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Bonne gouvernance au Bénin et en Afrique subsaharienne : « Il nous faut plus d’hommes d’Etat que de politiciens », dixit Antonin Dossou

Publié le mercredi 17 juillet 2019  |  La Nation
Antonin
© Autre presse par DR
Antonin Dossou, Ministre chargé de l’évaluation des politiques publiques et des programmes de dénationalisation.
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Ingénieur statisticien en fonction à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, l’ancien ministre Antonin Dossou a récemment lancé son ouvrage : "Partages : Le défi de la gouvernance publique en Afrique subsaharienne". Y a-t-il anguille sous roche derrière une telle initiative ? L’économiste répond, parle de ses motivations profondes et se prononce sur des sujets comme la gouvernance au Bénin et en Afrique, les défis, la convergence vers la monnaie unique…

La Nation : Après neuf ans d’expérience dans la gestion des affaires publiques, vous avez décidé de partager ce qui pour vous est le défi de la gouvernance en Afrique. Qu’est-ce qui vous a inspiré ? Des constats, votre expérience au gouvernement, vos convictions … ?

Antonin Dossou : Certainement ! Mais fondamentalement, c’est le souci de la transmission. Je dois dire qu’en 2006, quand j’ai été nommé directeur de cabinet, je n’ai trouvé aucun livre dans lequel apprendre à tenir un cabinet. C’est vrai qu’il y a des écoles d’administration qui forment à être administrateur. Mais comment être un directeur de cabinet efficace ? Il a fallu que j’apprenne de mes expériences, de l’épreuve sur le terrain. Je me suis dit qu’il serait alors intéressant de laisser des traces après cette expérience que j’ai vécue. Cela permettra à d’autres d’éviter des erreurs que nous avons pu commettre dans ce parcours. J’ai choisi de transmettre, de franchir le pas au regard du constat que beaucoup d’aînés brillants dotés de qualités exceptionnelles n’ont pas forcément réussi à laisser des traces pour que nous nous en inspirions. J’espère qu’à travers ‘’Partages’’, d’autres qui ont beaucoup de choses à dire vont se jeter à l’eau comme moi.

Que partage donc Antonin Dossou dans son œuvre ‘’Partages’’ ?

‘’Partages’’ est un livre construit en trois grandes parties. La première que j’appelle « La rétrospection » décrit un peu mon parcours depuis ma tendre enfance, mon parcours scolaire et universitaire ; mes premiers pas dans l’administration puis à la Banque centrale. Mais tout cela pour montrer que, pour diriger, il n’y a pas de génération spontanée. Il faut vraiment être préparé au leadership à tous points de vue y compris en famille. Vous devez être un père ou une mère de famille exemplaire, car vos enfants vous regardent et à la limite vous copient. C’est donc l’éducation qui est la clé de voûte à ce niveau. La deuxième partie de ‘’Partages’’, je l’ai intitulée « Au cœur de l’action publique ». C’est là que je décris mon expérience en tant que directeur de cabinet puis ministre ; les grands chantiers plus ou moins exécutés. J’insiste sur l’organisation de la pensée pour le développement, l’évaluation des politiques publiques et sur quelques réformes qui ont été conduites ; certaines avec bonheur et d’autres avec moins de succès. Dans la troisième partie, je tire des leçons de cette expérience. J’en donne ma lecture, m’inspirant de la citation de feu Nelson Mandela qui dit ceci : « Je n’échoue jamais. Soit je gagne, soit j’apprends ». Moi aussi je peux dire qu’il n’est pas question de parler d’échec. Il y a eu des succès certes, mais il y a également eu des apprentissages. Ce sont ces apprentissages qui permettent de se bonifier, de s’améliorer pour faire mieux. Globalement, voilà comment l’ouvrage est construit. Alors, je partage dans cette œuvre le défi de la gouvernance publique en Afrique subsaharienne.

Et quels sont, selon vous, les principaux défis de la gouvernance publique au Bénin et en Afrique subsaharienne ?

Le premier défi, c’est bien celui de la bonne gouvernance, le défi de l’exemple. Le deuxième défi, c’est celui de la préparation au leadership. En matière de gestion, je l’ai dit, il n’y a pas de génération spontanée. Il faut se préparer. L’éducation doit être le point de départ. Le troisième défi est celui de la perception de la fonction ministérielle.
Ministre, étymologiquement, veut dire serviteur. Mais c’est comme si c’était le contraire. Le ministre devient le patron tout puissant, il ne peut même plus tenir son téléphone, il faut que ce soit son garde du corps qui le lui tienne. C’est vrai qu’il est important parce que ses responsabilités sont grandes. Un gouvernement de 20 personnes est appelé à prendre des décisions qui vont engager 11 millions de Béninois. C’est à ce titre que la fonction est importante et non au regard du profit à en tirer. La population elle aussi perçoit le ministre comme celui qui a percé, qui a réussi, qui a beaucoup d’argent. Alors, on vient lui présenter des sollicitations diverses. Certains se laissent aller au jeu, notamment lorsqu’ils sont politiciens et qu’ils ont en ligne de mire les prochaines élections. Dans ces conditions, ce ministre pourrait être amené à chercher une compensation financière à travers les affaires publiques… Au moment de la Révolution, il y avait un slogan qui n’était pas mauvais : « Se servir, non ! Servir le peuple, oui ! ». Tous les fonctionnaires doivent avoir cela à l’esprit.
Le quatrième défi, c’est celui d’une évaluation performante des politiques publiques. C’est indispensable. Dans mon livre, je rappelle que Dieu est le premier évaluateur. Dans le récit de la création, on voit Dieu créer quelque chose chaque jour et chaque soir, il apprécie ce qu’il a fait. Evaluer, c’est apprécier la mise en œuvre de la politique publique telle que définie. La politique publique est conçue pour modifier une situation. Une fois élaborée et mise en œuvre, il faut l’évaluer. En amont, il faut voir si les objectifs sont pertinents et s’ils sont bien définis par rapport à la situation que l’on veut redresser. En aval, il faudra voir si les objectifs sont bien atteints, on parlera d’efficacité. On verra ensuite si ces objectifs ont été atteints sans gaspillage de ressources, on parlera alors d’efficience. Puis à la fin, on cherchera à savoir si ces objectifs atteints ont permis de changer de façon durable, pérenne la situation des populations. Si oui, on pourra dire que la politique a réussi. C’est un outil puissant qui n’est malheureusement pas utilisé de façon optimale dans nos pays.
Au Bénin, et c’est une fierté de le dire, l’évaluation des politiques publiques a été formalisée en 2008-2009 et en quelques années, le Bénin est devenu le leader en Afrique francophone, en matière d’évaluation des politiques publiques. Je pense que nous tenons encore très bien notre rang. Le bureau de l’évaluation des politiques publiques est aujourd’hui installé auprès du secrétariat général de la Présidence.
Un autre défi, c’est celui de la gestion du temps. Le temps, j’ai l’habitude de le dire, c’est une donnée de développement. Une journée, c’est 24 heures partout, que l’on se trouve aux Etats-Unis, en Chine ou au Bénin. Mais comment ces 24 heures se gèrent ? C’est ce qui fait la différence ! Lorsque vous avez une réunion de 30 personnes et qu’elle commence avec une heure de retard, ce n’est pas une heure qu’on a perdue. C’est trente heures. Car chacune des personnes aurait pu mettre individuellement à profit cette heure pour le développement. Vous vous imaginez ce que représentent trente heures perdues en termes de capacité de production, d’offres de services ! On n’en a pas toujours conscience ! Les autres ont déjà compris ce que c’est que le temps. C’est pourquoi ils disent « Time is money ». Le temps, c’est de l’argent parce qu’il peut se monnayer, il peut être utilement mis à profit pour accroître la production.

Que propose M. Antonin Dossou pour la bonne gouvernance au Bénin ?

Il nous faut simplement relever ces défis. Le poisson pourrit par la tête. Les élites font à peine 1% de la population mais c’est eux qui sont appelés à définir les stratégies pour le bien-être des 100% de la population. C’est donc aux hommes d’Etat, aux élites, aux hauts fonctionnaires qu’il appartient d’abord de changer les donnes. La clé, la solution, c’est l’amélioration de la qualité de la gouvernance et du leadership transformationnel. Toutes les propositions sont tournées vers ces solutions : amélioration de la gouvernance et du leadership. Ce qui implique une utilisation rationnelle du temps, des ressources, une bonne définition des politiques et surtout une capacité accrue de mise en œuvre de ces politiques pour le bien-être des populations, et une évaluation efficace de ces politiques, c’est sans oublier la lutte contre l’impunité… Après, il y a une dimension éthique importante : c’est la capacité à résister à la tentation de s’enrichir sur le dos de l’Etat. Cela engage les convictions individuelles. Toutefois, lorsque le chemin est balisé, on résiste mieux à la tentation. C’est pourquoi je peux proposer aussi des balises pour vérifier l’efficacité des élites. Il y a un exercice au Rwanda qui m’a beaucoup inspiré. Chaque fin d’année, notamment les deux premières semaines du mois de décembre sont consacrées à l’évaluation des performances de la haute administration. Par tous les canaux possibles, sms, réseaux sociaux, radios et télévisions…, la population a la capacité d’interpeller et de noter les dirigeants (ministres, maires, chefs de projets…) et ceux-ci répondent devant le président de la République ou le président de l’Assemblée nationale. Lorsque les objectifs ont été atteints, vous avez le carton vert. Lorsqu’ils sont partiellement atteints, au-delà de 50% quand même, vous avez le carton jaune. Lorsqu’ils ne sont pas atteints ou sont à moins de 50% au terme de l’échéance qui vous a été accordée, vous avez le carton rouge. Quand vous avez le carton rouge, vous n’êtes plus là l’année d’après. Quand vous avez le carton jaune, on vous donne une seconde chance. Quand vous avez deux cartons jaunes de suite, cela équivaut au carton rouge. Mais quand vous avez le carton vert, vous avez les encouragements de toute la population pour continuer. C’est peut-être spécifique au Rwanda mais pourquoi ne pas copier les bonnes pratiques.
L’autre conviction que j’exprime, c’est qu’il nous faut plus d’hommes d’Etat que de politiciens. James Freeman a bien dit : « La différence entre le politicien et l’homme d’Etat est la suivante : le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération ». Etre homme d’Etat, ce n’est pas facile. S’oublier pour penser aux prochaines générations, prendre des décisions qui ne sont pas forcément à notre avantage individuel, ce n’est pas toujours aisé mais c’est ce qu’il nous faut.

Si l’on vous demandait si l’Afrique et en particulier le Bénin, au regard de la gouvernance actuelle, a de beaux jours devant lui, que répondriez-vous ?

Bien-sûr ! La prospérité, je dirai même la prospérité partagée, est à bout de bras. Nous devons accroître les richesses, les revenus. Et nous savons comment faire. Il nous faut nous unir, à l’image des Ecureuils du Bénin, pour réaliser des exploits et gagner le pari. Mettons-nous ensemble, définissons des programmes qui vont au-delà de l’horizon électoral et qui engagent l’ensemble du pays sur des générations. Et là, parce que cela aura été fait de commun accord, chaque gouvernement jouera sa partition quelle que soit sa configuration et c’est le pays qui gagne.
Au travers de l’ouvrage ‘’Partages’’, plusieurs enseignements ressortent notamment la préparation au leadership, la conviction que le développement de l’Afrique est possible, que le développement du Bénin est possible car nous avons beaucoup de potentialités. Nous sommes certes en retard mais nous voyons bien avec les indicateurs quels progrès il nous reste à faire.

Une question d’actualité pour l’économiste que vous êtes ! Que pensez-vous de la monnaie unique pour les pays de la Cedeao ?

C’est indispensable. Ça va permettre d’élargir le champ des échanges, le champ de la production et de la mobilisation des moyens pour mieux progresser. Cela va nous permettre de gagner du temps et je l’ai dit, le temps est une donnée de développement. L’on ne se rend pas compte des avantages, des bénéfices que nous avons déjà, avec le Cfa qui est utilisé dans seulement huit pays. Quand vous voulez aller à Lomé, vous ne vous posez pas de questions sur la monnaie à utiliser, sur là où faire le change. Vous savez que votre franc Cfa a cours libératoire dans le pays où vous allez. Mais quand vous voulez aller au Ghana, vous vous demandez comment faire pour avoir des Cedi ou des dollars. En changeant du Cfa au dollar, vous perdez déjà un peu et une fois là-bas, vous perdez encore en changeant les dollars et pour revenir au Bénin, c’est la même chose. Ces pertes peuvent être évitées si la monnaie était la même. Si je peux aller au Ghana ou au Nigeria, profiter de l’intensité des flux commerciaux entre le Bénin et le Nigeria, sans me soucier du change, quel gain énorme !
Maintenant, nous économistes, avons des réflexions à conduire pour que les points de vue convergent. Quel va être le régime de change, quelle banque centrale va conduire tout cela, quelle politique économique derrière l’Eco… ? Lorsque vous avez la monnaie commune, cela signifie qu’il ne reste à la disposition des Etats, que la dimension budgétaire pour régler leurs problèmes. En Economie, on parlera de convergence. Il faudrait que les économies convergent. Car si les Etats ont des dépenses qu’ils ne peuvent pas couvrir et par rapport auxquelles ils vont s’endetter, ces dettes vont peser sur la monnaie commune. Et donc les mauvaises pratiques de certains Etats peuvent tirer vers le bas, d’autres Etats qui sont vertueux. Il faut alors qu’on se donne des règles, des limites à ne pas dépasser dans le cadre du déficit budgétaire. C’est donc des choses qui restent à construire. Les chefs d’Etat disent qu’en un an, ça doit se faire, attendons de voir. J’espère qu’on y arrivera. Je suis résolument optimiste pour ce qui est de la nécessité de la monnaie unique et du but à atteindre, mais réticent par rapport au délai, il faut être honnête. Assurer une convergence en un an, c’est difficile. Mais vous savez, la monnaie est un instrument de souveraineté politique et lorsque des chefs d’Etat se réunissent et disent qu’ils veulent avoir une monnaie unique, cela veut dire qu’on va y arriver.

M. Antonin Dossou est à la Bceao actuellement. Il est revenu au pays lancer son ouvrage sur le défi de la gouvernance publique, il a peut-être en perspective de revenir travailler pour son pays !!!!

Euh … à la Bceao, je travaille pour le pays ! Le Bénin se doit d’être représenté de façon valable, digne et efficace dans les institutions internationales. Nous parlons actuellement de la monnaie Eco. Mais si nous ne savons pas négocier et mettre en exergue les spécificités et la volonté du Bénin en la matière, peut-être que nous passerons à côté et que la volonté d’autres Etats sera affirmée ! C’est à cela aussi que nous servons. Ne vous en faites pas, je travaille pour le Bénin, bien qu’étant à la Bceao, je sers déjà mon pays.

Anselme Pascal AGUEHOUNDE
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