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Edito: Une épreuve de chasseurs

Publié le lundi 17 juin 2019  |  L`événement Précis
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© aCotonou.com par DR
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Les affrontements armés de Savè et Tchaourou la semaine sont probablement inédits dans l’histoire du Bénin depuis 1960. Oui, c’est la première fois qu’un déploiement des forces de défense de notre pays s’effectue de façon aussi massive, donnant lieu à des échanges de tirs entre citoyens béninois. Mais au-delà de ce caractère inédit, il y a un événement majeur : c’est l’entrée en scène des chasseurs traditionnels.
C’est un événement d’autant plus rare qu’il est précurseur d’une escalade des tensions politiques dans le pays. L’engagement armé des chasseurs n’a rien de bon. Dans l’histoire politique récente de l’Afrique de l’Ouest, l’intervention armée de cette confrérie dans les querelles politiques des Etats s’est presque toujours soldée par une guerre civile aux issues dramatiques.
La première occurrence a lieu dans la sanglante guerre civile de Sierra-Léone (1991-2002), avec le président Ahmad Tejan Kabbah obligé de s’appuyer sur les chasseurs Kamajors pour gouverner le pays en pleine guerre. Ils venaient remplacer les mercenaires sud-africains de la société ExecutiveOutcomes devenue Sandline International, dans le but de constituer une milice aux mains du président légalement élu. Mais l’on sait comment cela s’est achevé : ces Forces de défense civile (CDF) dirigées par Samuel Hinga Norman ont été plus tard accusées de pillages, de terreur organisée,de massacres de civils et d’emploi de soldats de moins de 15 ans. En Mars 2003, Hinga Norman a été inculpé pour ces crimes de guerre par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone.
Deuxième exemple, les dozos de Côte-d’Ivoire. Ces chasseurs traditionnels du Nord du pays, ont été présents dans toutes les crises politiques qu’a connues le pays depuis 1997. Ils furent présents aux côtés des forces du Nord: d’abord derrière le RDR, puis avec le MPIGO, ensuite avec le MPCI après l’éclatement de la guerre civile en septembre 2002, et enfin avec les Forces Nouvelles. Un rapport de l’Onuci, la mission de l’ONU en Côte d’Ivoire, affirme en décembre 2013 que ces chasseurs traditionnels ont tué au moins 228 personnes et en ont blessé 164 entre mars 2009 et mai 2013. Ils sont accusés aussi d’ « extorsions » lorsqu’ils établissent des barrages sauvages, de cas de viols et d’exactions diverses contre les civils.
Mais en fait qui sont les chasseurs traditionnels ? Dans une exposition de photos à la Fondation Zinsou en novembre 2011, Jean-Dominique Burton révèle des images de chasseurs traditionnels de la commune de Bantè. Au-delà de la beauté saisissante de ces clichés venus du fin fond de la forêt béninoise, ce qui surnage, c’est le profond respect de la population pour ces hommes. Dans nos communautés, le chasseur est considéré comme redoutable de par ses pouvoirs magiques, sa connaissance des plantes et des animaux. Partout au Bénin et en Afrique de l’Ouest, ils sont considérés comme invulnérables aux balles. Leur philosophie de vie rigoureuse se retrouve dans les articles de la Charte du Manden de 1222, charte considérée comme la première déclaration universelle des droits de l’homme de par le monde. Editée sous Soundjata Kéita, empereur du Mali, cette charte dit, entre autres : « Qui a engendré un chasseur a engendré un «homme», un défenseur des causes justes.»
Autrement dit, le prestige social des chasseurs au sein de nos communautés ainsi que la crainte qu’ils inspirent constituent des déterminants du rôle qu’ils ont été appelés à jouer dans les crises politiques en Afrique de l’Ouest depuis les années 1990. Et de plus en plus, ils sont associés dans les opérations de sécurité, dans les zones où la force publique tend à être débordée par les hors-la-loi.
Chez nous au Bénin, leur récupération politique s’est vue en février 2011 lorsque, pour la première fois dans notre pays, des chasseurs traditionnels brandissant leurs armes ont manifesté dans le Borgou contre un candidat de l’opposition. Beaucoup d’observateurs ont fait le lien plus tard, lorsqu’en 2012 le Chef de l’État d’alors avait menacé à la télévision nationale, de faire descendre les siens du Bénin profond pour venir en découdre avec l’opposition à Cotonou…
Non, l’intervention des chasseurs traditionnels dans le débat politique n’est jamais un bon signe. Il appartient aux acteurs politiques de trouver une solution à la crise, dès maintenant. Un enlisement risque d’entrainer un embrasement dont personne ne mesure les conséquences.

Par Olivier ALLOCHEME
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