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Sorcellerie et charlatanisme : Impacts négatifs sur le développement

Publié le jeudi 13 juin 2019  |  Matin libre
Célébration
© aCotonou.com par Didier ASSOGBA
Célébration de la fête du vodoun à Malanwi
Porto Novo le Mercredi,10 Janvier 2017 Fête de vodoun au Bénin: célébration de la fête à Malanwi dans un village de la commune d`Adjara. Cette édition 2017 de la fête du ``Vodoun`` a connu la présence des maires de Porto-Novo, d`Adjarra, et les dignitaires du culte ``Vodoun``.
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Au Bénin, pays francophone de l’Afrique de l’ouest, on ne banalise pas tous les phénomènes sociaux. Très souvent, accidents, maladies, échecs scolaires, infertilité, infirmité, blocage social peuvent être mis sous le sceau de la sorcellerie ou du charlatanisme. Les victimes accusent sans aucune forme de procès pendant que les présumés sorciers récusent.



Selon Dr Saï Sotima TCHANTIPO, PhD en Anthropologie sociale et culturelle, enseignant à l’université de Parakou et chercheur au Laboratoire d’Etudes et de Recherches sur les Dynamiques Sociales et le Développement Local (LASDEL), la sorcellerie est souvent assimilée à la magie, à des pratiques surnaturelles.

Mais du point de vue anthropologique, ajoute l’enseignant-chercheur, la question de la sorcellerie savoir nictosophique est abordée comme une sorte de savoir.

Dr TCHANTIPO fait remarquer que les sorciers sont des personnes qui détiennent des savoirs ésotériques, cachés qui leur permettent de faire un certain nombre de choses qui dépassent le rationnel, le normal, donc des choses paranormales. « La sorcellerie existe partout au monde et prend des formes diverses », précise le chercheur.

A en croire les croyances populaires au Bénin, le sorcier serait quelqu’un doté de pouvoirs surnaturels capables surtout pendant la nuit, de quitter son corps physique sous forme d’un animal ou autre, pour aller nuire à leurs victimes qu’ils transforment en gibier et qu’ils mangent, détaille Dr Saï Sotima TCHANTIPO, chercheur au LASDEL. « Il se dit également que les sorciers sont capables de provoquer chez leurs victimes, des accidents, des maladies, des retards de croissance, des échecs scolaires, l’infertilité, l’infirmité, le blocage social, etc. Donc, globalement, le sorcier c’est quelqu’un qui est perçu comme porteur de maléfices ou de malheurs », renchérit-il.

Au Bénin, pays en voie de développement, cette question n’est pas taboue. Les accusations sont légion mais très peu soutenues par des preuves irréfragables. Les textes de lois en vigueur dans le pays ne reconnaissent pas la sorcellerie, mais les pratiques de charlatanisme, qui pourtant, est pointée comme cause de plusieurs malheurs dans les communautés même celles instruites.

L’autre peste de l’économie

Il est à signaler qu’aucune étude n’a été faite pour mesurer l’impact négatif de la sorcellerie sur l’économie, néanmoins plusieurs évènements montrent comment ce phénomène pourrait être un véritable frein au progrès économique.

Sur une vingtaine de personnes interrogées au sujet de la sorcellerie, dix-huit sont unanimes pour reconnaître que les croyances en la sorcellerie renvoient à la méfiance et au manque de confiance. Pour ces dernières, cela altère profondément les rapports sociaux et parfois, engendrent les conflits violents voire homicides. Parfois, quand une vieille est soupçonnée de sorcellerie, cela peut entraîner et entraîne très souvent un soulèvement et un bannissement. Ses biens sont saccagés et elle est renvoyée du village. Ce qui crée de sérieux problèmes entre les familles, renseigne Dr Saï Sotima TCHANTIPO, chercheur au LASDEL. Des cas de violences et de destruction de biens ayant entraîné des décès ont été enregistrés dans les communes de Sinendé et de Ouassa-Péhunco en 2014 dans le Nord du Bénin.

La méfiance qu’engendre la croyance à la sorcellerie inhibe les rapports humains et la collaboration. Ce qui conduit à une réticence pour investir dans les activités économiques. Plusieurs personnes préfèrent dissimuler leurs biens matériels de peur d’être accusés de sorcellerie ou de subir les nuisances de sorcellerie. Beaucoup de Béninois refusent d’aller construire par exemple dans leur village natal, de peur d’être éliminé (tuer) ou se voir jeter un mauvais sort. Une situation qui contribue à plomber le développement de plusieurs localités du Bénin, dans lesquelles, il est impossible de voir de belles maisons et des infrastructures sociocommunautaires pouvant contribuer à l’épanouissement des populations desdites localités, ajoute Dr Saï Sotima TCHANTIPO, enseignant à la faculté des Lettres arts et sciences humaines de l’Université de Parakou.

Abdoulaye Ousmane, secrétaire général de la mairie de Sinendé renseigne que : « La commune de Sinendé a vécu plusieurs évènements liés au phénomène de la sorcellerie. La première fois, c’était douze jeunes filles originaires de Kossia et de Diadia (villages de la commune) qui sont entrées en transe et ont dit qu’une dame qu’on appelle Fouléra était sorcière. La population est allée saccager et brûler tous les biens de la présumée sorcière. (Sa chambre, plusieurs dizaines de sacs de maïs, de soja, de riz). Par la suite, la dame a été renvoyée du village, renseigne-t-il. Ces mêmes filles sont allées à Kpénati, un village voisin pour s’attaquer à un propriétaire de boutique de vente de divers, qui a été charcuté et est mort des suites de ces blessures ».

Ces “sorciers” de Sinendé

A Sinendé, commune située à 150 kilomètres de Parakou, la plus importante ville du nord-Bénin, les populations désignent leurs “sorciers” et les condamnent au terme de procès d’intentions. Certains opérateurs économiques, ménagères, fonctionnaires ont vu leur vie basculer parce qu’accusés un jour de sorcellerie.

« J’ai été injustement accusé en 2014 d’être un sorcier parce que mes affaires prospéraient un peu », se souvient EL HADJ Lassissi A. Idrissou, la quarantaine et opérateur économique à Sinendé.

« Après mon accusation, j’ai été conduit à Ouassa Maro, une localité située à 75 km de Sinendé chez un féticheur qui délivrerait les sorciers. Celui-ci après m’avoir pris 75.000 Fcfa, m’a humilié pendant plusieurs jours. On m’a chicoté sérieusement et on m’a même lacéré le corps à l’aide de cravache », raconte très amer l’homme d’affaires.

« Plusieurs personnes accusées sans preuve sont envoyées vers ce fameux guérisseur tous les jours », fustige celui qu’on appelle Alladji Idrissou dans la ville de Sinendé.

Cet opérateur économique, reconnu comme transporteur, polygame et propriétaire d’hôtel, de plusieurs boutiques de vente d’articles et de biens divers se souvient que cette fausse accusation a fait chuter considérablement ses affaires pendant quatre années.

« De 2014 à 2018, je suis resté sans rien faire, les gens avaient peur de venir acheter dans mes boutiques. J’ai été contraint de vendre l’appareil avec lequel, je fabrique l’eau conditionnée appelée « Pure Water » parce que les gens racontaient que je mettais du sang humain dans l’eau que je vendais. Je ne conduis plus mon véhicule de transport en commun parce les gens ne veulent plus voyager à bord. J’ai perdu beaucoup de millions dans cette histoire », fustige EL HADJ Lassissi A. Idrissou, la voix grave mais chargée d’émotion.

L’épouse du maire de Sinendé, Akibou Yaya elle aussi n’a pas échappé à la fatwa. Accusée de sorcellerie, elle a dû abandonner sa boutique de vente de ciment et quitté la ville de Sinendé sur la pointe des pieds pour ne pas subir la vindicte des accusateurs. Des dénonciations font état de ce qu’un guérisseur traditionnel du nom de Alpha Salmane qui dit guérir les gens de la sorcellerie profite financièrement de la situation.

« Il vend un bidon d’eau à 25.000 Fcfa, et fait des recettes jusqu’à 500.000 Fcfa le mois. Il s’enrichit sur le dos des gens, c’est pourquoi, les fausses accusations se multiplient dans la commune », lance au passage l’un de ses anciens amis qui souhaite ne pas en dire d’avantage.

Un entrepreneur qui a requis l’anonymat, a laissé entendre que certains chantiers de construction de routes et autres infrastructures ont été bloqués de fait de la sorcellerie.

L’impact négatif de la sorcellerie ou des pratiques de charlatanisme est bien une réalité et constitue un handicap pour le développement et il urge de trouver un palliatif.



Albérique HOUNDJO
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