Le 03 mai dernier, le Bénin, à l’instar de la communauté internationale, a célébré la journée mondiale de la liberté de presse. Autour du thème de cette année : « Média pour la démocratie : journalisme et élection en temps de désinformation », l’Expert formateur en Communication et Média Gérard Sènakpon Guèdègbé jette ici un regard sur l’état actuel de la presse au Bénin. Il a aussi donné son avis sur la désignation et l’élection des conseillers à la Haac 6e mandature. Voici l’interview qu’il a accordée à cet effet à Matin Libre.
Matin Libre : Bonjour M. Guèdègbé, nos lecteurs voudront savoir qui est Gérard Guèdégbé ?
Gérard Guèdègbé : Mon nom est Gérard Sènakpon Guèdègbé. Je suis à l’origine journaliste de presse écrite mais aujourd’hui je suis beaucoup plus dans les activités de développement des médias, de formation et d’appui au développement des médias. A ce titre, j’apporte mon appui à beaucoup de projets sur le continent, sur des questions de formation d’appui à la qualité du journalisme et son ancrage comme un instrument au service de la promotion de la démocratie et de l’Etat de droit. Depuis quelques petites saisons, je suis beaucoup plus actif sur le terrain de la communication politique où je donne des formations de communication et de marketing politique pour les organisations politiques qui ont bien besoin de mon expertise.
Comme vous pouvez le voir, nous sommes dans l’effervescence des campagnes pour l’élection des conseillers pour la prochaine mandature de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC). Comment voyez-vous le processus en cours ?
Je voudrais d’abord saluer avec la déférence requise et souhaiter bon courage à tous les candidats qui briguent la prochaine mandature de la HAAC et souhaiter que les élections se déroulent dans la paix et la dignité qui nous caractérisent. Pour moi, il faudra entreprendre les réformes nécessaires pour que désormais tous les conseillers franchissent la porte de l’institution par le moyen des élections au sein de leurs corporations. Tous les conseillers devraient être élus. Ce ne serait que justice et cela renforcera davantage la légitimité non seulement des conseillers mais celle de l’institution. Se voir désigner conseiller à la HAAC par l’Assemblée nationale ou par le président de la république, peu importe vos compétences et qualités, n’enlèvera pas de la conscience collective l’idée que vous y êtes par des arrangements politiques opportunistes. Il faudra aussi faire en sorte que nous ayons cette fois un professionnel des médias et de la communication à la tête de la HAAC. C’est déjà une pratique commune dans la sous-région, ce faisant on laissera un professionnel du métier conduire le train de la régulation car je trouve un allogène peu qualifié pour parler des problèmes des autochtones. Il lui manquera certainement des données.
Le plus grand défi que je vois pour la prochaine mandature de la HAAC, c’est d’aider la presse à reprendre la main à travers son mandat d’être le chien de garde de la démocratie œuvrant jour et nuit au service de l’intérêt public. Cela passe par une régulation saine et crédible, ce qui va renforcer l’indépendance de l’institution. Les cas comme ceux du Quotidien Le Matinal, il y a quelques années et de la Nouvelle Tribune ces derniers mois ne doivent plus être inscrits dans le palmarès des prochaines mandatures. Nous méritons mieux.
Etes-vous toujours aussi proche de la presse ?
Bien sûr même si ce n’est plus en tant que reporter. Je crois beaucoup au rôle de la presse dans un Etat de droit, dans un Etat démocratique et mon combat c’est de me battre par mes moyens intellectuels, par mes relations, par aussi l’investissement que je fais dans ce métier pour que la presse aussi puisse avoir un rayonnement exemplaire et qu’elle puisse répondre présent au rendez-vous de son mandat. J’ai un aîné pour qui j’ai beaucoup de respect, Edwy Plenel qui dit que « la responsabilité sociale du journaliste c’est d’être au rendez-vous du droit de savoir du citoyen ». Et je pense que dans cette perspective, on a besoin des journalistes bien formés, conscients de leur mission et ayant la capacité et les moyens de faire le travail comme il le faut.
Le 03 mai dernier, on a célébré la Journée internationale de la liberté de presse. Quel est l’état actuel de la liberté de presse au Bénin ?
Je pense que la liberté de la presse est un peu à l’image des bouleversements sociaux et politiques que nous connaissons. J’ai l’habitude de dire que comme toute phase de croissance, le développement de la presse connaît parfois des trébuchements et des balbutiements qu’il faut prendre en compte dans les prochains pas que nous posons. La presse au Bénin avant 2005 avait un visage. 2006 à 2015, elle a eu un autre visage et beaucoup de gens se sont interrogés, beaucoup de gens ont été surpris, beaucoup de gens se sont dits mais la presse n’était pas comme ça puisqu’ils étaient habitués à une autre image de cette presse. Aujourd’hui encore, prenant la référence de 2016 à aujourd’hui, elle présente un autre visage qui nous rend peut-être encore un peu plus surpris. Donc je me dis que l’image change en fonction des bouleversements socio-politiques. Mais il y a une chose qui doit être constante, c’est de toujours se demander si aujourd’hui la presse arrive à assumer le mandat qui lui est dévolu ? C’est-à-dire être au rendez-vous du droit de savoir du citoyen. Prenant donc ce repère, je constate que beaucoup de citoyens, acteurs, consommateurs sont insatisfaits de l’état de la liberté de la presse puisqu’ils ne voient plus trop la presse comme ce levier de la démocratie qui est constamment au rendez-vous de leurs préoccupations de chaque jour. Peu importe le positionnement que vous avez, vous ne pouvez pas dire que vous êtes fiers de l’état de la presse au Bénin. Même ceux qui profitent de cet état balafré de la presse ne peuvent pas intrinsèquement dire qu’ils en sont fiers puisque demain sans doute, quand ils vont basculer dans un autre camp, ils sont sûrs que le même bâton pourra les frapper donc je pense qu’il faut essayer de dépassionner le débat et penser à ce que nous faisons pour donner à notre presse une image qui lui permet d’assurer son mandat.
Le thème de cette année, c’est : « Média pour la démocratie : journalisme et élection en temps de désinformation ». De quels outils dispose aujourd’hui le journaliste pour ne pas verser dans la désinformation ?
La désinformation est un peu comme l’épidémie Ebola qui a surpris tout le monde en Afrique depuis quelques années. Nous sommes arrivés à un niveau où l’accès aux outils technologiques, l’accès à l’information est devenu beaucoup plus facile. Nous avons la possibilité maintenant de lire la Une de votre journal sur nos téléphones portables, la minute d’après votre bouclage. Donc, l’immédiateté qui caractérise aujourd’hui le fait informationnel a aussi donné des idées à certains mauvais esprits qui, il faut le dire, dans leur œuvre de manipulation, se trouvent des génies d’utiliser notre sensibilité, notre éducation, notre culture pour essayer de fomenter une certaine forme de conscience à travers des rumeurs fabriqués de fait. Et ça ouvre le débat du positionnement du journaliste dans une situation pareille. Si le journaliste arrive à préserver davantage son image, les rumeurs viendront beaucoup plus pour certifier son rôle dans la société. Quand vous et moi, aurons bu à toutes les sources de la désinformation, nous devrons revenir vers le journaliste pour avoir la vérité des faits. La désinformation loin d’être une menace est quelque chose qui permet au journaliste de prouver son importance dans la société.
Lors du scrutin du 28 avril dernier, pour une première fois dans l’histoire du renouveau démocratique l’internet a été coupé. Comment le journaliste peut faire un travail professionnel dans ces conditions ?
C’est un événement triste et regrettable. Je pense que ceux qui ont été à l’origine de cela ont certainement réalisé que ce n’était pas la meilleure méthode. Mais c’est aussi ça lorsque vous êtes dans des situations où il faut prendre une décision. Souvent on ne réfléchit pas beaucoup aux impacts, on la prend et on constate les dégâts. J’ai eu le temps de dire le jour où il y a eu cet incident malheureux si seulement on savait le nombre de personnes qui devraient prendre leurs médicaments et qui ne l’ont pas fait parce qu’on ne pouvait pas leur envoyer un transfert d’argent, le nombre d’analyses qu’on n’a pas pu faire à l’hôpital parce que le transfert d’argent qui devait quitter une autre ville n’a pu se faire, le nombre de contrats qui ont été en souffrance parce que le consultant devrait déposer son rapport ce dimanche et n’ayant pas internet il n’a pu faire et le délai est passé… Je pense que si les auteurs ont pensé à tous ces déconvenues qui ne peuvent pas se chiffrer aujourd’hui en termes de millions de francs, ils auraient peut-être agir autrement. Mais je dis qu’il est important de commencer par imaginer les solutions ou les moyens de résilience. Je n’aime pas pleurnicher devant les difficultés. Je prends les difficultés comme une étape et je commence par réfléchir à comment j’organise la résilience. Quels sont les moyens que nous mettons en place pour que la prochaine fois que quelqu’un sera tenté par cette privation de liberté, nous puissions opposer une résilience qui nous permette de sauvegarder ce droit ? Je crois que de mieux en mieux, les réflexions devaient aller dans ce sens parce qu’on l’a vu ici et là c’est devenu un principe rapide ; dès qu’on ne peut pas contrôler la masse, on coupe l’internet. Le gros problème chez nous ici, c’est que les discussions sur l’avenir, les discussions sur les choses qui ne devront plus nous arriver sont un peu rares. On constate, on s’indigne et nous sommes tout le temps dans l’émotionnel, à dénoncer du matin au soir. Il ne sert à rien de dénoncer, faisons un état des lieux pour dire voilà ce qui nous est arrivé, quels sont les moyens dont nous disposons pour nous en sortir quand cela va surgir une autre fois. Il y a un penseur qui a dit que le confort est l’ennemi de la créativité.
Un appel à lancer en direction des professionnels des médias ?
Je reste un serviteur des médias et de la communication, ce n’est seulement pas pour les intérêts personnels égoïstes que je m’engage ainsi mais j’ai une passion réelle pour la presse. Je ne me fatigue pas de parler de la presse. Je noue des partenariats pour mieux connaître la presse ici comme à l’extérieur pour être au rendez-vous de ses derniers développements. Car, comme l’a dit le sociologue américain Robert Ezra Park « Un journaliste en possession des faits est un réformateur plus efficace qu’un éditorialiste qui se permet de tonitruer en chair aussi éloquent soit-il »