur silence mendiant ne nous fait pas plus d’effet que le bavardage vénal et aguicheur des filles dans les bars. Trop souvent violentées à 13-14 ans, les voilà à 18-20 ans avec deux enfants-sans-père, confiés à maman au village ou dans un quartier miteux de la ville. Les filles dans les bars rient avec les messieurs venus boire pour les voir et qui les tripotent à ciel ouvert comme des choses de joie. Chaque jour d’ailleurs, un tripoteur emporte au loin une tripotée pour un traitement d’alcôve tarifé 2000 f CFA, dont la fille se servira pour soulager un peu sa maman en charge de ses enfants. Hier enfants de la rue, les filles dans les bars sont aujourd’hui filles de joie jusqu’à ce que le sida les arrache à l’affection de leurs enfants. Et nous ferons expliquer par la sorcellerie l’extinction abrupte et précoce des filles dans les bars : une vieille tante, à qui elle a refusé de l’argent, a mangé l’âme de la fille dans le bar. Fatalité. En avant la musique ! Sans LEPI, les filles dans les bars ne votent pas et ne s’en soucient pas. Leur indifférence au truc électoral ne nous fait aucun effet, pas plus que ne nous a surpris l’absence des électeurs habituels. Il n’y a pas eu, cette fois-ci, une foultitude de candidats pour les acheter pendant cent meetings, les appâter avec sacs de riz, bidons d’huile, spaghettis en tas, etc., jusque tard dans la nuit précédant le scrutin. Leur absence n’a pas empêché l’élection de 83 députés, dont ils n’attendent rien de toute façon. Comme les filles de joie achetées, les électeurs non achetés ont boudé. Ce tableau réjouit nos gens-bien. Ils n’ont que faire de nos misères. Nos gens-bien jouent le Bénin perdant et perdu. Héroïque.
Nos gens-bien, anciens patati et patata, cumulent, pour deux d’entre eux, 15 ans à la tête de l’Etat. Mais point ne les préoccupe l’état du Bénin, seul les préoccupe l’état des leurs, exilés volontaires, gens partis en errance pour ne point répondre des soupçons mauvais qui pèsent sur eux. Nos gens-bien exigent leur retour immédiat en immunité et impunité. De France et de Navarre où ils sont tristes à mourir (point d’exil gai), ils ont envoyé de l’argent à nos gens-bien pour acheter les chasseurs à Kilibo et la pègre à Cotonou. Oui, oyez, bonnes gens : des Béninois que nous aimions et respections, des gens en qui nous avons cru, communient avec des justiciables en fuite dans le drôle de choix : faire prospérer ou périr le Bénin, leur patrie. Plus satanique que drôle. Ce n’est pas aimer le Bénin que de cultiver dans ses rues la chienlit et dans ses nuits le cauchemar. Il faut expliquer aux ego dilatés tentés par la délinquance que s’il est très facile de ne pas faire le bien, il est quand même préférable de ne pas propulser sa patrie en enfer. Amen, comme si c’était une prière. Ainsi soit-il.