Ils sont citoyens à part entière dans un pays qui n'est pas le leur. Venus du Niger pour la plupart, ils côtoient les artères de la ville de Cotonou à la recherche de la pitance quotidienne. Au-delà de l'image de faiseurs de manche qu'on leur colle, les mendiants ont aussi une vie. Un quotidien auquel Banouto s'est intéressé de plus près. Reportage.
6h30. Cotonou, la capitale économique du Bénin se réveille de son sommeil. Comme dans toutes les métropoles, les vrombissements de motos et bruits des voitures se font entendre dès les premières heures de la journée.
Nourath, une mendiante, reprend du service ce mardi du mois de janvier 2019 avec ses trois enfants sur les avenues de Joncquet, un quartier populaire de Cotonou. Une heure plus tôt, elle était dans une toilette publique derrière le camp Guézo pour prendre sa toilette et laver le linge de ses enfants. «Tous les matins, c'est comme ça. Je vais prendre une douche, je lave les enfants», confie-t-elle. Dans un sachet à portée de main, du pain, des oranges et de l'eau dans une bouteille en plastique, de quoi vivre pendant cette matinée. Assise en tailleur, elle donne des conseils de conduite à son petit garçon de six ans et à ses deux jumelles de onze ans. «Dans la ville n'insultez personne et comportez-vous bien. Surtout, ne revenez pas tard », prodigue Nourath avec un air sérieux. «J'ai quatre enfants. L’un d’eux va actuellement à l'école au Niger. Bientôt je vais envoyer aussi Loukyath, une des jumelles», apprend-elle en langue haoussa.
La trentaine, la jeune nigérienne qui parcourt les artères de la capitale économique béninoise, comptant sur la générosité des passants et autres pour subvenir aux besoins de sa petite famille révèle s’être retrouvée dans ce « métier » à cause de la mort.
«C’est le décès de mon mari qui a changé le cours de ma vie. Il m'a laissé quatre enfants sous le bras. Difficile de les nourrir. Mon beau père qui travaille au Nigeria m'envoyait du maïs, mais à un moment donné il a cessé de le faire», raconte la jeune maman, au bord des larmes.
Alors, sous le poids des difficultés quotidiennes, elle a rejoint le Bénin depuis bientôt deux ans. « Je suis béninoise maintenant », lâche-t-elle pour changer d'humeur.
Pas très loin de Joncquet où Nourath sillonne les rues ce matin, le quartier Zongo. Un peu avant la mosquée centrale de ce quartier populeux, Abou et ses amis discutent entre mendiants. Aux côtés de notre interprète, nous sommes manifestement bien accueillies. Abou désigné par ses pairs pour nous entretenir, est prompt à de leur quotidien de mendiant. « Nous nous sommes rencontrés ici il y a trois ans. Depuis ce temps nous nous retrouvons toujours pour parler de nos familles et partager nos peines », commence-t-il avant de poursuivre que lui et ses amis forment une ''famille''. Mais cette famille n’est pas la seule que Abou s’est choisi. Le soir, quand la lumière du jour disparait progressivement dans le ciel, Abou se sépare de cette première famille constituée de ses amis mendiants pour retrouver son autre famille à Akpakpa où il passe la nuit. «Je passe mes nuits devant une boutique », révèle le jeune mendiant. Ce dortoir à ciel ouvert, Abou le partage avec une dizaine d’autres personnes qu’il considère comme sa deuxième famille. Il confie être obligé de se réveiller et quitter très tôt son «lit» pour ne pas être surpris par le propriétaire des lieux
Solidarité dans la mendicité
Mère de deux enfants, dame Adinatou, également mendiante, ne vit pas dans la rue. Et ce, depuis environs cinq mois. La mère de famille loue une chambre à coucher et un salon à Gbégamey. « Je suis ici à cause de mes enfants », fait savoir la mendiante. Le loyer ? La modique somme de 10.000 francs. Cette somme Adinatou arrive à s’en acquitter régulièrement. « Je m'acquitte toujours de mon loyer à chaque fin du mois par la grâce de Dieu », confie la mendiante qui se réjouit de parvenir à nourrir « convenablement» ses enfants grâce à la chance qu’il lui apportent. «Ils me portent beaucoup de chance. Dès que nous sortons, les gens nous manifestent toujours leur générosité», dit-elle.
Si depuis quelques mois, Adinatou semble bien s’en sortir, cela n’a pas toujours été le cas. «Il fut une période où les policiers nous ont chassés des rues. Cela a été très dur pour nous», se souvient-elle. Pour surmonter cette période difficile, la mère de foyer a pu compter sur le soutien de ses amis mendiants qui sont venus à sa rescousse.
A la différence de Adinatou, Abou trouve bien son confort dans la rue au contact des siens. « Moi je refuserai une chambre si on m'en offre parce que je me sens bien avec les autres. Même si parfois la fraîcheur nous en donne envie », affirme-t-il. Abou aime bien la vie qu'il mène et l'ambiance qui prévaut entre lui et ses amis. A l'entendre, « il n'y pas de jalousie lorsqu'un passant fait un don à quelqu’un au mépris des autres. Ils ont le devoir de reconnaître que chacun à sa chance».
A chaque jour suffit sa peine
Au coin de la rue de joncquet, Nourath n'est pas seule. Elle sera rejointe une demi-heure plus tard par Abdel Aziz, lui aussi mendiant. Ce matin, il n'a pas été matinal. Les raisons de son retard ? Abdel Aziz est allé profiter de la source d'eau de la mosquée pour laver ses habits. A même le sol sur le trottoir, il les a étalés pour qu'ils se sèchent. «Je confiais mes tenues sales aux femmes pour me les laver moyennant un peu d'argent. Mais maintenant, je les lave moi-même pour économiser de l'argent», se justifie-t-il. Abdel Aziz a trois garçons et une fille au Niger. Au dire du mendiant, il serait au Bénin à leur insu.
«J'ai des enfants qui vivent au Niger et qui sont déjà assez grands. Je ne voudrais pas être à leur charge voilà pourquoi je viens travailler ici et je ne compte pas repartir maintenant», confie-t-il.
Pour Nourath, la vie n'est facile nul pas sur terre. «Même ici au Bénin, la vie n'est pas comme on le pense. On se fait souvent arracher nos sacs avec tout notre repas», apprend la veuve qui pensait trouver l’eldorado à Cotonou.
Apparemment désillusionnée dans la capitale économique du Bénin, la jeune mendiante, le regard triste, dit éprouver aujourd’hui l'envie de faire quelque chose d'autre. «Si j'arrive à mettre de côté 25 mille francs CFA, je vais retourner chez moi pour travailler la terre». Mais cette somme n'est pas facile à réunir Nourath. « Nous trouvons plus de nourriture que d'argent », se désole la mendiante qui continue de nourrir l’espoir de réunir l'argent nécessaire pour retourner dans son pays natal afin d'inscrire sa fille à l'école.