Dans le cadre de la Journée mondiale de l’environnement ce 5 juin, la communauté internationale alerte à nouveau sur la pollution de l’air. Dans la capitale économique à Cotonou, où il n’est pas souvent aisé de circuler à des heures de pointe, fumer des gaz à effet de serre devient facile. Un tour de ville permet d’apprécier l’ampleur d’un mal qui tue en silence.
Cotonou n’est certes pas la ville la plus polluée de la sous-région, mais à certains carrefours, trois minutes d’attente suffisent pour avoir l’impression d’être étouffée. Alors que tout allait bien, ce vendredi, à notre départ de la plus grande université du Bénin à Abomey-Calavi, une lourde fumée nous emballe dans l’un des feux tricolores qui jouxte le Stade Général Mathieu Kérékou. Notre conducteur, Eric D., 32 ans, qui n’était qu’à trois pas d’un poids lourd, a dû se frayer un chemin, comme quelques autres usagers pour éviter qu’on succombe à ce gaz sulfurant. « Ce n’est pas sérieux ! As-tu oublié que tu n’es pas le seul dans la circulation pour nous arroser ainsi de fumée ? », jette-t-il à l’endroit de l’homme assis à côté non chauffeur mais qui a l’air peu préoccupé. Sur le reste du trajet, le Zem dont on peine à lire le numéro matricule décide de nous narrer son calvaire quotidien. « Il y a des carrefours de la ville que je n’aime plus emprunter et où je préfère ne pas perdre le temps à cause de la fumée. Le peu que tu gagnes, il faut encore investir dans le traitement de toux. Il y a même des motos qui vous accueillent avec la fumée, au point de vous étouffer. On dirait que les propriétaires ne font pas de vidange pour l’engin », ajoute-t-il.
Un risque minoré
Au carrefour St Michel, aux encablures du marché Dantokpa, le trafic est un peu dense à notre passage. Les feux tricolores ne tardent pas à se rallumer. Mais dans cette courte attente, des couches de fumée se laissent voir facilement. Zinatou, 22 ans, est revendeuse ambulante à ce point névralgique de la ville. « Nous sommes habitués. Je ne suis exposée que le temps de vendre quelques articles. Ça ne nous dit plus rien », confie-t-elle.
Dans une étude publiée en février 2013, des chercheurs dont les Professeurs Daouda Mama et Martin Aina ont fait une évaluation quantitative de certains polluants chimiques dans la ville. Ils ont révélé que les taux de monoxyde de carbone et de dioxyde d’azote dépassent le seuil retenu par la réglementation. L’un des pics a été noté au carrefour grand marché, avec un maximum de 214,7 mg/m3 de CO. Les valeurs obtenues pour la plupart des carrefours dépassent largement celles prévues par les normes en vigueur au Bénin, c’est-à-dire 10 mg/m3 CO pour 1 heure d’exposition.
Bertin Bossou, Directeur de la gestion des pollutions, des nuisances et de la police environnementale relative : « Le Bénin n’est pas sur la liste noire. Mais nous avons des poches de concentration au niveau de quelques carrefours. Il y en a par exemple qui utilisent des huiles à moteurs usagers. Ce qui entraîne une combustion incomplète qui libère le monoxyde de carbone, un élément dangereux qui empêche la fixation de l’oxygène. Heureusement, au niveau des carrefours, il y a diffusion contrairement à la pollution de l’air intérieur », explique-t-il.
Des fumeurs de gaz
Usagers permanents de la circulation, le risque au niveau des conducteurs de taxi-moto n’est pas à minorer. Certains en sont d’ailleurs conscients. « Ce n’est pas un métier facile. Si tu es un Zem et tu ne prends pas souvent des médicaments et de la tisane, tu vas vite mourir. La fumée et la fatigue seules suffisent », martèle Eric. Ceci vaut pourtant plus qu’une simple allégation. Selon une étude réalisée par Dr Hervé Lawin, spécialiste en éco santé, le risque d’exposition n’est pas à négliger. « Les conducteurs professionnels étaient significativement plus exposés au monoxyde de carbone ambiant et PM 2.5 que le groupe de comparaison ; leur exposition atteignait 1,5 à 2,5 fois la norme de l’Oms. Le spécialiste en Eco Santé va plus loin et précise les conséquences. « L’exposition aux particules fines de l’air lors de leur travail diminue de 6 ml le volume expiratoire maximal en une seconde des Zémidjan et le coefficient de Tiffeneau de 0.08%. Ces diminutions étaient plus élevées chez les taxis moto », ajoute-t-il.
Réduire le risque d’exposition
On ne peut s’empêcher de respirer. On ne peut non plus s’empêcher de se déplacer. Le thème de la Journée mondiale de l’Environnement 2019 appelle donc à l’action pour la réduction de la pollution de l’air. L’exposition à la pollution de l’air constitue donc un facteur de risque professionnel pour les conducteurs de taxi-motos et les expose à des maladies comme l’asthme, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). « Il s’agit de maladies invalidantes, dont la prise en charge est onéreuse. Il y a une nécessité de réduire le niveau d’exposition des conducteurs afin de le préserver. Une exposition au CO ambiant de moins de 9 ppm en 8 heures est protectrice pour eux », conseille Dr Hervé Lawin. De son côté, le Ministère du cadre de vie dit fournir des efforts pour la surveillance de la qualité de l’air et réduire le risque. « Il y a un décret d’application sur la qualité de l’air et un programme de lutte contre la pollution atmosphérique. Il y a un véhicule de laboratoire qui circule pour collecter les données de la qualité de l’air à des stations fixes. Les stations nous donnent des informations qui nous permettent de faire des alertes précoces. Nous procédons aussi à la formation des mécaniciens pour le contrôle réglage. Aujourd’hui, le Bénin est passé à des motos de quatre temps », souligne Bertin Bossou. Cependant, les mesures doivent être aussi renforcées pour limiter la pollution de l’air intérieur qui tue dans le silence.